TOUS LES CANCERS SE GUERISSENT, IL FAUT JUSTE CONSULTER TOT
Enseignant-chercheur à la Faculté de médecine de l’Ucad et déployé au service Orl de l’hôpital Fann, Pr Siré Ndiaye revient ici sur les cancers aérodigestifs et particulièrement le cancer du larynx, qui est le deuxième cancer, après celui de l’hypopharinx
Enseignant-chercheur à la Faculté de médecine de l’Ucad et déployé au service Orl de l’hôpital Fann, Pr Siré Ndiaye revient ici sur les cancers aérodigestifs et particulièrement le cancer du larynx, qui est le deuxième cancer, après celui de l’hypopharinx.
C’est quoi exactement le cancer du larynx et est-ce une maladie fréquente ?
D’abord le larynx, c’est l’organe de la phonation (la voix) qui permet de parler, de respirer. Cet organe intervient également dans la déglutition lorsqu’on mange ou lorsqu’on avale. Donc, lorsque le cancer se localise dans cet organe, on parle de cancer du larynx. C’est un cancer qui est fréquent en Orl et c’est le deuxième cancer, après le cancer de l’hypopharinx que nous rencontrons dans notre service. C’est une forme de cancer qui atteint plus souvent, les hommes que les femmes, bien que maintenant on a de plus en plus une tendance à la féminisation au Sénégal et dans le monde.
Quelles sont les causes de cette maladie ?
Les causes les plus connues, c’est-à-dire les facteurs de risque, c’est le tabac et l’alcool, et quand les deux sont associés, le risque est multiplié. Dans une étude, il a été démontré que 71% des patients sont des fumeurs. Nous avons également, des patients qui n’ont jamais fumé et qui n’ont jamais pris de l’alcool qui ont eu un cancer du larynx. Il s’agit des professionnels de la voix, (les enseignants, journalistes, chanteurs, avocats et même les muezzins). Les organes de la voix, c’est essentiellement des muscles qui bougent, vibrent et produisent le son, lorsque nous parlons. Donc, à force de vibrer, de bouger, pendant des années, il y a l’inflammation chronique qui s’installe et qui peut aboutir à un cancer. On a également de plus en plus des patients qui ont travaillé avec des produits chimiques. Il y a aussi la fumée parce que, sans être prouvé en médecine, on a eu des cas de cancers du larynx chez des femmes (une vingtaine de patients) et la plupart, étaient des cuisinières professionnelles qui cuisinaient au feu de bois, lors des cérémonies familiales. Ce qui fait suspecter que, peut-être, c’est à cause de la fumée que ces femmes, qui n’ont jamais eu à consommer du tabac et qui ont eu à faire ce genre de métier pendant 10 à 15 ans, ont été exposées à ce genre de cancer. Il y a également le tabagisme passif (avoir un conjoint qui fume et qui vous enfume).
Et quels sont les symptômes qui peuvent alerter ?
Le cancer du larynx se manifeste souvent, au départ, par une voix cassée (voix rauque), une perte de la voix qui s’installe de façon progressive et qui devient chronique. En fait, quand le cancer est là, plus il grandit, plus la perte de la voix s’aggrave. Et là, il faut consulter un Orl pour diagnostiquer peut-être un petit cancer, qui est plus facile à guérir qu’un gros cancer. Maintenant, si cette perte chronique n’est pas prise en charge, le cancer évolue et débouche sur une détresse respiratoire car le larynx est l’organe de la voix, mais aussi de la respiration. Et souvent, c’est à ce stade-là que nous recevons les patients car 82% des malades viennent à un stade avancé. En fait, c’est quand ils commencent à s’étouffer qu’ils viennent à l’hôpital et à partir de ce moment, on les opère en urgence, pour leur permettre de respirer en attendant la grosse opération pour le cancer.
Est-ce qu’il faut s’alarmer s’il y a un rhume ou une angine qui perdure et qui font perdre la voix ?
En fait, pour le rhume et l’angine, c’est un peu différent quand même, parce que l’angine, c’est les amygdales, c’est au niveau de la gorge, c’est différent du cancer du larynx. Au Sénégal, on assimile toute douleur à la gorge à une angine. Mais si une personne se plaint d’angine qui traine pendant plus d’une semaine, ce n’est plus une angine, c’est autre chose et là, il faut impérativement consulter un médecin.
Il faut combien de temps pour qu’on dise que le cancer s’est métastasé ?
En fait, il n’y a pas une durée moyenne. Cela dépend des mécanismes de défense de chaque personne. Nous n’avons pas, tous, les mêmes mécanismes de lutte contre les maladies. Si quelqu’un a un système très performant de lutte, peut-être le cancer peut prendre plus de temps par rapport à d’autres. Mais très souvent quand même, le cancer du larynx n’est pas un cancer qui métastase très vite (forme avancée de cancer qui s’est propagée à d’autres parties du corps). Ce, contrairement au cancer de l’hypopharynx qui donne des métastases très vite.
Et comment se passe la prise en charge ? Est-ce qu’il faut impérativement faire une intervention chirurgicale ?
La prise en charge dépend du stade de la maladie. Si vous avez un petit cancer, on peut vous faire soit une petite chirurgie, qui ne va pas vous défigurer après, qui va conserver votre voix. Et parfois, même si c’est un tout petit cancer, on peut vous faire une radiothérapie exclusive, on peut vous mettre des rayons, pour détruire le cancer, sans vous opérer. Seulement, si vous venez à un stade très avancé, là on sera obligé de vous opérer et d’enlever l’organe de la voix, parce que le cancer est très répandu. Et, en ce moment, vous serez obligé de perdre la voix de façon définitive, de parler avec des gadgets qu’on appelle des laryngophones (type de microphone conçu pour être placé sur la gorge), ou à recourir à l’orthophonie qui va vous aider à avoir une autre voix de substitution. Et on sait aussi que la réhabilitation au Sénégal n’est pas systématique. Perdre la voix pour un père de famille, ce n’est pas évident car l’autorité du père de famille, c’est la voix, et il y a l’aspect psychologique qui n’est souvent pas pris en charge.
Quel est le taux de décès ?
Le taux de décès révélé par la dernière étude tourne autour de 24%. Quant au taux de rémission, on a 45% de rémission complète, car c’est après cinq ans qu’on parle de guérison. Et pour les cas de métastase, c’est 14%. Et il y a 13% de cas de récidive.
Quel message lancez-vous à la population et aux autorités, surtout par rapport à la prise en charge des malades ?
C’est un traitement qui coûte cher et que nous avons estimé à un million de francs, en passant par l’hospitalisation, le bilan biologique, le scanner, la radiothérapie (un ou deux fonctionne dans tout le Sénégal), la chimiothérapie, sans compter les coûts indirects. Et souvent, ce sont des maladies qui surviennent vers un âge assez avancé avec des patients qui sont à la retraite et qui n’ont plus beaucoup de moyens. Il y a l’association des laryngectomisés et mutilés de la voix qui est très active et j’appelle les autorités à les aider et à les assister. Concernant la population, je les appelle à lutter contre le tabac et l’alcool. Et lorsqu’on sait qu’on évolue dans un métier à risque, il faut très tôt consulter un Orl.
Est-ce que le cancer du larynx se guérit ?
Oui cela se guérit. En fait, tous les cancers se guérissent. Il faut juste consulter tôt, car plus on consulte tôt, plus la chance de guérison est énorme. Et plus on consulte tard, plus la chance de guérison diminue.