UNE DÉMOCRATIE AU DISCOURS INSURRECTIONNEL
EXCLUSIF SENEPLUS - Les acteurs, du côté du pouvoir comme de l’opposition, clament leurs convictions dans ce système, mais se laissent aller à des actions fort insolites, voire en contradiction formelle avec le jeu démocratique
La démocratie sénégalaise – ou « à la sénégalaise » – charrie souvent de ces paradoxes qu’on s’étonne de constater dans un tel système politique. Les acteurs, du côté du pouvoir comme de l’opposition, clament leurs convictions dans ce système, mais se laissent aller à des actions et à des proclamations fort insolites, voire en contradiction formelle avec le jeu démocratique. En lieu et place de confrontations d’idées, on assiste plutôt à ce que le leader syndical Iba Ndiaye Diadji appela un « débat physique ». Et les tirades entendues de part et d’autre, ces temps-ci, laissent croire que les urnes ne seraient qu’une clause de style et que la violence va trancher l’adversité.
« Il est temps de brûler le Conseil constitutionnel et toute la magistrature », écrit sur sa page un facebooker. Invité à « Autour du Micro » du journal « Dakar Matin », un ancien Premier ministre, Abdoul Mbaye, martèle que « Macky a transformé notre démocratie en une dictature ».
Des déclarations aussi ahurissantes sont tout sauf concevables dans un pays cité en référence à travers le monde comme un modèle éprouvé de démocratie. Ceux qui décernent ainsi cette distinction au Sénégal peuvent avoir été déçus – et à juste raison – en lisant dans la presse qu’un ministre de la République du Sénégal, Mame Mbaye Niang, en l’occurrence, a déclaré que « moi, personnellement, j’ai déjà recruté mes gros bras ». Et pour lui porter la réplique un personnage loufoque appelé Omar Faye Leeral Askan Wi avertit disposer de « 500 baye fall prêts à anéantir les gros bras de Mame Mbaye Niang ».
Et l’opposition regroupée dans un cadre dénommée C25 (Collectifs des 25 candidats de l’opposition recalés comme acceptés) promet d’empêcher le candidat Macky Sall d’effectuer sa campagne électorale. La menace est si grave que des organisations de la société civile y ont lu comme des déclarations aux « relents d’appel à l’insurrection ».
Il y a comme une veillée d’armes à deux semaines de l’ouverture de la campagne électorale pour l’élection présidentielle du 24 février 2019. Les titrailles de la presse traduisant le climat entretenu par les adversaires politiques ne reflètent guère l’ambiance d’une démocratie. Le Collectif des 25 candidats courroucés contre la décision du Conseil constitutionnel invalidant leur candidature, promet de « s’opposer à la campagne du président sortant Macky Sall et la déclare « invalide ».
« Il y aura confrontation par tous les moyens », titre le journal Le Quotidien dans son édition du 22 janvier 2019. « On va s’opposer au déroulement de la campagne » (Le Quotidien 22 janvier 2019) ; « Le Sénégal au bord du précipice » (page Facebook) ; « L’opposition opte pour la confrontation », titre, de son côté, Wal Fadjri du 22 janvier 2019. « Les germes d’un soulèvement populaire », alerte DakarTimes des 19-20 janvier 2019.
« Personne ne peut déstabiliser ce pays », réplique le chef de l’Etat Macky Sall, lors de l’inauguration de la grande mosquée rénovée de Guédiawaye.
Et pourtant, tout porte à croire que le Sénégal ira aux urnes le 24 février 2019 ; parce que, ces proclamations contraires, certes à la démocratie ne sont pas une nouveauté ; il y en a eu de similaires comme cette « Initiative pour démettre Wade » (Idewa) dont une des figures de proue, en l’occurrence Serigne Mbacké Ndiaye, sera un des zélateurs du président Wade et dont il sera le ministre, avant de le lâcher pour se jeter aux pieds du président Macky Sall. Démettre Wade avant la fin de son mandat inscrit dans la Constitution de la République. Aujourd’hui, les opposants au président Sall ont un langage similaire en parlant de « résistance », de « déloger Macky », de « le chasser du palais ». Le fameux 23 juin 2011, jour où le président Wade tenta de faire voter par les députés une loi instituant ce que d’aucuns appelèrent un dauphinat, les insurgés, malgré la mise à feu et à sang du périmètre de l’Assemblée nationale, ne franchirent pas le Rubicon de ceux qui haranguaient « au palais ! au palais ! » - sous-entendu pour y prendre le pouvoir par la force et attenter contre la démocratie.
Mais, à l’expérience, ces menaces n’auront été que bravades – mais tout bravades qu’elles soient, cette violence verbale est une incongruité en démocratie et ne rassure guère quant aux convictions des auteurs à un jeu démocratique sain et apaisé.