MAMADOU NDIAYE, L'ENQUÊTE SANS PROTOCOLE
Nommé le 29 décembre au poste de chef du service du protocole de la présidence, l’ambassadeur a pris fonction, lundi. Ce diplomate peu connu a réussi à se faire discret durant tout son brillant cursus. L’Observateur lève le voile sur une partie de sa vie
Ses débuts annoncent la couleur. La ligne qu’il s’est tracé est révélatrice de la marque qu’il compte donner à sa nouvelle fonction qu’il a officiellement prise, hier, lundi 28 février 2022. Mamadou Ndiaye, nommé depuis le 29 décembre 2021 chef du service du protocole de la Présidence de la République en remplacement de Sall admis à faire valoir ses droits à la retraite, tient trop à ce qui fait l’essentiel de la fonction : la discrétion. L’entretien téléphonique que L’Observateur a eu avec lui avant-hier et hier, suffit pour comprendre que l’homme veut rester loin de l’espace public. En atteste la supplique qu’il a faite : «Je ne dois pas vous demander de ne pas faire votre travail, mais vous me rendrez un grand service de ne pas écrire sur moi. Ça me gêne qu’on parle de moi. Ma personne n’est pas importante.» Et toujours dans sa volonté de rester à l’écart de l’espace médiatique, l’ancien ambassadeur du Sénégal en Chine a même cherché des «renforts». Une démarche qui reflète parfaitement la personnalité du diplomate. «Il est d’une humilité que lui-même ne peut expliquer. Sa modestie dépasse les limites», résume un ami de plus de trente ans.
Ce témoignage apparaît dans le quartier «Aïnoumane» de Pikine où il a grandi. Il est tellement effacé que beaucoup de personnes peinent à réaliser qu’il occupe un poste aussi stratégique. A la maison familiale sise à Pikine Rue 10, la discrétion et la retenue est comme contagieuse. Ses frères et sœurs trouvés, hier lundi, en début de soirée, se refusent de parler de leur parent, surtout en ce jour de Kazu Rajab, coïncidant avec l’anniversaire du décès du père de famille, feu Gorgui Serigne Ndiaye. Une cérémonie sobre de récital du Coran occupe la famille Ndiaye. «Mamadou était là hier pour participer aux derniers réglages du récital de Coran que nous organisons chaque année pour la mémoire de notre défunt père. A la place de témoignages, nous préférons formuler des prières afin qu’il réussisse cette nouvelle mission», coupe net son frère, Djibril. «D’ailleurs, ce n’est pas le genre de personne à aimer qu’on parle de lui», agrémente la voix de la famille.
Le poids de l’éducation
Pourtant, l’avertissement a été donné quelques minutes plus tôt par le voisin du nom de Cheikh Tidiane Sow qui a guidé nos pas dans la rue sablonneuse qui mène vers la maison familiale du nouveau chef du service du protocole de la Présidence de la République. «Ils sont d’une éducation telle qu’ils pourraient avoir des difficultés à vous parler», avait alerté Cheikh Tidiane à la porte de la maison avant de nous inviter à tenter le coup. Le voisinage se rappelle encore sa grande surprise ce jour où l’adolescent Mamadou Ndiaye s’était illustré dans la maîtrise de la langue de Shakespeare. «On était tous restés bouche-bée. C’était à l’occasion de la visite d’un jeune Anglais dans cette partie de la banlieue. Il n’y avait personne pour lui parler à part ceux qui l’avaient fait venir. Dans la rue, lorsque Mamadou Ndiaye l’intellectuel est apparu, il a clairement communiqué avec lui. On était à la fois surpris et fier de lui», témoigne Cheikh Tidiane Sow. D’après lui, ce n’est pas un hasard car le jeune Mamadou Ndiaye était soumis au contrôle sans faille et très contraignant d’un «père rigoureux». «Casanier, il sortait très peu. Les rares fois qu’il mettait le nez dehors, c’était pour s’isoler avec un ami dans la cour de l’école d’à côté pour bouquiner. Toujours la tête dans les livres, il était très peu bavard à la limite timide», se rappelle-t-on. Dans le quartier où il a gardé le contact avec ses amis d’enfance, on loue sa piété héritée d’un père fervent mouride adossé à l’orthodoxie en Islam. «Quand Gorgui Serigne Ndiaye se rendait à la mosquée à l’heure de la prière, il en imposait par sa piété et cela a déteint sur ses enfants tous très pieux.»
«Poli, mais ferme et rigoureux»
Dans la maison familiale certes propre, le luxe et la démesure ne semblent pas être la préoccupation majeure. A l’entrée, il y a un grand salon où des jeunes dispersés sur une natte, viennent de terminer le récital du Saint Coran. Cette humilité est dans le sang de Mamadou Ndiaye qui, même pour rendre visite à sa famille, gare son véhicule près de la mosquée «Sang Soul» pour continuer à pied le reste du chemin long de quelques centaines de mètres. «Juste parce qu’il ne veut attirer l’attention sur lui», s’étonne un voisin. Qui jure que ces qualités prédisposent l’homme à réussir la mission. «Le Président ne s’est pas trompé de choix. Il partage beaucoup de traits avec feu Bruno Diatta».
Seulement, derrière le calme d’un homme «poli avec beaucoup d’urbanité», se cache la force d’un professionnel rigoureux et ferme sur les principes dans le travail», témoigne un ancien collègue aux Affaires étrangères. «Un intellectuel discipliné, la mise toujours correcte, très peu bavard», ajoute-t-on. Son parcours scolaire peur justifier sa position actuelle. Comme tous les enfants de son âge, Mamadou Ndiaye a fait le cycle primaire à l’école 7, puis le Ces de Pikine pour le Secondaire avant de terminer au Lycée Lamine Guèye de Dakar. Jeune banlieusard, l’actuel chef du service du protocole de la Présidence de la République a émerveillé ses camarades de lycée qui retiennent de lui l’image tenace d’un «jeune toujours tiré à quatre épingles. Il a émerveillé par sa passion pour la lecture. C’est un passionné de lecture, il aime beaucoup André Malraux et a été très séduit par son discours lors du transfert des cendres de Jean Moulin à Paris. Un discours dont on dit qu’il est le plus beau de la langue française», témoigne un de ses plus vieux amis. «Il a l’élégance du verbe et la rigueur de l’argumentaire héritées de Senghor et d’Ousmane Sembène. Sa passion pour Malraux et André Gide ne l’éloigne pas pour autant du Président-poète Léopold Sédar Senghor et du cinéaste Ousmane Sembène dont il est un grand spécialiste. Passionné de littérature, ses discussions portent très souvent sur les lettres», selon les confidences de son ami lié par une relation tissée depuis 1987, année où ils se sont rencontrés à l’École nationale d’administration et de magistrature (Enam) devenue aujourd’hui l’Ecole nationale d’administration (Ena). Depuis, ils ne se sont plus quittés.
Une carrière remplie
Sa réussite d’entrée à l’Enam, son aîné Baïla Talla, s’en souvient. Il venait du ministère de l’Environnement où il était à l’Inspection des opérations financières. D’après lui, Mamadou Ndiaye s’était lancé le défi de réussir de façon magistrale le concours, «même si cela n’a surpris personne». «Avant, il y avait le Centre de formation et de perfectionnement administratif (Cfpa) et à partir de 1987, le Cfpa a été intégré dans l’Enam comme cycle B», précise-t-il. L’actuel patron du protocole du palais a fait Administration générale. Son premier poste d’affectation, c’était à Kolda, au Contrôle régional des Finances (Crf). C’est après qu’il a rejoint la Direction du Budget, à l’Inspection des opérations financières. En 1998, il a réussi le concours professionnel à l’Enam. Il a fait deux ans de formation comme conseiller aux affaires étrangères, à la section Diplomatie. Après sa formation, Mamadou Ndiaye est affecté naturellement au ministère des Affaires étrangères où, pendant deux ans, il a été chef de la division Asie. En 2002, il est affecté au Japon où il a fait 6 ans. Deux ans après son retour, il a été nommé directeur Afrique-Asie. En 2011, il repart au Canada pour occuper la fonction de ministre-conseiller à Ottawa. C’est en 2013 qu’il a été nommé ambassadeur à Séoul en Corée puis en Chine où il a fait trois ans. Dans ces deux pays, témoigne-t-on, «il a boosté les relations bilatérales avec le Sénégal. Un succès retentissant avec à la clé de grands accords décrochés par le Sénégal. C’est lui qui a donné un sens au rôle moderne d’un ambassadeur avec notamment la coopération économique particulièrement avec la Chine, une très grande puissance économique réputée très âpre dans les négociations pour signer des accords», confie Baïla Talla.
De ce monogame et père de quatre enfants, ses amis retiennent aussi les qualités d’un «homme extrêmement sérieux». «Il ne fume pas, ne boit pas de thé. Il est pieux. J’ai connu ses parents qui l’ont toujours béni. Il est toujours en relation avec ses amis d’enfance, ceux de Pikine, ceux du Lycée Lamine Gueye, de l’Enam. C’est un fédérateur. On le considère comme notre baobab». Un témoignage appuyé par l’anecdote racontée par son aîné, Baïla Talla : «A la veille d’une fête de Korité, j’ai reçu le coup de fil d’une dame. C’était la sœur de Mamadou Ndiaye qui me dit que je figure sur une liste de personnes à qui elle doit envoyer de l’argent de la part de son frère. J’ai reçu 70 000 FCfa de Mamadou. Un coup de main donné à des retraités. Le geste est grand et me fait toujours plaisir.»
SAMBA MANGANE, ANCIEN CHEF DU SERVICE COMMUNICATION DU MINISTERE DES AFFAIRES ETRANGERES : «Il n'est pas en terrain inconnu, il a participé à l'organisation de la Coupe du monde 2002, avec l'ambassadeur Gabriel Sarr»
«L'Ambassadeur Mamadou Ndiaye qui a pris le relais de Cheikh Tidiane Sall depuis le 28 décembre 2021, comme chef du service du protocole de la Présidence de la République, a les aptitudes, car ayant commencé sa carrière diplomatique auprès d'un homme du sérail, en l'occurrence l'ambassadeur Gabriel Sarr avec qui il a participé à l'organisation de la Coupe du monde 2002 au Japon. Il est décrit par ses collègues et proches comme un homme très correct et un travailleur acharné. Il fait partie des meilleurs diplomates du ministère. C'est un homme calme, discret, disponible, rigoureux dans le travail, très réservé, d'une grande disponibilité, réactif et courtois. Avec ces qualités, on peut dire que l'homme qui a pris service il y a quelques jours, est capable de diriger ce prestigieux et important service du protocole de la présidence.»