LA LÈPRE DE RETOUR AU SÉNÉGAL
Plus de 300 cas ont été enregistrés en 2016 sur l'ensemble du territoire national
Avec trois cents cas recensés au Sénégal en 2016, la lèpre marque son retour au Sénégal. Il y a une dizaine d'années, le pays annonçait avoir atteint le seuil d’élimination : qu’est-ce qui explique ce retour silencieux de cette pathologie.
«Du point de vue médical, il y a l’existence d’anciens malades qui sont potentiellement toujours porteurs du vecteur de la maladie», explique Dr Coumba Wade, membre de la Direction générale de l’action sociale (DGAS), une entité du ministère sénégalais de la Santé.
Une crainte justifiée selon elle, par le fait que beaucoup d’anciens malades n’avaient pas subi la polychimiothérapie (PCT),leur traitement s’était limité à la monothérapie.
Selon l’encyclopédie en ligne, Universalis, la polychimiothérapie est efficace dans le traitement de la lèpre, son taux de rechute est inférieure à 0,1 patient sur100.
Recommandée par l’OMS depuis 1981,la PCT est combinaison de trois antibiotiques (Dapsone, Rifampicine Clofazimine) contrairement à la monothérapie.
Le Docteur Wade faisait au mois de décembre 2017 à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, une présentation sur les résultats d’une étude menée par la DGAS.
L’étude menée sur les neufs villages de reclassement social (VRS) que compte le Sénégal a fait ressortir plusieurs déterminants d’ordre médical, social et économique qui sont derrière ces augmentations de cas de lèpre.
Dans le domaine médical, la DGAS a relevé, une «déperdition de l’expertise». Autrement dit, «les spécialistes de la maladie manquent dans l’ensemble du territoire », selon le docteur Wade.
Pauvreté et promiscuité
«Dans le domaine socio-environnemental, le premier déterminant qui englobe tous les autres d’ailleurs, est l’aspect pauvreté», souligne la responsable de la DGAS. Dans l’ensemble des neufs VRS, seul 11% des populations disposent de terres cultivables, ce qui empêche les victimes de la maladie de s’activer dans l’agriculture qui pourrait leur fournir une source de revenus.
Une situation de pauvreté à laquelle il faut ajouter une grande promiscuité, qui selon la DGAS, est une des conséquences de la loi 76-03- du 23 mars 1976, qui encadre l’existence des neuf VRS.
Cette loi en effet limite à 1km2, la superficie allouée à chaque VRS. Conséquence : depuis 1976, l’ensemble des VRS n’ont pas subi d’extension alors que leurs populations augmentent !
«Après une simulation sur le taux de couchage dans les concessions, on s’est rendu compte qu’on peut aller jusqu’à dix personnes dans une pièce dans certains villages », déclare Dr Wade.
Une promiscuité qui a naturellement comme corollaire un déficit d’hygiène. « 81,3% des enquêtés à Kolda sont sans latrines », indique la DGAS dans son étude.
Insuffisance de communication
Selon la DGAS, il y a une «insuffisance de communication» sur la maladie qui fait le lit des préjugés et de la stigmatisation. «On a vu que certaines personnes rechignent à se faire dépister parce que tout simplement elles appréhendent la réaction de leur cohabitant », fait remarquer Dr Wade.
Pour contrer ce problème beaucoup de spécialistes prônent un dépistage actif car une détection précoce constitue la meilleure garantie de guérison. «Il faut aller vers les foyers sensibiliser les gens afin qu’ils aillent se faire dépister», préconise, Dr Lala Fall dermatologue au Centre hospitalier de l’ordre de Malte (Chom).
Rangée aujourd’hui dans la catégorie des maladies tropicales négligées (MTN), la lèpre n’était plus un problème de santé publique au Sénégal depuis 1995, date à laquelle le pays a atteint le seuil d’élimination soit 1 cas pour 10000 habitants.
Pour le coordonnateur du Programme national de la lèpre (Pnel), Dr Louis Hyacinthe Zoubi, « élimination ne veut pas dire éradication ».
La tendance haussière de la maladie est constatée depuis 2010 (205 nouveaux cas) ont été recensés. Un nombre qui atteindra 248 en 2015 et 332 en 2016.
Selon les chiffres du Pnel, les régions de Kaolack (69 cas), Dakar (67 cas), Thiès (63 cas), Diourbel (58 cas) restent les zones endémiques les plus touchées.
Malgré cette hausse, «la maladie est sous contrôle et le pays est en dessous du seuil d'élimination», assure le Docteur Zoubi dans un entretien avec Ouestafnews
Toutefois, Dr Zoubi, reconnait que «si les problèmes liés à, la promiscuité, la pauvreté, l'hygiène, l'alimentation, l'assainissement dans certaines zones ne sont pas réglées en amont, il serait difficile de venir à bout de cette maladie mutilante».
Dans la mesure où le dépistage est volontaire, nombre d’observateurs suspectent un nombre de nouveaux cas bien supérieurs que ceux actuellement recensés par les structures de santé.