UNE CHANCE (NON CACHÉE) À LA VÉRITÉ SCIENTIFIQUE
EXCLUSIF SENEPLUS - De quoi les événements en cours sont-ils le nom ? Révolte ou révolution ? Le modèle islamo-wolof à bout de souffle ? Quid de l'individuation ?
Le 4 juin 2023, tard le soir, j’envoie au Professeur Penda Mbow un court message dont voici la teneur : « Auriez-vous dit que ce qui se passe sous nos yeux est une révolution ? Peu importe ! J’attends celle que vous dirigez vous-même pour me déterminer. »
L’historienne, très peu volubile dans les réseaux sociaux, me répond immédiatement : « Oui, c'est ce que j'ai dit. Des révolutions, je les mène depuis toujours sous différentes formes : le set setal, la lutte contre les castes (lisez mon article sur le net) - ma lutte a fait avancer des choses dans ce domaine -, le Mouvement citoyen, les forums de quartiers, les Assises nationales, l'interprétation féministe de l'islam…
Chez moi, la révolution est pacifique. Tandis que ce qu'on vit est violent et peut mener à une situation inédite si on ne trouve pas de solution. Je ne parle pas en l'air. On en reparlera dans quelques semaines.
Je te donne le lien et tu pourras m'écouter en toute quiétude. »
A cela je réagis immédiatement : « “Je ne parle pas en l’air”. C’est bien ce que je me disais. Je vais suivre le lien pour vous écouter attentivement. Merci de votre réactivité. »
A travers l’élément dont elle m’indiqua le lien, Penda Mbow ne me donna aucune chance de différer le dialogue. Me revoici : « J’ai écouté et bien écouté jusqu’à la fin sur “l’enfant unique” en Chine. Vous avez été on ne peut plus claire. Deux éléments essentiels :
- Vous parlez d’une révolution sans équivoque. Le mot est revenu plusieurs fois. Le doute n’est plus permis ;
- L’état des lieux exemplaire de la société sénégalaise est un élément clé pour l’investissement massif dont tous les secteurs sociaux ont besoin tous en même temps…
Questions :
- Qui sont les révolutionnaires de la révolution dont vous faites état avec force ? Les révolutionnaires indiquent une direction à prendre en cas de succès ;
- Pensez-vous que les attaques contre nos universités soient des actes révolutionnaires qui ont, eux, pour vocation de promouvoir l’émancipation à travers l’accès aux connaissances dont les universités sont les véritables creusets ?
- Ne serions-nous pas plus fondés de parler de révolte dont la perspective de l’élection présidentielle est le déclencheur ?
L’invocation d’une révolte est d’autant plus convaincante que vous préconisez des mesures intelligentes susceptibles de convaincre les jeunes - parmi eux de nombreux enfants - à retourner à la maison avec l’espoir d’un mieux-être à court et moyen terme. En même temps, les infiltrations par des éléments étrangers à la solde de l’opposition dite radicale sont traitées avec toute la rigueur que cela demande. Dieu vous garde en très bonne santé. Nuit paisible. »
Ma brillantissime interlocutrice ne pouvait se résoudre à me souhaiter une nuit paisible sans répondre à chaud à mes questions :
« Abdoul Aziz,
Cela fait très longtemps que ma réflexion transcende le jeu politique. Il faut bien suivre mes différentes sorties. Il y a beaucoup de choses sur YouTube.
La société bâtie sur le modèle islamo-wolof avec des élites assimilées formées à l'école française est à son terme. Elle ne peut plus fonctionner. Les cadres créés pour contenir cette société, explosent et ne sont plus opératoires.
Ce que nous vivons dépasse la révolte. L'ampleur de la violence, le caractère synchronisé, les atteintes contre les symboles de l'État, les lieux de savoirs, de mémoire sont les résultats d'un long processus. On rejette l'ordre établi !
Les cadets de famille confrérique contestent de plus en plus la hiérarchie. Touba en est un exemple et est très politisé. On pourra revenir sur les causes.
Après, il y a les contingences, les sujets que vous évoquez comme la manipulation, et les infiltrations. Là, je n'ai aucune compétence pour déterminer cela.
Par contre les tendances lourdes d'une société écartelée, je peux me prononcer.
Nous devons impérativement réorienter nos priorités, revoir les rapports de l'État avec les différents segments de la société, aller résolument vers un système d'individuation...
J'ai beaucoup de choses à dire mais on pourra continuer le débat.
A demain Inch Allah. »
Que dire d’autre sinon « Bonne nuit ». Mais non sans tenter quelque chose pour voir ce que cela donne : « *Individuation*. Un vrai sujet !
À demain.
In Shaa Allah. »
La nuit fut longue. Le lendemain matin, je provoque à nouveau la discussion en le poursuivant :
« Professeur,
Personne au Sénégal et à l’étranger ne met en doute la profondeur de votre pensée du fait de votre largeur de vue et de votre hauteur d’esprit. Le fait est que votre production est sous-exploitée dans un pays où en chacun de nous on ne voit qu’un client dont l’étoffe et la générosité ne sont presque jamais prises en compte, le médiocre se prévalant d’une malléabilité qui ouvre les portes qui se referment sitôt derrière lui.
Impossible de ne pas retourner à la source politique - une parmi plusieurs autres - du mal sous nos yeux qui fait que nous échangeons pour savoir ce qui nous arrive vraiment. Le « modèle islamo-ouolof » a-t-il jamais existé ? Que reste-t-il du « ouolofo-centrisme » depuis que la forme républicaine de l’État a fait succéder au pouvoir un Senghor, un Diouf, un Wade puis un Sall de « culture sérère » comme aime le rappeler celui à qui on prête une mansuétude orientée pendant les castings gouvernementaux ? Quid du ouolof tout court ? Il semble avoir vécu aussi dès lors que parler ouolof, juste pour être compris, cesse d’être une perte d’identité tant que l’État ne touche pas à la diversité dont le métissage est l’ultime facteur de régulation. Le ouolof (discret) unifie là où le tout ouolof (officiel) fragmente.
Que reste-t-il au « modèle islamo-ouolof » si ce n’est l’islam dont le texte fédérateur - le Coran - est d’une extrême sévérité pour tout profane qui pense pouvoir en user pour dominer la femme dans tous les rapports sociaux où les hommes et les femmes sont ensemble pour 36 raisons.
Cet état de fait montre les limites de « l’interprétation féministe de l’islam » dont vous avez parlé au tout début de notre échange. Le Coran reconnaît au « courage moral » d’un époux un statut égal à celui de son « courage physique » en cas d’impérieuse nécessité. Le détour est capital :
« Si vous avez de l'aversion envers [vos femmes] (…), il se peut que vous ayez de l'aversion pour une chose où Allah a déposé un grand bien. » (4:19).
Ce que les activistes et les médias disent être des « violences faites aux femmes » est révélateur d’un manque de « courage moral » d’un époux qui attend que sa conjointe fasse le premier geste pour le retour à la normale dans une vie de couple momentanément tendue. Au conjoint le premier geste, moralement courageux, qui élève plutôt que d’affaisser. L’obsolescence du désir de dominer promeut l’égalité homme-femme dans une relation où le « grand bien » est du côté du sexe dit faible. Plus qu’un honneur fait aux femmes : un rappel à l’ordre fait aux hommes.
Professeur Penda,
Je n’ai pas de problème avec « l’ampleur de la violence, le caractère synchronisé, les atteintes contre les symboles de l'État » pour dire après vous que « ce que nous vivons dépasse la révolte » orientée contre « l’ordre établi ». Quant aux attaques ciblées des « lieux de savoir, de mémoire », elles sont, ailleurs en Afrique de l’Ouest - au Mali spécifiquement - de type jihadiste. Les motivations réelles des auteurs d’attaques de « lieux de savoir » brouillent les pistes qui mènent aux révolutionnaires - pas aux signataires, tous membres de Pastef, d’un tract électoraliste - d’une révolution digne de ce nom. Partant de là, « les contingences, la manipulation et les infiltrations » méritent une attention particulière.
« Nous devons impérativement, écrivez-vous, réorienter nos priorités, revoir les rapports de l'État avec les différents segments de la société, aller résolument vers un système d'individuation...» Vous avez raison Professeur. J’ai néanmoins une idée sur l’individuation - fait d’exister en tant qu’individu différent au sein d’un groupe - que j’exprimerais mieux après la vôtre.
Penda : « Merci Aziz pour ce texte fort intéressant. Je suis en voyage et suis très bouleversée en ce moment par tous ces jeunes qui périssent. Je reprendrai le débat. »
Abdoul Aziz : « Excellent voyage… Excellent séjour à l’étranger. Excellent retour chez vous au Sénégal, le pays que vous chérissez tant et pour lequel vous vous battez comme personne d’autre ou presque. »
À suivre.