MAMADOU DIA À CŒUR OUVERT
Nous avons rencontré le président Dia pour discuter de vive voix avec cet homme fier et altier, prisonnier de ses certitudes axiologiques et éthiques, de toutes les questions évoquées avec un style si poignant dans son ouvrage
L’actualité politique sénégalaise a été marquée ces derniers temps par la publication des mémoires de MM. Maguette Lo, ancien ministre et de Mamadou Dia, ancien président du Conseil. La publication de ces deux livres a suscité plusieurs réactions de la part des acteurs des douloureux événements de 1962. Suivant une certaine logique de légitimation ou de justification, beaucoup de personnalités ayant jadis joué un rôle de premier plan sur l’échiquier politique sont intervenus dans le débat pour faire part à l’opinion de leur propre lecture des événements.
Au centre du débat, le président Dia affirme être quitte avec sa conscience après avoir, selon lui, rétabli la véracité des faits. Son livre en tout cas constitue un document d’une rare densité intellectuelle dont les analystes politiques ne manqueront pas de tirer les conséquences.
Nous avons rencontré le président Dia pour discuter de vive voix avec cet homme fier et altier, prisonnier de ses certitudes axiologiques et éthiques, de toutes les questions évoquées avec un style si poignant dans son ouvrage. Nous avons abordé avec ce patriote intransigeant, nourrissant un véritable culte de l’amitié, toutes les questions susceptibles de vous intéresser. Très disponible malgré son âge avancé, le président Dia a évoqué pour nous, le contexte de publication de ses mémoires, les événements de décembre 1962, ses rapports avec ses anciens camarades de l’UPS et de l’opposition d’alors, l’échec de la Fédération du Mali, sa conception de l’Unité africaine, le sens de son actuel combat dans l’opposition sénégalaise, etc. Nous vous livrons le fruit de cette réflexion recueillie à chaud. Et spontanément.
Sud Magazine : Pourquoi des mémoires maintenant seulement ?
Mamadou Dia : Je n’avais pas l’intention d’écrire. C’est à la suite de l’interview de Rolland Collin et sous la pression des amis que j’ai finalement décidé d’écrire. Et puis, il y a eu toute cette controverse alimentée par mes adversaires, alors qu’il y a eu amnistie et ils ont continué à déformer l’Histoire.
Hier c’était Magatte Lo, aujourd’hui c’est vous qui publiez vos mémoires. Cette coïncidence est-elle le fruit du hasard ?
Beaucoup de gens pensent que ce n’est pas un simple hasard et avancent l’hypothèse de la parade car, la sortie de mon livre était annoncée depuis 3 ans.
Pour entrer dans le vif du débat, y a-t-il eu en 1962 de votre part tentative de coup d’Etat ?
Je vous renvoie à mon livre. On ne prend pas le pouvoir quand on a tous les pouvoirs. Le bon sens l’exclut. Il y a des gens qui ont comploté contre le Parti et se sont emparés de l’appareil du Parti alors que j’étais prêt à céder le pouvoir à Senghor.
Comment expliquez-vous l’absence de réaction du parti en votre faveur alors que vous réclamiez le respect de la primauté du parti sur l’Etat ?
Vous savez l’appareil gouvernemental est déterminant dans le jeu du pouvoir en Afrique.
Finalement la politique a eu raison de votre amitié avec Senghor, et vous avez perdu le pouvoir et l’ami
Un homme politique véritable doit faire la part des choses. J’ai le fétichisme de l’amitié. C’est un tort, une insuffisance en politique. Je fais mon autocritique. Cependant, même la politique ne doit pas exclure l’éthique qui est au-dessus de tout. Si vous excluez l’éthique de la politique, il n’y a plus rien du tout. C’est valable en politique comme en religion.
On peut penser qu’après toutes ces années d’isolement, c’est l’amertume, les ressentiments, l’esprit revanchard, qui vous font parler
Je n’ai pas de ressentiments ni d’amertume. Si j’ai pu paraître tranchant dans mon livre, c’est que ce sont les faits que j’évoque qui sont durs, dramatiques. Je devais la vérité à l’opinion. Personnellement, je me considère comme un homme chanceux. Dans cette affaire, c’est le pays qui a perdu.
Vous vous êtes attiré l’inimitié [de] collectivités ... à cause de vos méthodes qualifiées d’autoritaires
Je suis un homme d’autorité mais je suis un démocrate. Il y a des secteurs que ma politique heurtait aussi bien dans leurs privilèges que dans leur conservatisme. Par exemple, la promotion d’un islam éclairé, rénové, ne plaisait pas à tout le monde, la politique coopérative, les champs collectifs tout cela n’était pas du goût de certains.
Pour une certaine opinion, le président Dia, c’était la rigueur et l’assainissement des mœurs bien sûr, mais également une certaine rudesse.
Oui, oui, c’est vrai.
Et ça ne vous a pas toujours gagné les faveurs de l’opinion ...
Oui, sûrement mais moi je pensais qu’il fallait faire simplement ce qu’on avait à faire. Il fallait faire son devoir et je me souciais très peu vraiment de propagande, parce que tout ça c’est de la propagande. Moi je pense qu’on a des tâches à faire, on les fait en toute conscience. Je me suis efforcé tout simplement de mener à bien les tâches qui m’étaient dévolues en toute conscience, sans me soucier vraiment de ce qu’on pouvait en penser.
(…) Dans un passage de votre livre vous dites que quand vous avez été arrêté. Senghor ne voulait pas de procès, il avait des mouvements d’âme, mais que c’est Lamine Guèye et Fofana qui ont insisté ...
Je crois à ça aussi. Je l’ai dit dans le livre. Je crois que Lamine Guèye m’en voulait personnellement parce qu’il me considérait comme celui qui l’a vraiment abattu. Je crois que c’est ça le fond du problème. Lamine Guèye a toujours considéré que s’il n’y avait que lui et Senghor, il n’en aurait fait qu’une bouchée.
Est-ce que ce n’étaient pas des divergences d’ordre idéologique puisqu’il était le principal animateur de la section sénégalaise de la SFIO ?
Non ! Il n’y a pas que ça, parce que Lamine Guèye n’était pas un idéologue. Il avait des principes démocratiques et je l’ai dit : c’était un Républicain et il allait le prouver par son œuvre législative. Il était un grand juriste et je l’ai dit. Il avait une certaine générosité sur le plan politique mais à côté de ça, il était très personnel, Lamine Guèye. C’est lui qui devait régner par don. Il admettait difficilement que des jeunes soient venus le bousculer. Et le jeune loup, ce jeune loup qui a beaucoup contribué à l’époque à abattre Lamine Guèye, c’était moi.
(…) Quels étaient vos rapports avec Abdou Diouf, puisque c’est vous qui l’aviez également nommé gouverneur à l’époque ?
Oui, vous savez qu’Abdou Diouf à l’époque, sa tante, Toutane Basse, était la première militante de St-Louis. Il a été élevé par elle. Cette dernière avait pour moi de l’amitié en plus des relations entre camarades de parti. Il y a également des rapports personnels. Quand elle venait à Dakar, elle descendait chez moi, mais pas toujours puisqu’elle avait des parents ici à Dakar. Donc Toutane Basse avait beaucoup insisté auprès de moi (Abdou Diouf venait de terminer ses études à Paris), elle voulait que je fasse tout pour le faire revenir au pays. Comme je considère toujours mes amitiés, alors j’ai tenu quand même à honorer ce vœu de mon amie Toutane Basse.
C’est ainsi donc que d’abord, je me suis arrangé pour le faire figurer parmi la délégation du Sénégal aux Nations-Unies. J’ai été moi-même aux Nations Unies pour représenter le Sénégal et ça a été l’occasion pour moi d’amener Abdou Diouf avec moi. J’étais ministre de la Défense du Sénégal et également président du Conseil. Je me souviens donc que j’ai nommé Abdou Diouf comme secrétaire général de la Défense, à mes côtés. Puis quelques mois après, c’était la réforme territoriale, il y avait la création de postes de gouverneur de région et c’est en ce moment-là que je l’ai proposé comme gouverneur de la région du Sine-Saloum. J’ai trouvé, d’ailleurs, qu’il avait également un bon dossier. Il n’y avait pas seulement des relations personnelles qui ont joué, il y avait également ses mérites personnels, parce que s’il n’y avait pas eu ses mérites personnels, je ne me serais pas permis de lui confier un poste aussi important. C’était aussi l’époque où je me disais qu’il fallait préparer la relève. J’allais ainsi même mettre un peu partout dans tous les postes importants des Sénégalais, même s’ils n’avaient pas encore l’expérience. Senghor n’était pas de cet avis-là. Mais je pense que c’est en se jetant à l’eau que l’on apprend à nager. En tout cas qu’ils se jettent à l’eau me disais-je ! C’est donc dans ces conditions-là que j’ai nommé Abdou Diouf. Il y en avait d’autres comme Habib Thiam et Babacar Ba, comme mon directeur de cabinet. Donc Abdou Diouf a été nommé comme gouverneur. Là aussi, je me heurtais à l’argument de l’inexpérience et de la non-appartenance au parti. Alors là, j’ai parlementé avec eux pour les convaincre d’entrer au parti, ce qu’ils ont fait d’ailleurs.
Quel rôle a joué, lors des événements de 62, Abdou Diouf en tant que gouverneur ?
Mais il a fait comme tous les autres gouverneurs, aussi je n’ai pas compris. On a voulu faire un sort spécial à Abdou Diouf. La vérité c’est que tous les gouverneurs de l’époque me soutenaient et quand on leur demandait d’envoyer des messages de soutien à Senghor, ils étaient tous réticents. Ily avait Amadou Arona Sy à Ziguinchor. Valentin était alors à Thiès. Abdou Diouf a résisté quelques temps. Je dis le seul qui a résisté jusqu’au bout, c’est Amadou Arona Sy, mais ça on ne le dit pas. On dit qu’Abdou Diouf a été le seul, ce n’est pas vrai, c’est une façon de déformer l’histoire.
Est-ce qu’effectivement il a envoyé la motion de soutien à Senghor parce qu’il y a une controverse jusqu’à présent ?
Ça je ne sais pas. C’est des détails, ça je l’ignore. Ce que je sais c’est que tous les gouverneurs de région étaient réticents d’abord. Je dis qu’après, le seul qui ne se soit pas enrôlé, c’est Amadou Arona Sy
Vous vouliez à l’époque que la génération de Abdou Diouf prenne la relève, aujourd’hui la relève est assurée par Abdou Diouf, est-ce que vous regrettez votre option de départ puisque vous vous opposez à lui aujourd’hui ...
Certainement je l’ai dit, mais j’étais de bonne foi, je ne le regrette pas et je pensais qu’il fallait mettre les gens devant leurs responsabilités. Pas seulement d’ailleurs assurer une relève sur le plan politique, mais aussi une relève sur le plan administratif. Je crois que ça aussi, c’est important. Il fallait que ce soit des Sénégalais. Senghor lui n’avait pas confiance aux Sénégalais. Il me disait : « Dia attention, on n’est pas prêt, il faut se préparer vous savez ». II faut que les gens se jettent à l’eau. Je crois que c’est une idée qu’il faut défendre. Il faut la relève et aujourd’hui encore je défends la politique de la relève. Mais relève avec qui ? C’est ça le problème.
(…) Il y a peut-être une question qui concerne vos mémoires parce que nous avons eu beaucoup d’échos et les gens disent que vous êtes trop tendre avec Senghor, même à la limite, câlin.
Oui, mais je pense que je n’arrive pas à faire preuve de hargne à l’égard de Senghor, pas plus d’ailleurs que je dois le faire à l’égard de qui que ce soit, à plus forte raison à l’égard de Senghor. Je considère qu’il y a des liens anciens. J’ai raconté comment j’ai connu Senghor, comment nous avons ensemble milité, nous nous sommes battus ensemble, même si par la suite, il y a eu ce qu’on peut appeler trahison de sa part. Ces choses-là, on ne peut, du jour au lendemain, les gommer. Moi, je suis un homme avec ma nature, ma sensibilité. Bon, je pense que je peux avoir porté un jugement politique sur cela, mais ça ne peut pas altérer ma sensibilité personnelle. Je l’ai dit d’ailleurs, il a exercé sur moi un certain charme. Je crois d’ailleurs que tous ceux qui ont rencontré Senghor reconnaissent que le personnage est séduisant. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a eu aussi à posséder tous ses compagnons, tous ses amis. Je ne suis pas le seul à avoir subi le charme du personnage. Oui, et j’ai parlé du fétichisme de l’amitié, c’est moi qui suis ainsi fait. Malgré tout, il y a des choses que je respecte.
Et puis, il faut dire que politiquement, j’ai eu raison. Ayant eu raison vraiment, et je crois avoir raison, ai-je besoin de piétiner ce personnage ? Je crois que c’est inutile.
Vous avez tu beaucoup de choses sur Senghor qui auraient pu être plus graves
J’ai dit ce que je devais dire sur le plan politique, aux gens, à mes compatriotes. Ce que je sais sur le plan personnel, ça c’est autre chose. Je n’ai pas à dire ce que je sais. Non seulement de Senghor mais aussi des autres. Il y a des choses que je devrais porter à la connaissance de l’opinion, c’est ce que je me suis efforcé de faire sans donner l’impression que je nourris une haine quelconque à l’égard de Senghor. Je n’ai pas de haine et c’est même dommage que Senghor n’ait pas tout à fait compris cela parce que je pense que s’il avait compris, il aurait même, pendant qu’il était encore au pouvoir, pu essayer de faire encore quelque chose. Et je l’aurais aidé certainement dans la mesure où vraiment, il aurait fait son autocritique, ce qu’il n’a jamais fait. Je crois qu’il n’a pas compris
(…) Senghor, depuis qu’il a quitté le pouvoir vous êtes-vous rencontrés?
Non je l’ai vu deux fois quand il était encore au pouvoir, c’était au lendemain de ma libération quand je suis allé le saluer et le remercier de nous avoir remis en liberté sans conditions, sans que nous le demandions. Je suis allé le revoir une deuxième fois quand j’ai créé l’Internationale africaine des Forces pour le Développement, pour lui soumettre le projet, lui en exposer les mensurations. Je crois que ce sont les deux fois que j’ai rencontré Senghor. Depuis, on ne s’est pas vus. Quand il a perdu son fils, je lui ai envoyé une lettre de condoléances dont il semblait être très touché d’ailleurs parce qu’il m’a répondu en des termes touchants. Pour moi, vraiment, les rapports humains c’est autre chose que les rapports politiques. Quand deux ans après, à mon tour j’ai perdu mon fils, il m’a adressé une lettre de condoléances. Mais depuis, nous ne nous sommes pas vus.
Vous étiez prêt à renouer avec Senghor à votre sortie de prison ? Vous avez dit que vous l’aviez invité à la discussion politique mais qu’il a refusé. S’il avait accepté y aurait-il eu une possibilité d’un nouveau départ ?
J’aurais discuté avec lui. Je ne sais pas s’il y aurait eu une possibilité, ça moi, je n’en sais rien. En tout cas je pensais qu’au lendemain de notre libération, étant donné la situation du pays, de son échec manifeste, il pouvait comprendre qu’il y avait là une planche de salut que je lui tendais. Je pensais à discuter de la façon de reprendre les choses mais pas pour partager le pouvoir, créer pour moi une vice-présidence et ce n’est pas le problème pour moi. S’il était d’accord sur un programme de redressement national, un programme de rénovation nationale, en ce moment-là, j’aurais certainement aidé à la réalisation de ce programme sans prendre d’ailleurs une responsabilité active dans un gouvernement quelconque. Mais j’étais prêt en ce moment-là, mais, malheureusement, il n’a pas accepté.
(…) Vos rapports avec le patronat de l’époque surtout étranger ?
Ils étaient contre la politique de socialisation. Cependant je distingue entre les intérêts privés et le gouvernement français.
Comment vouliez-vous la Fédération à l’époque ? Quels étaient les instruments de cette Fédération ? Comment devaient-ils se mettre à l’œuvre concrètement ?
Vous reprenez les statuts de la Fédération du Mali. A l’époque il y a eu d’abord le Congrès du PFA, son document qui avait défini les structures de la fédération, -sa politique sur tous les plans : intérieur, économique et financier, les projets, et sur le plan constitutionnel ainsi que sur celui de la diplomatie. C’est pourquoi, je crois que vous avez intérêt à aller aux sources, il y a quand même dans ce livre des indications où je donne des précisions. Il y a la Fédération du Mali, sa Constitution. Donc il y avait vraiment tous les instruments de la Fédération. J’ai expliqué aussi dans « Nations africaines et Solidarité mondiale », dans la postface, (si vous ne l’avez pas lu je vous l’indique).
La Fédération du Mali donc a échoué alors que vous vous aviez de réelles convergences avec Modibo Keïta ?
Ah oui !
Vous avez également joué un rôle déterminant dans l’éclatement ?
Oui, c’est vrai parce que là aussi je pense que Modibo Keïta n’a pas joué le jeu. Il ne suffit pas d’avancer qu’on est d’accord pour telle fédération, s’il faut utiliser la fédération pour dominer un Etat, un territoire, un peuple. Ça on ne peut pas être d’accord et, manifestement, c’était la démarche de nos partenaires du Soudan. Ce qu’ils voulaient, c’était exercer une sorte d’hégémonie sur le Sénégal. C’était clair. Et le débat d’ailleurs qu’on a eu avec eux, Senghor qui l’avait présidé, l’a montré, indiquait qu’ils intervenaient dans les affaires intérieures du Sénégal. Nos correspondances étaient violées ainsi que celles de nos camarades syndicalistes. Des responsables syndicalistes, Abdoulaye Ba, a fait état comme responsable syndical des correspondances qui ont été violées par le ministre de l’Information du Mali.
Comment voyez-vous l’évolution probable des relations arabo-africaines et quelle solution préconiseriez-vous?
Je pense qu’il faudrait reprendre tout ça. Peut-être même qu’il faudrait une conférence et cette conférence devra être préparée. Bien sûr, de temps en temps, ils tiennent des conférences, ils appellent ça des conférences islamiques, des pays islamiques et sous le manteau de l’Islam. Là il faudrait vraiment démystifier parce que si on fait ces choses-là en disant que c’est sous le couvert de l’Islam, le résultat n’est pas valable parce qu’il y a des chefs d’Etat non musulmans. Tandis que si on disait qu’il y a une solidarité qui doit exister entre les pays arabes et les pays africains en tant que pays anciennement dominés et qui continuent d’ailleurs de l’être, sur cette base là, on peut tenir des conférences et on verra comment maintenant réaliser cette coopération. Cette coopération doit d’abord être économique. Quand je dis économique, il ne s’agit pas seulement d’aide mais de projets concrets de développement. Surtout sur le plan économique, financier, sur le plan des échanges : il y a des tas de choses qu’on aurait dû faire et qu’on n’a pas faites. Quand on se réunit sous le couvert de l’Islam, on est en train d’escamoter les problèmes vrais de la solidarité entre les pays arabes et nos pays.
Vous pensez donc que les conférences organisées sous le couvert islamique, ont pu être un facteur qui a peut-être marginalisé les Etats qui ont reconnu Israël ?
C’est évident. Ces problèmes sont des problèmes politiques concrets. Il y a l’Islam, d’ailleurs on ne peut pas l’exclure de cela. Je pense que l’Islam avait même sa place au sein de ces conférences-là, mais si on fait uniquement sous le couvert de l’Islam, je dis que c’est même restreindre la portée de cette conférence-là. Ça c’est mon avis et je le dis en tant que musulman.
Donc vous serez pour une suppression de l’organisation de la conférence islamique ?
Non ! S’ils préfèrent la conférence islamique, qu’ils la maintiennent. Je dis ce qui est encore plus important, c’est quelque chose qui déborde, qui dépasse cette conférence islamique. Cette conférence islamique est une conférence politique mais dans le sens vulgaire du terme politique. C’est une conférence politicienne, une conférence de politiciens. Voilà ce que je pense moi de ça qui n’a rien à voir avec l’Islam. Qu’est-ce qu’on a fait pour l’Islam ? Il n’y a pas de projet concret, il n’y en a pas. Alors on se sert tout simplement du drapeau de l’Islam. Moi je dis que ce n’est pas honnête. Je n’exclus pas que les pays musulmans discutent entre eux de l’Islam mais il faut dépasser cela et cesser surtout d’exploiter l’Islam à des fins politiciennes.
Mais peut-être que ça nous amène à un problème plus national ...
Est-ce qu’il est normal qu’un pays comme le nôtre, que notre gouvernement qui se dit laïc puisse présider une conférence islamique, vous trouverez cela normal ? Voilà des contradictions.
Que pensez-vous de la résurgence de l’Islam au Sénégal. Il y a des gens qui prônent carrément une société musulmane islamique régie par la Charia et donc la fin de la laïcité ?
Nous pensons d’ailleurs que l’avenir est aux institutions musulmanes dans des pays comme le nôtre. Mais nous pensons qu’il faut préparer cela et que l’exigence c’est d’abord de former les Musulmans. Mais nous pensons que dans l’état actuel des choses, la création au Sénégal, d’une République islamique, ce serait vraiment un désastre. Parce que les gens n’ont pas d’éducation islamique. Ce serait les féodaux qui prendraient le pouvoir. En tout cas nous insistons surtout sur l’éducation islamique, la formation d’abord.
Et quel est votre point de vue sur la laïcité ?
Oui c’est çà, je dis que ce n’est pas sincère. La laïcité du Sénégal est une laïcité hypocrite. Le chef de l’Etat du Sénégal est vice-président de la Conférence islamique. Alors où est la laïcité. D’un autre côté également quand on parle du président de la République, il se rend régulièrement dans certaines métropoles islamiques pour prendre des instructions. Tout le monde le sait. Où est la laïcité ! Mais ily a un phénomène important et grave qu’il faut signaler qui aussi représente un dangerréel pour la religion et qui explique également cette émergence de ce qu’on appelle aujourd’hui l’intégrisme musulman. Il y a une sorte de provocation de la minorité religieuse soutenue par le pouvoir. Tout le monde parle par exemple de distribution de secours internationaux. Celui de la Croix Rouge « catholique », ça aussi ce sont des choses qui posent ce problème-là. Là aussi, la majorité musulmane se sent frustrée.
Quelle serait la place de la minorité catholique dans un Etat islamique?
Vous savez que l’Islam reconnaît ses droits à cette religion surtout dans la constitution de Médine. Là, non plus, les gens qui parlent d’intégrisme, n’ont pas étudié les institutions musulmanes. Depuis la constitution de Médine, l’Islam accorde une place aux minorités religieuses. Les Juifs, en particulier, qui étaient les principaux ennemis de l’Islam ont des droits reconnus dans la constitution de Médine et ce sont les Juifs qui, dans le premier Etat islamique, jouaient sur le plan économique et en particulier sur le plan bancaire, le rôle le plus important. S’il y a une religion de tolérance c’est l’Islam.
Mais est-ce que vous ne pensez pas que l’existence de l’Islam confrérique au Sénégal soit un frein?
Ah ! Je crois que dans un sens ça n’aurait pas dû l’être, malheureusement ça l’est. D’abord, ça divise les Musulmans alors que les confréries n’étaient pas faites pour ça au départ. Mais en fait, c’est devenu maintenant un handicap parce que c’est une source de division quand on arrive maintenant à ne plus pouvoir se mettre d’accord sur une date pour le Carême, pour la rupture du Carême, pour la Tabaski, qu’on ne puisse plus se mettre d’accord pour le premier jour de l’année musulmane, la Tamkharit. Je pense là, il y a conflit.
(…) Comment s’analyse la léthargie de l’opposition au Sénégal ?
Il y a des gens qui créent des partis pour affaiblir l’opposition véritable. Ceux-là servent le pouvoir. L’opposition se manifeste par des attitudes et non pas seulement par des discours et des proclamations. Nous avons toujours cette idée de conférence nationale des forces populaires pour le changement qui réunirait les forces vives de la Nation organisées ou non au sein de l’opposition. Evidemment le pouvoir et ses satellites ne sont pas partie prenante dans ce processus, car, ils font partie du problème mais pas de la solution. Nous avons enregistré des réactions positives. Cependant, il y a des partis qui ne sont pas très indépendants, et il y a aussi qu’il faut transcender les problèmes de préséance pour ne prendre en compte que l’intérêt national
De plus en plus, on parle des responsabilités de l’opposition sur la situation actuelle. On dit que l’opposition aussi a trahi. On a entendu même Majhmout Diop le dire.
Et vous m’avez également entendu renchérir. Oui mais étant donné ce que nous savons du pouvoir, tous les secteurs de l’opposition disent qu’il n’y a rien à faire avec ce pouvoir. Or la seule façon de faire face, je pense à ce pouvoir-là, c’est entreprendre sa liquidation dans l’intérêt national. On est d’accord. C’est ça, il faut qu’elle soit conséquente avec elle-même et là essayer de se regrouper sous la forme la plus efficace, la plus crédible. Or une coordination ce n’est pas efficace, ce n’est pas crédible. Il faut absolument que les gens acceptent de se regrouper dans une structure organique disciplinée. C’est de cette façon-là que l’opposition pourra être crédible. Il y a là des tas de gens qui attendent, qui disent : « Mais nous on veut bien ». Même au P.S., il y a aujourd’hui des secteurs importants qui sont prêts à suivre l’opposition mais pas une opposition dispersée. C’est ça la faute de l’opposition. C’est pourquoi nous insistons sur la nécessité d’un front organique.
Est-ce que vous pouvez affirmer que l’opposition a trahi dans ce cas-là ?
Ah, oui, je pense que si l’opposition continue de tergiverser surtout, dans la situation actuelle, ce serait une trahison, c’est évident. Les misères du pays sont telles qu’il faut absolument liquider ce pouvoir qui se révèle absolument inefficace, qui ne peut régler aucun problème, même le problème des semences comme des engrais, assurer une bonne rentrée des classes, la lutte antiacridienne qui dure depuis trois mois. L’alerte est venue de l’extérieur, des organisations internationales.
Mais à quoi vous attribuez la dispersion de l’opposition. Est-ce un problème de personnes, de préséance ou autre chose ?
Je crois qu’il y a eu un peu de tout ça, de tout ce que vous dites là. Je crois qu’à un moment donné, peut-être même jusqu’ici encore, ily a des problèmes de personnes. Encore que certains malgré tout, aient transcendé ces problèmes de personnes. Il y a aussi, peut-être, le fait que tous les partis ne sont pas libres de se déterminer même sur le plan des alliances. Il y a des partis qui reçoivent des mots d’ordre malheureusement, il en existe, de l’extérieur. Evidemment ils ne peuvent pas se déterminer en toute indépendance. Moi je crois que c’est là que se trouve la responsabilité de l’opposition. Il est à l’opposition de savoir qu’il est d’intérêt national, qu’elle essaie justement non pas de se saborder mais de faire front dans la cohésion. C’est ça le problème. Ce front patriotique, nous disons que c’est un front structurel, organisé, discipliné avec un seul chef.
Y a-t-il à vos yeux un danger d’intervention de l’armée sur la scène politique au Sénégal ?
Le danger pourrait exister à terme mais, il n’est pas immédiat, mais d’autres forces réactionnaires peuvent faire une incursion. Seulement, en aucun cas, l’armée ne peut être une alternative démocratique ni même efficace.
Que vous inspire la jeunesse d’aujourd’hui ?
Espoirs. Néanmoins, il semble qu’aujourd’hui, il y a beaucoup moins de jeunes militants. Il y en a qui font de la politique par clientélisme. Il y a aussi des jeunes qui essaient de dire NON. Mais d’une manière générale les jeunes sont devenus plus prudents, moins enclins aux sacrifices qu’exigent les épreuves.
Et la presse ?
Il faut regretter ce qu’elle est devenue. Il n’y a plus de vocation journalistique, il y a une sorte de démission. Indépendamment des dispositions des lois, il y a les dispositions d’esprit. La presse des partis ne fait guère mieux. Elle ne soulève pas non plus les problèmes du pays, le concret, mais reflète plutôt des idéologies et de l’intellectualisme.
Seriez-vous prêt à exercer le pouvoir à nouveau ?
Ecoutez, mes mémoires, je les considère simplement comme une mise au point. Je n’ai pas de prétentions pouvoiristes. Ceux qui me considèrent comme un rival se trompent. Je ne veux appartenir à aucune structure de pouvoir
Quelle image voudrez-vous que la postérité garde de vous ?
Oh, ça c’est m’est égal. L’image qu’elle voudra mais l’essentiel pour moi c’est de lui donner suffisamment d’informations qui lui permettent n’est-ce pas de se faire l’image la plus correcte. Ce que je souhaite tout simplement c’est qu’elle puisse choisir objectivement l’image qu’elle veut bien se faire de ma personne