PARCOURS D’UN SIECLE D’UN ARCHITECTE DU SAVOIR
L’ancien Directeur général de l’UNESCO, de 1974 à 1987, est devenu au fil des années un sage incontournable dans la vie politique nationale.. Une vie marquée par un parcours riche
Amadou Makhtar Mbow est décédé hier, à l’âge de 103 ans. L’ancien Directeur général de l’UNESCO, de 1974 à 1987, est devenu au fil des années un sage incontournable dans la vie politique nationale. Son engagement pour la consolidation de la démocratie est sans commune mesure. Il a consacré une grande partie de sa vie à la défense des valeurs humanistes. Une vie marquée par un parcours riche et de nombreux accomplissements.
Amadou Makhtar Mbow était de ceux dont la pensée lumineuse éclairait les zones d’ombre de l’humanité. Cet homme possédait une dimension exceptionnelle. Durant des décennies, son esprit a été une source intarissable de savoir, de sagesse et de réflexion. Livres, colloques, interventions : tout ce qu’il touchait semblait imprégné d’une rare profondeur. Il n’était pas simplement un intellectuel, mais un phare qui brillait dans les nuits incertaines de notre époque troublée.
Né en mars 1921, Amadou Makhtar Mbow a grandi à Louga, dans le nord-ouest de notre pays. À la fin des années 1920, la région est frappée par la famine. Le jeune garçon voit des gens mourir, des images qui le marqueront à vie. « Il faut avoir vécu cela pour en comprendre l’angoisse », disait-il. La Seconde Guerre mondiale éclate alors qu’il a 18 ans. Choqué par l’idéologie nazie, il s’engage volontairement en février 1940 dans l’armée de l’air française — le Sénégal était alors une colonie —, où il rejoint l’École des radiotélégraphistes, nouvellement ouverte à la caserne Rocabey à Saint-Malo. Dans la ville encerclée, il parvient régulièrement à franchir la ligne de démarcation. Durant la même année, il est démobilisé et retourne au Sénégal où il travaille au service économique de la circonscription de Dakar et dépendances. Alors que la guerre prend une dimension mondiale, il est rappelé sous les drapeaux puis affecté à la base aérienne de Thiès. De là, il réussit le concours d’entrée à l’École supérieure de tir aérien d’Agadir, ce qui lui permet de servir jusqu’en octobre 1945 au Maroc puis en France. Après la guerre, il reste en métropole, obtient son baccalauréat en 1948 à Paris et s’inscrit en licence d’histoire à la Sorbonne avec l’ambition de se préparer à une carrière politique.
Un homme engagé
Amadou Makhtar Mbow est membre fondateur de la célèbre Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) et du Parti du regroupement africain (PRA-Sénégal). Il a côtoyé les plus grands cercles intellectuels et militants de la diaspora africaine à Paris, notamment ses contemporains comme Amady Ali Dieng, Abdoulaye Ly, Assane Seck, Cheikh Anta Diop, Alioune Diop et le célèbre historien burkinabé Joseph Ki-Zerbo. Face à la montée de l’idéologie raciste et suprémaciste, Makhtar Mbow et ses amis battent le pavé pour déconstruire cette idéologie fasciste. Pour l’écrivain et ancien ministre sénégalais Cheikh Hamidou Kâne, « ce qui fascine dans cette existence d’Amadou Makhtar, et celle de la génération des autres membres des “Aînés du XXe siècle africain”, qui ont pour noms, entre autres, Senghor, Cheikh Anta Diop, Ahmadou Hampaté Bâ, Alioune Diop et Joseph Ki-Zerbo, c’est à la fois leur indéfectible fidélité au génie de cette “Afrique-Mère” si universellement décriée, et leur combat victorieux pour sa renaissance et son nouvel avènement au monde. Pour ce qui les concerne, eux tous, il n’est que de citer les combats qui s’opposent au mépris comme un défi victorieux. ».
Un retour au bercail marqué par un engagement en faveur de l’éducation
Après son militantisme en outre-mer, Amadou Makhtar Mbow rentre au bercail dès l’été 1951. Il est nommé professeur à Rosso, en Mauritanie. En 1953, il est chargé de créer et de diriger les services d’éducation de base à l’échelle du Sénégal et de la Mauritanie. Son objectif : éduquer, transmettre bref, former les futurs cadres sénégalais et africains. Il fait alors de l’éducation des populations rurales son cheval de bataille. Pour lui, la démocratisation du savoir est un sacerdoce. De Badiana à Darou Moukhty en passant par Gaya, Amadou Makhtar Mbow sillonne les zones les plus reculées du Sénégal pour enseigner en tant que professeur d’histoire et de géographie.
Après les indépendances, il occupe le poste de ministre de l’Éducation nationale (1966-1968), puis de la Culture et de la Jeunesse (1968-1970). Il fut également député à l’Assemblée nationale, membre du Conseil exécutif en 1966 et du Conseil municipal de Saint-Louis. En 1970, il devient le représentant du groupe des États africains. Par conséquent, il contribue à établir des relations entre l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) et l’UNESCO, ce qui conduit l’organisation internationale à adopter plusieurs résolutions affirmant son soutien aux différents mouvements de libération nationale agissant sur le continent africain.
En 1974, c’est le Graal : le triomphe d’un homme qui s’est engagé en faveur de l’éducation pour tous. Amadou Makhtar Mbow est porté à la tête de l’UNESCO. C’est la première fois qu’un Africain est nommé à la tête d’une organisation des Nations Unies. Il y passe treize ans (1974-1987), remplissant deux mandats salués pour les avancées notées par l’institution. Des succès qui lui ont valu des félicitations, comme celles du pape Jean-Paul II : « En faveur d’une alphabétisation qui, tout en répondant à des besoins économiques et pratiques, vise fondamentalement à la promotion et à l’épanouissement de l’homme au niveau de sa vocation spirituelle. J’invoque sur tous ceux qui se consacrent ou donnent le temps dont ils disposent à cette expansion de la culture humaine chez les peuples et les individus les plus déshérités la lumière et la force du Dieu tout-puissant. »
Il a glané de nombreuses distinctions à travers le monde, recevant pas moins de 42 titres de docteur honoris causa. Amadou Makhtar Mbow a été l’un des premiers intellectuels africains à demander la restitution des œuvres d’art pillées en Afrique lors de la colonisation, en 1978. Quarante ans après, le Président français Emmanuel Macron n’a fait qu’emprunter le sillon tracé par Mbow avec le rapatriement de plusieurs objets précieux. Ce n’est pas tout : le concept de Nouvel Ordre mondial de l’Information et de la Communication (NOMIC) porte également son empreinte.
De nos jours, les flux d’informations favorisés par la mondialisation sont devenus plus que jamais une préoccupation majeure. « On lui reprochera de vouloir sauver la conscience du monde, de donner trop de place à l’éthique et à l’humanisme, et son combat pour un nouvel ordre économique international et pour un nouvel ordre de l’information et de la communication lui vaudra l’inimitié des plus nantis et lui coûtera son poste », écrit à son propos l’écrivain Fadel Dia.
L’incarnation d’un leadership hors-pair
Humble et discret, l’homme qui vient de nous quitter avait accepté, à la demande générale, de présider les Assises nationales (du 1er juin 2008 au 24 mai 2009) tenues dans notre pays après quelques années sabbatiques passées au Maroc. « C’est donc après mûre réflexion que j’ai accepté de présider ces assises… C’est cet engagement de toute une vie qui, vous vous en doutez, ne fut pas un long fleuve tranquille qui me vaut encore d’être aujourd’hui parmi vous », avait-il déclaré. Pour lui, être sollicité pour diriger des «Assises nationales» présentées comme «une solution concertée de sortie de crise» pour le Sénégal, c’était un autre combat à mener.
Arrivé au pouvoir, le président Macky Sall avait confié à Amadou Makhtar Mbow la tâche de réfléchir à des institutions solides capables de prévenir les dérives de tout dirigeant au pouvoir. Hélas, les recommandations de la CNRI (Commission nationale de réforme des institutions) ont été snobés par le président Sall. L’écrivain Fadel Dia résume bien la situation : « La seule occasion qui lui fut offerte de donner une démonstration de sa lucidité fut la présidence des Assises nationales du Sénégal, rare moment de communion nationale qui fut malheureusement snobé par un président et rangé au placard par le suivant ! »
La disparition d’Amadou Makhtar Mbow est un choc pour toute la nation mais aussi pour tous ceux qui l’avaient suivi de loin à travers le monde. Le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, lui a ainsi rendu hommage, saluant la mémoire d’un patriarche de la nation au legs inestimable. “C’est avec une profonde émotion que j’apprends la disparition du Professeur Amadou Makhtar Mbow, ancien Directeur général de l’UNESCO et un grand défenseur du multilatéralisme”, a-t-il indiqué dans un message partagé sur un réseau social.
Le chef de l’État a tenu à saluer la mémoire d’un “des patriarches de la Nation sénégalaise qui s’est éteint, en laissant un héritage inestimable, marqué par son combat pour une justice éducative et culturelle mondiale”.
A New York dans le cadre de l’Assemblée générale des Nations unies, le Président Faye a prié pour que la sagesse et l’engagement d’Amadou Makhtar Mbow continuent d’inspirer l’Afrique et le monde.
Les ouvrages du défunt, ses articles de recherche et ses communications, remplis d’idées et de sa vision du monde, resteront intacts. L’ancien patron de l’Unesco n’était peut-être pas un homme de grandes foules, mais son influence s’étendait bien au-delà de ce que l’on pourrait imaginer. Depuis sa disparition, les hommages affluent des quatre coins du monde poursaluer la dimension de l’homme. Aujourd’hui, le Sénégal pleure un de ses plus éminents fils, un patriarche respecté et adulé tout en sachant que son héritage intellectuel continuera à vivre éternellement. Dors en paix, Mame Boye !