RETOUR SUR LA RADIATION DES POLICIERS DE 1987
Autopsie d’une affaire inédite qui a marqué l’histoire de la police nationale
Les 13 et 14 avril 1987 restent des dates inoubliables dans l’histoire du Sénégal avec la décision de radiation des policiers prise par le président de la République d’alors, Abdou Diouf. C’était suite à une manifestation de forces de l’ordre à Dakar, Thiès et Diourbel, consécutivement à une affaire jugée au tribunal et qui concernait des policiers. Trente-quatre (34) an après, des policiers se rappellent et réclament les excuses publiques du président d’alors. Autopsie d’une affaire inédite qui a marqué l’histoire de la Police nationale.
1987 reste une année noire pour la Police du Sénégal, car coïncidant avec la décision prise par le pouvoir socialiste du Président Abdou Diouf de radier les policiers. Trente-quatre (34) ans après, les blessures ne sont pas encore totalement cicatrisées, comme en témoignent les réactions des victimes qui se rappellent toujours avec amertume les durs moments de galère engendrés. Et c’est pourquoi, même si le pouvoir actuel a fait un grand pas pour panser les plaies, à travers une indemnisation avec une enveloppe de 2 milliards de Fcfa, certains réclament les excuses publiques du Président Abdou Diouf. Tout était parti d’une affaire qui s’est passée en 1982, concernant un certain Baba Ndiaye, peint sous les traits d’un grand délinquant notoirement connu, qui écumait les bijouteries entre autres. Les plaintes se sont accumulées à la Sûreté urbaine de Dakar et il a fallu plus de 45 jours pour le cravater. Entendu et déféré devant le Procureur en 1982, il décède 15 jours après en prison. Les causes annoncées alors étaient qu’il aurait subi des sévices à la police. D’ailleurs ceux qui l’avaient interpellé avaient été entendus et jugés, mais le tribunal avait prononcé un non-lieu. Auparavant, le docteur commis aux fins d’une autopsie pour déterminer les causes exactes de la mort avait établi que le détenu avait rendu l’âme par arrêt cardiaque. Et d’un tel point de vue, l’affaire avait été classée. Mais en 1987, le dossier judiciaire avait été dépoussiéré et remis au goût du jour. C’est ce qui avait motivé la fameuse marche des policiers du commissariat central de Dakar, certains éléments du Groupement Mobile d’Intervention (GMI) de Thiès et certains policiers du commissariat de Diourbel. Mais quand il a fallu prendre des mesures, le gouvernement ne s’était pas arrêté à sanctionner seulement les éléments du commissariat de Dakar, de ceux de Diourbel et du GMI de Thiès, mais il a décidé de suspendre toute la police nationale. Même les permissionnaires, ceux qui étaient malades et ceux qui étaient en indisponibilité parce que affectés dans d’autres administrations comme les Préfectures, les sous-préfectures etc., n’avaient pas échappé au couperet.
Les policiers ont été ainsi dévêtus et des gendarmes les ont remplacés dans les commissariats. Dans un premier temps, 6 665 policiers, tous corps confondus ont été suspendus et au finish, 1 265 d’entre eux ont été radiés et durant 7 ans, ils ont chômé, sans aucune ressource. Le 28 avril 1987, la loi 87-14 a été votée à l’Assemblée Nationale, ce qui avait permis au Président Abdou Diouf de prendre la décision de radiation des policiers du Sénégal. A l’époque, seul Me Abdoulaye Wade avait dit que cette loi était anticonstitutionnelle, se rappelle encore Cheikhna Keita Brigadier Chef des gardiens de la paix à la retraite, Président du mouvement national des policiers à la retraite, tous corps confondus. Selon lui, à l’époque, même Thomas Sankhara Président du Burkina Faso avait demandé au Président Diouf de revenir sur sa décision car on ne radie pas une police, au risque de mettre en péril la sécurité du pays.
CHEIKHNA KEITA PRESIDENT DU MOUVEMENT DES POLICIERS RETRAITES «CES DECISIONS ETAIENT PRISES POUR SATISFAIRE LE DIKTAT DU FMI ET DE LA BM»
Mais les 13 et 14 avril 1987, à la surprise générale, les décisions ont commencé à tomber, avec d’abord la suspension de tous les policiers. Il affirme que c’est en 1987 que le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale (BM) ont exigé du gouvernement la réduction des effectifs de la fonction publique, pour continuer de bénéficier de l’aide au développement. Le Président Abdou Diouf a d’abord visé la Douane avant de reculer du fait que la douane contribue grandement au budget.
C’est ainsi que le puissant ministre d’Etat d’alors, en l’occurrence Jean Collin, a pris les choses en main. Il poursuit : « On parle beaucoup d’une justice aux ordres au Sénégal, mais cela ne date pas d’aujourd’hui. Ainsi l’ordre avait été donné au procureur de faire revenir au goût du jour l’affaire Baba Ndiaye, qui était déjà jugée et classée. Après la radiation, les désormais ex-policiers étaient menacés dans la rue, des familles ont éclaté, des enfants de policiers sont devenus des enfants de la rue car ne pouvant plus aller à l’école, faute de paiement des frais de scolarité. Des épouses ont quitté leurs maris et des policiers se sont suicidés, tandis que d’autres sont devenus fous. Même les boutiquiers du coin ne leur faisaient plus confiance. Certains vivaient sous les chahuts dans le quartier, des injures dans les rues, et personne n’osait répondre. Trente-quatre (34) ans après, on se rappelle cette forfaiture de l’ancien régime, pour tout simplement satisfaire le diktat du FMI et de la Banque Mondiale. » Selon lui, il convient de saluer aujourd’hui la mémoire d’un grand commissaire de police, le Directeur de la Sécurité Publique d’alors, le commissaire Divisionnaire de classe exceptionnelle Cheikh Saad Bou Ndiaye, qui a eu à dire à Jean Collin et à Abdou Diouf qu’ils étaient dans un jeu de dupes pour satisfaire ces deux institutions financières internationales. Malheureusement, il a été convié un dimanche au Palais pour une rencontre, et finalement il est décédé des suites d’un soi-disant accident de la circulation. Il révèle que c’est d’ailleurs avec cette radiation des policiers que sont nés le grand banditisme et les agressions à Dakar. Et ce n’est qu’en 1993 que le gouvernement d’alors a créé une police municipale pour les intégrer, et il ne pouvait même pas payer les personnels.
A l’époque, dit-il, des policiers sont passés au niveau de toutes les familles religieuses pour solliciter des interventions, mais elles n’ont jamais abouti. C’est finalement Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh qui les a reçus, les a confortés, pour ensuite solliciter une audience avec le Président Diouf, mais qui n’a finalement pas eu lieu. Cheikhna Keita décerne le satisfecit au Président Macky Sall, « qui a eu l’honnêteté et le courage de les indemniser avec une enveloppe de 2 milliards de Fcfa. Nous lançons cet appel pathétique au Président Abdou Diouf. Il est temps qu’il s’excuse de cette grosse erreur qu’il a faite en prenant la décision de radier les policiers du Sénégal et en faisant péricliter un millier de familles. Des policiers ont été humiliés, radiés, déshabillés et nous voulons que cela ne se reproduise plus. Il avait alors failli à sa mission et puisqu’il est toujours vivant, qu’il s’excuse ! Qu’il demande pardon ! Nous saluons la mémoire de Djibo Layti Kâ qui a été ministre de l’Intérieur et qui a eu à s’interroger sur le fait que le Président Abdou Diouf ait passé sous silence ces douloureux événements, dans ses mémoires alors qu’il a parlé de l’affaire de la mort des 6 policiers ». Aux jeunes policiers, il demande de ne jamais s’attaquer aux sénégalais et de s’abstenir de tout acte ne rentrant pas dans le cadre de leur mission régalienne et de sécurité des personnes et de leurs biens. Et que les populations sachent aussi que les policiers ne sont pas leurs ennemis.
PAPE AMADOU DIEYE ENCADREUR AU GMI DE THIES «APRES LA RADIATION, JE ME SUIS CONVERTI EN AGRICULTEUR»
Pape Amadou Dièye, à l’époque encadreur au Groupement Mobile d’Intervention (GMI), se rappelle avec amertume ces événements du 13 et 14 avril, qui ont totalement bouleversé la Police nationale. Cependant, s’empresse-t-il de noter, même si la situation était intenable les premiers jours, cela lui a permis de découvrir l’agriculture et de s’y investir au point qu’il avait un problème de choix quand l’heure de la réinsertion a sonné. Il souligne que le fameux jour des manifestations de la police, il était en mission à Tivaouane avec la 3ème compagnie du GMI, pour assurer l’ordre à l’occasion d’une rencontre initiée par le défunt Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh et allant dans le sens des travaux de la mosquée. Il ajoute : « C’est au retour que nous avons entendu à la radio qu’il y avait des manifestations de policiers à Dakar, suite à une affaire qui a été jugée au tribunal et qui concernait des policiers. Les choses sont ensuite allées très vite, avec la décision de suspension de tous les policiers et l’occupation des commissariats par des gendarmes. Même les policiers malades à l’poque, ou détachés dans d’autres services comme les arrondissements, n’ont pas été épargnés.
Une coordination nationale des policiers radiés a été mise en place, pour porter la lutte pour la réintégration, mais aussi pour éviter des dérapages et toute infiltration, d’autant plus que les radiés étaient peints comme de la mauvaise graine. A l’époque, j’étais célibataire sans enfant, mais soutien de famille. C’est pourquoi, comme tant d’autres victimes, cette affaire a pénalisé tout le reste de ma vie. Cependant, il y a un côté positif pour moi car elle m’a permis d’aimer l’agriculture. Très tôt, j’ai décidé d’investir un nouveau créneau, pour refaire ma vie. C’est dans ce cadre que j’ai rejoint mon oncle à Sandiara, qui était dans l’agriculture industrielle, avec l’exportation vers l’Europe de melons, gombos, tomates, etc. C’est avec cette activité que j’ai pu fonder une famille et ma situation était telle que j’ai beaucoup hésité à rejoindre les rangs, quand il s’est agi d’intégrer la police municipale. Mais finalement, j’ai décidé de rejoindre mon corps d’origine, mais l’arbitraire s’est poursuivi, pour la simple raison que durant toute cette période de police municipale, personne n’a avancé ; tout le monde est resté dans le même cadre.»