L’OPINION PIÉGÉE PAR LA CLASSE POLITIQUE
Alors que le président réélu n’a même pas encore prêté serment, l’espace public est déjà secoué par le débat sur la dissolution de l’Assemblée nationale ainsi que celui relatif aux dispositions constitutionnelles d’un éventuel troisième mandat
Alors que le président Macky Sall, récemment réélu suite au scrutin présidentiel du 24 février 2019, n’a même pas encore prêté serment, l’espace public est déjà secoué par le débat sur la dissolution de l’Assemblée nationale ainsi que celui relatif aux dispositions constitutionnelles d’un éventuel troisième mandat présidentiel du chef de l’Etat. L’opinion publique, par le biais des medias, se voit encore entrainer dans un spectacle sur fond de schémas politiques avec des acteurs aux visées occultes. Décryptage de cette nouvelle atmosphère politique aux contours flous, inopportuns.
Suivisme ou manipulation ? L’opinion publique, récemment sortie d’une élection présidentielle, est encore prise dans les filets d’une classe politique qui pose déjà les premiers enjeux d’un supposé troisième mandat de Macky Sall. La dissolution de l’Assemblé nationale et la question d’un éventuel troisième mandat sont précipitamment agitées par des acteurs politiques de l’opposition et de la mouvance présidentielle. Qu’est ce qui se dessine derrière ces spéculations à l’évidence prématurées ? Les analyses froides des experts en la matière contactés par nos soins, sont révélatrices de zones d’ombres aux relents de puzzle. Car, pour Bakary Domingo Mané, journaliste, « c’est un débat artificiel pour détourner l’opinion et empêcher les populations de poser les véritables questions qui attendent Macky Sall durant son second mandat ». A travers cette effervescence politico-médiatique autour des dispositions constitutionnelles régissant le mandat présidentiel, l’analyste politique entrevoit une sorte de traquenard des consciences. « C’est un moment de convoitises, cette agitation autour d’un second mandat est l’œuvre de gens qui se positionnent en faisant diversion pour se faire remarquer dans l’espace médiatique en vue de bénéficier de postes dans le futur gouvernement qui sera formé après la prestation de serment du président Macky Sall » soutient-il.
Sur la question d’un troisième mandat présidentiel, le peuple est dubitatif au vu des précédents revirements à 360 degrés du président Sall »
Dans un contexte où les parjures se multiplient, le peuple ne sait plus à quel saint se vouait. C’est ce que laisse entendre le journaliste formateur Bakary Domingo Mané. « Sur la question d’un troisième mandat présidentiel, le peuple est dubitatif vu les précédents revirements à 360 degrés du président SALL », soutient il, faisant allusion à la promesse non tenue du président relative à la réduction de son premier mandat. En tout état de cause, l’opinion publique semble piégée dans des tournures et interprétations constitutionnelles selon les contextes du climat politique en faveur des « pouvoiristes ». Ça craint encore, à en croire l’analyste politique Momar Seyni Ndiaye. Interrogé sur la sortie polémique du ministre de la Justice, Ismaila Madior Fall, à propos de la limitation du mandat présidentiel dans la dernière mouture de la Constitutionnel, l’expert ne cache pas le doute qui l’habite. Car, pour lui, le « en principe » brandi par le garde des Sceaux dans son discours sème le doute dans l’esprit des Sénégalais. Ce n’est guère rassurant.
3ème mandat, le Forum du Justiciable clôt le débat
« La sortie du ministre de la Justice sur la question ne peut nullement semer le doute ou la confusion sur l’interdiction absolue faite par le constituant au président Macky Sall de briguer un troisième mandat », martèle le Forum du Justiciable dans un communiqué. Selon cette organisation, « le deuxième alinéa de l’article 27 de la constitution ci-dessus combiné avec l’article 103 règle définitivement la question du nombre de mandats qu’un Président peut briguer, puisqu’il est précisé que nul Sénégalais ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs. L’élu du peuple ne peut plus rester au pouvoir au-delà d’une décennie », rappelle le Forum du justiciable. « Les deux mandats consécutifs dont fait état le constituant sénégalais sont indifférents d’un mandat de 7 ou de 5 ans. Alors peu importe qu’il soit un mandat de 7 ou de 5 ans, ce qui prévaut en l’espèce, c’est uniquement le nombre de mandats qu’aura exercé le Président en exercice. Ainsi au titre de la « nouvelle » constitution, le mandat de 7 ans (2012-2019) déjà exercé par le Président de la République est considéré comme un mandat et comptabilisé dans le décompte des mandats » conclut le Forum du Justiciable.
Momar Seyni ndiaye, analyste politique : « Je ne vois pas pourquoi Macky Sall serait tenté de dissoudre l’Assemblée nationale »
Sur la question de la dissolution de l’Assemblée nationale, l’éminent éditorialiste et analyste politique Momar Seyni Ndiaye estime qu’un tel débat est prématuré dans la mesure où le président Macky Sall bénéficie d’une majorité confortable au sein du Parlement. En ce sens, ce doyen de la presse estime que le leader de Benno Bokk Yaakar n’est pas confronté à un besoin impératif de mettre en cohérence l’élection présidentielle et l’élection législative. Or, c’est le seul facteur qui devrait justifier une telle démarche politique, d’autant plus que le chef de l’Etat est à son dernier mandat. « Je ne vois pas pourquoi Macky Sall serait tenté de dissoudre l’Assemblée nationale», confie le consultant politique et ancien directeur de publication de votre quotidien préféré. Par ailleurs, pour Momar Seyni Ndiaye, les raisons de l’enclenchement de ce débat par Me Aïssata Tall Sall, juste au lendemain de l’échéance présidentielle, sont à chercher dans la nouvelle posture politique de cette dernière. Selon lui, la mairesse de Podor est dans une dynamique de vouloir se racheter après sa décadence politique engendrée par son acte de transhumance ayant surpris plus d’un. Une stratégie de communication visant à masquer simplement l’horreur que constituer sa transhumance. Donc, pour l’analyste politique, le but recherché par l’ancienne baronne socialiste est de faire oublier la gravité de son geste en décidant de rejoindre le pouvoir à la veille du scrutin présidentiel. Et pour mieux oublier la gravité de ce geste, quoi de mieux que d’offrir à l’opinion publique un os à ronger et un instrument de diversion ?