REPRÉSENTATION DES FEMMES DANS L'ESPACE POLITIQUE
‘’Les femmes sont souvent confrontées au plafond de verre qui limite leurs possibilités’’, selon Dr Oumoul Khaïry Coulibaly Tandian - ENTRETIEN
Malgré une meilleure représentation des femmes à la faveur de la loi sur la parité promulguée par le président Abdoulaye Wade en 2010, les femmes restent encore sous-représentées dans la vie politique. Selon Dr Oumoul Khaïry Tandian, les obstacles sont à la fois économiques, sociologiques, politiques… Cette socio-anthropologue plaide pour une éducation et une formation des filles et une autonomisation économique des dames.
Comment jugez-vous la place des femmes sur l’échiquier politique ?
Le Sénégal a adopté, en 2010, la loi instituant la parité hommes-femmes, dans le sens de l’égalité parfaite, qui a permis un accroissement substantiel de la représentation des femmes dans les institutions électives et semi-électives. Cette loi prévoit une représentation équitable en imposant comme conditions de recevabilité des listes le respect de la parité par les partis politiques, coalitions de partis ou candidatures indépendantes, suivant une répartition alternée des sexes des candidats. D’ailleurs, le Sénégal est cité en exemple comme faisant partie des 7 pays africains qui sont dans le top 20 des pays où la représentativité des femmes en politique est assez importante. Nous avons 47 % de femmes dans les collectivités locales et 41 % à l’Assemblée nationale. Toutefois, de nombreux défis demeurent : les femmes sont encore sous-représentées dans la vie politique aussi bien comme électrices, élues que dans l’Administration publique. Même si le nombre de femmes élues augmente, elles peinent à franchir certaines barrières. Par exemple, on ne compte qu’une dizaine de femmes maires et peu d’entre elles sont à la tête d’une grande municipalité. La parité dans les bureaux des assemblées élues, municipale, départementale, nationale, n’est pas toujours appliquée. En outre, les femmes sont souvent cantonnées dans les commissions considérées comme ayant moins d’enjeux, comme les affaires sociales, par exemple. Elles accèdent difficilement aux fonctions dirigeantes dans les partis politiques et institutions étatiques. Aucun grand parti au Sénégal n’est dirigé par une femme, par exemple. Elles sont, le plus souvent, utilisées dans les partis politiques pour leurs capacités mobilisatrices ou pour faire du ‘’saupoudrage’’. Mais les femmes se mobilisent de plus en plus pour revendiquer leurs droits et la loi sur la parité en est un exemple. L’engagement militant des femmes de la société civile a donné naissance au projet de loi et le président Wade en a fait une loi. En fin stratège politique, le président Wade avait compris l’intérêt d’accéder à cette demande des femmes.
Depuis l’indépendance, les femmes ne sont pas assez bien représentées dans les instances de décision. Qu’est-ce qui explique cela ?
Il y a de nombreux facteurs parmi lesquels on peut citer les pesanteurs sociologiques, c’est-à-dire les mentalités, les stéréotypes, les croyances qui freinent à la fois l’engagement politique des femmes et leurs possibilités d’être élues et d’accéder aux instances décisionnelles ; les contraintes socio-économiques comme la pauvreté, en particulier féminine, l’analphabétisme des femmes, leurs responsabilités sociales, entre autres.
Mais vous savez, très souvent, le manque de formation des femmes peut être mis en avant pour justifier leur sous-représentativité. Mais, au-delà de la simple question des compétences, cette situation est le résultat des inégalités qui structurent les relations de genre dans tous les domaines, y compris les lieux d’exercice du pouvoir, et qui freinent la jouissance effective, par les femmes, de leurs droits en tant que citoyennes.
Elles constituent 51 % de l’électorat, on dit même que ce sont les femmes qui élisent. Pourquoi les candidates ont du mal à passer ?
Comme je le disais tout à l’heure, les femmes rencontrent encore de nombreuses résistances à la fois structurelles et conjoncturelles pour accéder aux positions leur permettant d’être élues, et quand elles le sont, elles sont souvent confrontées au plafond de verre qui limite leurs possibilités de progresser.
Une femme a-t-elle la chance de devenir présidente, dans un futur proche ?
Pourquoi pas ? Je ne suis pas devineresse. Le Sénégal a déjà eu 2 femmes au poste de Premier ministre. Parallèlement, des femmes ont été candidates au poste de président de la République. Mais, malheureusement, jusqu’à maintenant, aucun grand parti, en mesure de gagner les élections, n’a investi une femme.
Comment faire pour changer la donne ?
Vous savez, les femmes ne demandent pas de la charité. Elles veulent juste que l’égalité des droits déjà consacrée par la Constitution sénégalaises soit respectée et appliquée. Mais il faut aussi renforcer le leadership des femmes par leur autonomisation à la fois économique, politique, sociale et légale. Elles seront ainsi davantage outillées pour revendiquer leurs droits, mais aussi être à la hauteur des responsabilités qui leur seront confiées. Le préalable, c’est d’éduquer davantage les filles, femmes de demain, et leur donner les mêmes chances que les garçons de réussir. La loi sur la parité, si elle est appliquée, favorise la candidature et l’élection des femmes. Mais elle ne suffit pas, à elle-seule, pour changer les choses. Un travail pédagogique de communication sur ce qu’est la loi sur la parité devrait être fait pour une meilleure adhésion de tous. Car beaucoup font la confusion entre la lutte pour les droits des femmes et la guerre des sexes.