NON À L’AMNÉSIE, PROFESSEUR !
La position fluctuante d’Ismaïla Madior Fall semble épouser la courbe des inflexions de Macky Sall et la position des nonistes extrémistes de l’APR sur la question de la réduction du mandat
Depuis que le conseiller juridique du président de la République, Ismaïla Madior Fall, a déclaré dans l’émission Remue-ménage de la RFM du 3 janvier que «les avis rendus par le Conseil constitutionnel lient le président de la République», le débat politique sur la réduction du mandat présidentiel est relancé. Mais la nouveauté cette fois-ci est que les juristes, notamment les professeurs agrégés de droit et spécialistes des questions constitutionnelles, s’en mêlent.
Quand le missi dominici juridique du Président soutient : «On n’est pas dans le cadre d’un organisme consultatif, on est dans le cadre d’une juridiction constitutionnelle, c’est un avis judiciaire. Par conséquent les avis rendus par le Conseil constitutionnel lient le président de la République», son collègue Babacar Guèye prend le contrepied : «Macky Sall n’est pas tenu de se soumettre à l’avis que donnera le Conseil constitutionnel. C’est juste un avis, et un avis qui ne lie pas le président de la République».
D’autres professeurs de droit, en l’occurrence Ababacar Guèye, Abdoulaye Dièye, Pape Demba Sy et Ousmane Khouma, rament à contre-courant de la thèse de leur collègue Ismaïla Madior Fall. Aujourd’hui les déclarations des deux camps sur la question du mandat ont créé un véritable bastringue à travers les organes médiatiques qui leur servent de cadre de joutes intellectuelles pour éclaircir cette question qui semble devenue un véritable serpent de mer. Maintenant les politiciens de tous bords, dans leurs outrances, entretiennent un gloubi-goulba autour de cette question pour prendre position pour ou contre un des camps selon leur appartenance politique. Cette situation explosive nous ramène à cette controverse pré-électorale de 2012 où la problématique du 3e mandat d’Abdoulaye Wade maintenait la température du débat public surélevée.
Toutefois, nous faisons remarquer à Ismaïla Madior qu’arguer que le Conseil constitutionnel n’est pas «organisme consultatif mais une juridiction constitutionnelle» pour justifier un éventuel avis défavorable de ladite juridiction, c’est vouloir embrouiller les pistes qui mènent vers la révision du mandat présidentiel alors qu’il est dans son rôle de conseiller juridique du premier magistrat du Sénégal d’éclairer la lanterne des Sénégalais sur cette question qui s’obscurcit à mesure que l’on s’approche des échéances électorales.
Il faut préciser que le Conseil constitutionnel dispose d’une double compétence : juridictionnelle et consultative. Par conséquent, il est étonnant d’entendre Ismaïla Madior dénier au conseil constitutionnel toute attribution consultative. D’ailleurs c’est ce que dit l’article 51 de la constitution en son alinéa 1 : «Le Président de la République peut, après avoir recueilli l'avis du Président de l'Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel, soumettre tout projet de loi constitutionnelle au référendum.»
Maintenant la question est de savoir si la consultation de ladite juridiction par le président de la République produit un avis simple ou avis conforme. Aujourd’hui le point de divergence entre Madior et ses autres collègues tourne autour de l’appréciation de cet avis d’autant que l’article 51 de la constitution reste muet là-dessus. Et c’est l’imprécision du texte constitutionnel qui ouvre la voie à toutes les supputations interprétatives subjectives. Si Madior dit que l’avis est conforme, ses collègues rétorquent qu’un avis conforme (c’est-à-dire un avis auquel l’autorité compétente doit se conformer) n’est exigé que lorsque le texte le prévoit expressément. Or dans ce cas figure, rien n’a été dit expressément concernant l’article 51 de la Loi fondamentale. Autrement dit, l’avis simple qui en découlera ne contraindra en rien le président de la République.
Aujourd’hui la position fluctuante d’Ismaïla Madior semble épouser la courbe sinusoïdale des inflexions vocales de son mentor et la position grandissante de nonistes extrémistes de l’Alliance pour la République (Apr) sur la question de la réduction du mandat présidentiel. Pourtant dans une interview accordée au journal Le Quotidien le 11 octobre 2014, sa position sur la réforme en question ne souffrait d’aucune ambiguïté. Il défendait : «Aujourd’hui, si on dit qu’on va réduire le mandat du président de la République de 7 à 5 ans, à mon avis, c’est une innovation intéressante. Lorsqu’on dit qu’on va limiter les mandats à deux et faire en sorte que cette disposition ne puisse plus être révisée, c’est aussi une disposition intéressante et qui va définitivement régler cette question qui a toujours agité le système constitutionnel sénégalais… Donc, ni mandat unique ni mandat renouvelable ad infinitum mais deux mandats. Cela me semble être la bonne mesure, le juste milieu qu’il faut garder.»
Aujourd’hui la majorité des Sénégalais opte pour un quinquennat et le candidat de Bennoo Bokk Yaakaar et de Macky 2012 dans l’entre-deux tours de la dernière présidentielle l’a vivement apprécié à l’aune du tonnerre d’applaudissements qui a salué une telle annonce lors d’un meeting public. Et si le président de l’APR s’y était engagé et l’a réitéré une fois élu, il sait que l’initiative agrée la masse des Sénégalais. Ainsi vouloir, compte tenu d’un certain doute sur sa réélection en 2017 ou d’une volonté de finir des projets, se contorsionner dans des arguties politico-juridico-légales pour faire machine arrière, c’est commettre une forfaiture, plus précisément un parjure.
Le président de la République n’a pas le droit de rester sourd, mutique et de faire abstraction de la volonté du peuple sous le prétexte du respect du serment constitutionnel, lequel ne puise sa force que dans la source de la légitimité populaire qui délègue le pouvoir constituant. Dans un État de droit, ce pouvoir constituant appartient d’une manière directe ou indirecte au peuple. À cet égard, nous voudrions rappeler au conseiller juridique du Président ses propos encore frais émis sur les ondes de la RFM le 29 janvier 2012 contre le Conseil constitutionnel au lendemain la validation de la candidature d’Abdoulaye Wade à la présidentielle : «Les juges constitutionnels ne devaient pas ignorer la valeur éthique de la déclaration du président Wade de 2007, lorsque lui-même indiquait qu’il ne pouvait pas se présenter… Les manifestations et l’effervescence populaire, le Conseil constitutionnel ne doit pas les ignorer. Il ne peut pas les ignorer. Un juge constitutionnel doit aussi être à l’écoute de sa société politique. Parce que le droit constitutionnel, c’est un droit dans lequel il y a des considérations non juridiques qui influent et parfois influencent la décision du juge».
Si le professeur émérite de droit est toujours à cheval sur ses propos de 2012, aujourd’hui, il doit éviter toute posture mi-figue mi-raisin ou amnésique qui serait synonyme de déni d’équité ou de reniement de ses principes. Ainsi le juge ne doit pas s’embarrasser d’un respect du septennat en cours au nom de la légalité constitutionnelle mais prendre en compte la légitimité populaire qui est en phase avec le quinquennat. Ce ne sera qu’un retour légitime au statu quo ante puisque c’est le président Wade qui avait réintroduit, à travers la voie parlementaire, le septennat rejeté par le peuple depuis la constitution de 2001.
En politique, la légitimité va avec la volonté, les sentiments et les idées du peuple. «C’est la force de l’opinion pour emporter l’adhésion» comme dit David Hume.
PS : Nous précisons au Premier ministre que les professeurs de droit et sciences politiques à qui il veut mettre une muselière ne veulent pas et ne peuvent pas tenir en otage ce pays. Ces éminents intellectuels ne font que ce qu’on attend d’eux quand un débat aussi fertile sur la réduction du mandat présidentiel se pose. Ils travaillent, comme dit Foucault, «dans le juste-et-le-vrai-pour-tous. Ils prennent la parole et se voient reconnaître le droit de parler en tant que maître de vérité et de justice. Ils sont la conscience de tous».