DÉMANTELEMENT DES BASES REBELLES EN CASAMANCE, UN ENJEU SECURITAIRE ET ECONOMIQUE
L’assaut militaire intervient au moment où le projet Agropole Sud d'un coût de 50 milliards FCFA, est en pleine gestation.
Après un peu plus d’une semaine d’opérations dans les forêts des départements de Ziguinchor et de Goudomp, l’armée sénégalaise a réussi à mettre hors d’état de nuire les bandes armées qui semaient la terreur dans la zone, non loin de la frontière avec la Guinée Bissau. Plusieurs cantonnements rebelles ont été démantelés au cours de cet assaut. A travers un communiqué, rendu public le 28 janvier 2021 par la Direction de l’Information et des Relations Publiques des Armées (Dirpa), la grande muette s’est expliquée sur les opérations de ratissage qu’elle a entamées depuis le 26 janvier. Selon la Dirpa, ces opérations visent à neutraliser les éléments armés qui commettent des exactions, à accompagner le retour des populations déplacées et à lutter contre le trafic illicite des bandes armées. Toutefois, l’assaut militaire intervient au moment où le projet Agropole Sud est en pleine gestation. D’un coût de 50 milliards FCFA, ce projet doit être implanté à Adéane, non loin de la zone qui abrite des cantonnements rebelles.
SÉCURISATION DU RETOUR DES POPULATIONS DÉPLACÉES
C’est en juillet 2020 que les populations de Bissine, dans la commune d’Adéane, ont regagné leur terroir, 28 ans après leur exil forcé. Un retour au bercail qui met fin à presque trois décennies d’errance et de précarité dans les quartiers périphériques de Ziguinchor, en Gambie et en Guinée Bissau. Cette vie peu enviable qu’elles menaient loin de leurs exploitations agricoles a poussé les populations de Bissine à tenter à maintes reprises des retours au risque de leurs vies. Après plusieurs tentatives infructueuses, les habitants de cette contrée du département de Ziguinchor, située près de la frontière avec la Guinée Bissau, ont vu leur vœu se réaliser grâce à l’accompagnement des forces armées. Ce défi n’était pourtant pas facile à surmonter, à cause de la présence des mines et de cantonnements rebelles. «Pendant 28 ans, les gens ont tenté plusieurs expériences de retour sans succès. Nous espérons que celle-ci sera la bonne, étant donné que l’Armée a cette foisci devancé les populations chez elles. Et nous avons espoir que dans les mois à venir, nous verrons ce retour effectif des populations», avait alors confié le maire d’Adéane, Ibou Diédhiou.
Cet événement, qui a fait tache d’huile, a poussé les populations des villages environnants à nourrir l’espoir d’un retour au bercail. Ce désir se fait ressentir chez les populations des villages comme Bindjalou, Guidel, Bambadinca, Baraka Manjoca, Baraka Patata, Baraka Banaw... Ces dernières veulent non seulement réinscrire leurs localités sur la carte du Sénégal, mais aussi retrouver leurs rizières et leurs plantations d’anacardiers et d’agrumes qui sont tombées entre les mains des bandes armées depuis leur exil forcé. Pour satisfaire cette forte doléance, l’armée a intensifié les opérations de ratissage. Nos sources indiquent qu’une bonne partie des bases rebelles établies sur cette bande forestière ont été démantelées pour faciliter le retour des populations qui le désirent.
LA CROISADE CONTRE LE BANDITISME TRANSFRONTALIER
Outre la sécurisation du retour des populations déplacées par le conflit, ce ratissage mené par des troupes sénégalaises au sol, appuyées par l’avion de reconnaissance et un hélico, vise à neutraliser les bandes armées qui s’adonnent à des activités illicites. Si les actes de violence et d’assassinat perpétrés dernièrement contre les populations ont déclenché ce grand nettoyage, force est de signaler que celui-ci a été mûrement planifié. Le 29 novembre 2020, une délégation des forces armées de a Guinée Bissau conduite par le colonel commandant de zone de la province nord, le colonel commandant de la zone militaire numéro 5 (Ziguinchor), le colonel commandant de la zone numéro 6 (Kolda), ainsi que les autorités de gendarmerie, de la police et des douanes de la Guinée Bissau et du Sénégal se sont retrouvés en conclave à Ziguinchor. Cette rencontre qui a eu pour thème «Sécurité transfrontalière, quel mécanisme pour une meilleur prise en compte des défis sécuritaire entre les républiques de la Guinée Bissau et du Sénégal ?» a débouché sur la signature d’accords. «Ces accords visaient la relance de la coopération bilatérale entre les forces de défense et de sécurité des provinces Nord et Est de la Guinée Bissau et des zones militaire numéros 5 et 6 ainsi que la sécurisation des 340 kilomètres de frontière entre les deux pays», avait rapporté le colonel Souleymane Kandé, commandant la zone militaire numéro 5. «Ainsi, les deux pays pourront faire face au grand banditisme, aux vols de bétails, aux trafics illicites notamment celui de la drogue.»
En effet, cette zone transfrontalière était devenue la chasse gardée d’éléments armés qui écumaient les populations. Ayant trouvé refuge dans ces forêts, ces derniers n’hésitent pas à torturer, voire tuer les personnes qui s’aventurent dans la zone. C’est ainsi que le 29 novembre 2020, trois jeunes de la commune de Boutoupa Camaracounda avaient été portés disparus. Et les corps sans vie de deux d’entre eux ont été retrouvés trois semaines après dans la forêt de Bissine par une patrouille de l’armée sénégalaise. Cet espace géographique qui couvre le département de Ziguinchor et celui de Goudomp (région de Sédhiou) est une zone de prédilection d’individus qui s’activent dans le vol de bétails, le trafic de bois, la contrebande de marchandise et la culture et le trafic de chanvre indien. Des agissements délictuels que les forces de défense et de sécurité veulent éradiquer en nettoyant ces forêts.
LA DÉPOLLUTION DE LA ZONE POUR L’INSTALLATION DE L’AGROPOLE SUD
Connue pour ses richesses naturelles et la fertilité de son sol, la Casamance a longtemps approvisionné le reste du pays en produits agricoles et sauvages. Cependant, une bonne partie de ces productions pourrit, faute d’opportunités d’écoulement et de transformation. Un des projets phare du gouvernement sénégalais pour valoriser le potentiel agricole de la région naturelle de la Casamance est l’Agropole Sud. Il consiste à installer des unités industrielles pour la transformation des produits locaux. C’est la commune d’Adéane (département de Ziguinchor) qui a été choisie pour abriter l’Agropole Sud. Cependant, le site retenu se trouve à quelques encablures des bastions rebelles. L’installation de l’Agropole Sud nécessite donc une sécurisation de la zone pour annihiler toute velléité de sabotage.
Pour approvisionner aussi ce futur complexe industriel et commercial, il faut de la matière première. Or, beaucoup de terres agricoles se trouvent sous le contrôle des bandes armées. Certaines sont même minées et leur dépollution est retardée par le refus des combattants du Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (Mfdc). Ces derniers soulèvent comme argument la protection de leurs cantonnements pour expliquer leur opposition aux différents projets de déminage. Par conséquent, le démantèlement de ces bases rebelles se présentait comme l’unique option pour faire aboutir ce projet d’Agropole Sud.