QUE RETENIR DE LA RENCONTRE DIOMAYE-MACRON ?
Le président Bassirou Diomaye Faye a été reçu à déjeuner, jeudi dernier, par son homologue président Emmanuel Macron en marge du Forum mondial pour la souveraineté et l’innovation vaccinales qui se tenait à Paris.
Le président Bassirou Diomaye Faye a été reçu à déjeuner, jeudi dernier, par son homologue président Emmanuel Macron en marge du Forum mondial pour la souveraineté et l’innovation vaccinales qui se tenait à Paris. Cette première rencontre entre les deux chefs d’Etat inaugure une nouvelle ère dans les relations entre le Sénégal et la France après que des velléités de rupture se sont manifestées à Dakar. Que nous révèle le voyage du Président Faye à Paris ?
L’Afrique de l’Ouest « francophone » est en pleine ébullition. Les mouvements panafricanistes etsouverainistes y ont le vent en poupe. De Niamey à Bamako en passant par Ouagadougou, ce qui est décrit comme un « sentiment antifrançais » est à son paroxysme. Au Sénégal, l’élection du Président Bassirou Diomaye Faye était vue par certains spécialistes français en géopolitique comme une « menace » dans l’aire d’influence traditionnelle de l’Hexagone en Afrique. Mais cette hypothèse semble ne pas tenir, du moins pour l’instant, d’autant plus qu’aucun acte de rupture entre Dakar et Paris n’a encore été posé. Selon toute vraisemblance, d’ailleurs, le couple franco-sénégalais, malgré quelques brouilles inhérentes à toute compagnie, devrait continuer sa romance. Ce même si de nécessaires ajustements doivent être apportés dans son fonctionnement voire dans la relation elle-même. En témoigne la rencontre jeudi dernier entre le Président Macron etson homologue sénégalais.
Le jeu d’équilibre
Dès sa prise de fonction, le Président Diomaye a opté pour une diplomatie « ouverte ». Après une tournée dans la sous-région, le déplacement en France montre ainsi la volonté de l’actuel président de la République de coopérer avec tous les pays qui respectent la souveraineté du Sénégal pourvu que ce partenariat soit mutuellement bénéfique. Depuis le magistère du Président Senghor, le Sénégal a toujours joué un rôle « actif » et « constructif » au sein des organisations internationales. Aujourd’hui, la démarche du Président Faye semble se conformer à cette ligne de conduite. « Le Sénégal espère ainsi garder son rôle de médiateur. Le Président Diomaye s’est déplacé récemment au Mali et au Burkina Faso, deux pays isolés ou, du moins, en rupture avec la France. Le voyage à Paris est un signe que la diplomatie sénégalaise, sous la houlette des nouvelles autorités, se veut inclusive et équilibrée », analyse Ibrahima Dabo, doctorant en science politique à l’Université Paris 2 Assas et chercheur rattaché au Centre Thucydide. La rencontre entre les présidents Faye et Macron, selon lui, était inévitable vu l’historique des relations entre les deux pays. Avec Abidjan et Libreville, Dakar est l’un des trois points d’appui stratégiques de la France en Afrique.
Et pourtant, lors de la campagne électorale pour la dernière élection présidentielle, des membres de Pastef dénonçaient les déplacements du président Macky Sall à l’Élysée. La présence de bases françaises sur le territoire sénégalais a aussi été remise en cause et pas plus tard qu’il y a quelques semaines à l’occasion du séjour à Dakar du leader de La France Insoumise (LFI) par Ousmane Sonko lui-même. Qui avait pris le soin de préciser qu’il s’exprimait en sa qualité de leader de Pastef et non en tant que Premier ministre ! Mais tout le monde avait compris le message. Qu’est-ce qui a changé entre-temps ? Le duo Sonko-Diomaye est-il rattrapé par les réalités du pouvoir ? « Les États n’ont pas d’amis, mais des intérêts », dit l’adage. Aujourd’hui, le monde a changé. La globalisation a pris le contrepied du repli sur soi-même. Les dividendes économiques dictent la réalité des partenariats. La France a toujours été un partenaire important du Sénégal sur le plan économique. Si ce n’est d’ailleurs le plus important. « Il y a une forte communauté française au Sénégal, probablement l’une des plus importantes en Afrique. L’Hexagone dispose également de nombreuses entreprises au Sénégal qui contribuent aux recettes fiscales », explique Amadou Diallo, spécialiste en relations internationales. À l’en croire, il y a une nécessité pour les deux pays de s’entendre et de résoudre leurs différends éventuels.
Eviter le positionnement idéologique
Dans une sous-région minée par le combat idéologique entre la France et la Russie, la visite du Président Bassirou Diomaye Faye est un signe que le Sénégal entend éviter tout positionnement géopolitique. En effet, la crise djihadiste a profondément bouleversé la géopolitique de la sous-région. L’immixtion de nouveaux acteurs comme la Russie dans le « grand jeu sahélien » a considérablement affaibli l’influence française. La fin de l’opération Barkhane a été un « coup dur » pour les décideurs français. L’Hexagone a perdu plusieurs points d’appui dans le « heartland » sahélien. Aujourd’hui, avec l’avènement des régimes militaires, on assiste à une bipolarisation régionale. D’un côté la CEDEAO (Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest), de l’autre l’AES (Alliance des États du Sahel), créée par le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Alors que certains voyaient le Sénégal adhérer à la nouvelle organisation sous-régionale chapeautée par Moscou, le Président Diomaye Faye s’est voulu très clair lors d’un voyage à Bamako. « Le Sénégal n’est pas en train d’étudier l’idée de rejoindre un quelconque ensemble », a-t-il coupé court. Le président de la République veut montrer que la rupture ne signifie pas un rapprochement avec la Russie, « mais plutôt un changement dans les relations tout en privilégiant les intérêts du Sénégal », estime Ibrahima Dabo. « Diomaye a compris que la meilleure politique diplomatique pour le Sénégal serait de diversifier ses partenariats de manière équilibrée, tout en évitant de s’engager dans un combat idéologique et géopolitique entre les grandes puissances », détaille l’expert, précisant que « le Sénégal souhaite maintenir d’excellentes relations à la fois avec la France et la Russie ».
« Un voyage qui dérange »
Le déplacement du Président Bassirou Diomaye Faye à Paris est en tout cas mal perçu par certains panafricanistes qui le voient comme une « continuité » de ce qu’étaient les relations franco-sénégalaises sous l’ère de Macky Sall. Il faut savoir qu’au lendemain de l’élection présidentielle de mars dernier, plusieurs mouvements d’obédience panafricaniste, séduits par le discours souverainiste d’Ousmane Sonko, avaient soutenu la coalition Diomaye Président. Dans un post sur sa page Facebook, le député Guy Marie Sagna n’a pas caché son amertume : « Même Macron sait que Diomaye balaiera tous les soldats français du Sénégal et mettra un terme à l’occupation monétaire du Sénégal par la France. Nous ne voulons ni 100 soldats français, ni 50, ni 25. L’armée française va s’en aller et le Sénégal va arracher sa souveraineté monétaire », a écrit le leader du mouvement Frapp (Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaniste). S’agit-il d’une mise en garde ou d’un simple rappel des promesses à l’intention du nouveau président de la République ? Une chose est sûre : les discours de campagne sont souvent rattrapés par les réalités du pouvoir. « Le président Diomaye adopte une approche prudente concernant les bases françaises. Il sait que tout doit se négocier. Il y a trop de détails techniques. Une rupture brutale avec la France, comme l’ont fait certains pays du Sahel, est inenvisageable pour le moment », estime Ibrahima Dabo. Mais pour les panafricanistes pro-russes présents sur les réseaux sociaux tels que Nathalie Yamb, Kémi Séba et le Professeur Nyamsi, la rencontre entre le Président Diomaye et son homologue français est une surprise. Ils la qualifient de « trahison ». « Ce voyage suscite des remous. Certains influenceurs pro-russes pensaient que le nouveau président sénégalais romprait avec la France pour s’allier avec la Russie de Vladimir Poutine. Ils oublient que les Sénégalais aspirent à plus de souveraineté sans pour autant rompre avec leurs partenaires », précise le spécialiste.
À l’opposé des autres pays du Sahel où l’influence française a décliné, le Sénégal ne connaît pas de problèmes sécuritaires majeurs, bien que la menace djihadiste ne soit pas lointaine. Ainsi, les réalités sont différentes. Les slogans anti-français ne mobilisent pas les foules au Sénégal, contrairement au Mali et au Burkina Faso. Les soldats français présents sur le sol sénégalais sont souvent des formateurs. Ils ne sont pas en mission de combat, rappelle Amadou Diallo, spécialiste en relations internationales. Toutefois, il soutient que cette rencontre avec Macron n’est qu’une prise de contact, comme l’a rappelé le président Faye. « Il est trop tôt pour statuer sur la trajectoire que vont prendre les relations franco-sénégalaises. Tout peut arriver. Les prochaines années seront déterminantes », conclut-il.