NGANE, LA VIE SANS IMAM NDAO
A l’absence du fondateur, le temps n’a pas suspendu son vol dans la localité - Mais la vie a été très difficile pour les disciples du désormais très célèbre prédicateur
Jour ordinaire à Ngane. Au fief de l’imam Alioune Badara Ndao, 48 heures après l’effervescence de l’accueil, l’ambiance est calme. En ce mercredi 25 juillet, la cour est quasi désertique. Sous l’ombre d’un arbre de taille moindre, un groupe d’une dizaine de personnes discutent à voix basse. Il s’agit de la commission qui a assuré la continuité de la gestion durant les presque 3 ans de détention de l’imam. A la véranda de la mosquée, une autre assemblée de gens qui, apparemment, assistent à une causerie religieuse. Derrière l’école et les logements, des enfants jouent au football. Il est 17h passées de quelques minutes. Le maître des lieux lui se repose dans sa maison en face et continue de recevoir ses hôtes qui arrivent à compte-gouttes. Il s’agit d’individus qui essentiellement viennent exprimer leur soulagement et/ou solliciter des prières.
Ngane est une localité située à l’extrême ouest de la ville de Kaolack. Il a été fondé dans les années 1997-98 par Imam Ndao. Durant un peu moins de 20 ans, la vie a tourné autour du guide spirituel. Se pose alors la question de savoir ce qu’était le quartier sans son fondateur. A cette interrogation surgissent tous les mauvais souvenirs encore trop frais dans les mémoires pour être diffus. ‘’Il y a eu un très grand vide, ça a été très difficile. Mais on s’est toujours confiés à Dieu’’, répond Abdoulaye Ndao, frère de l’Imam, entouré des membres de la commission. Tous ont le visage sérieux. Des moments de solitude, ils l’ont vécu dans leur chair. ‘’Il fut un temps, il fallait du courage pour venir ici. Il suffit simplement de dire : je vais à Ngane, pour attirer les regards’’, se rappelle Abdoulaye Ndao.
Malgré tout, le frère de l’Imam se réjouit du fait que les Sénégalais en général, les Kaolackois en particulier, n’ont jamais lâché leur compatriote et voisin. D’après lui, des personnes continuaient à se rendre sur les lieux pour apporter leur soutien, qu’il soit matériel ou moral. Ceux qui avaient fait confiance à l’Educateur en lui confiant leurs enfants ne l’ont jamais retirée. Une attitude qui a aidé ses partisans à mieux supporter l’épreuve. ‘’Les gens ne nous ont jamais fui quand on a été accusés d’anthropophagie (sic)’’, peste-t-il, sous le regard complice de l’assistance.
Par contre, les partisans de l’imam, sur les conseils de ce dernier, s’étaient un peu refermés sur eux-mêmes, par mesure de prudence, dit-on. En fait, avant les évènements, la porte était ouverte à tout un chacun. Il suffisait de manifester sa volonté d’apprendre sa religion pour être intégré. Mais après ‘’la grosse accusation’’, les règles ont changé. Des mesures conservatoires ont été prises pour se protéger ‘’des ennemis de l’Islam’’. ‘’On avait décidé de ne plus accepter les adultes. Il y a des gens qui prennent prétexte des études, mais qui ont d’autres visées. Je pense qu’il y a eu des individus envoyés ici et qui ont donné de fausses informations. Or, comme le dit l’adage : chat échaudé craint l’eau froide’’, résume Abdoulaye Ndao. En d’autres termes, seuls les enfants qui présentaient peu de risque à leurs yeux ont été acceptés.
A Ngane, il y a entre 450 et 500 âmes qui y vivent, donc autant de bouches à nourrir. Par conséquent, il ne suffit pas d’avoir de la foi pour vivre, il faut aussi trouver de quoi se mettre sous la dent. Sur ce point, il n’y a jamais eu d’inquiétude, assure Abdoulaye Ndao. Certes, l’imam est au centre des activités, mais côté organisationnel, il y a un dispositif qui existait bien avant l’arrestation du maître des lieux. ‘’Même quand Imam était là, la gestion était assurée par la commission. Tout s’est bien passé, puisque les tâches sont réparties. Il y en a qui sont dans l’enseignement, d’autres dans des activités productives et un groupe chargé de l’entretien.’’
Besoin de communiquer
En fait, si l’on en croit le frère de l’Imam, Ngane a trois sources de financement. D’abord l’agriculture au sens large du terme (travaux champêtres, cultures maraîchères, élevage), ensuite les revenus de l’internat et enfin les dons. ‘’Nous produisons du mil, de l’arachide, du manioc, du melon. Nous faisons du maraîchage et de la culture fruitière, essentiellement de la mangue, de la goyave, du citron et de l’acajou. Une bonne partie des produits vendus sur le marché provenait de nos exploitations’’, précise cet interlocuteur. Il reconnaît tout même qu’avec l’arrestation de l’imam, la production a chuté du fait que les responsables étaient occupés à être à son chevet. Ils n’avaient donc plus le temps de suivre les travaux comme il se devait. Malgré tout, les activités se sont poursuivies, assure-t-on. En guise de preuve, on montre les quelques canards qui traînent ainsi que les moutons à l’arrière-plan. ‘’Il y a les oies qui sont de l’autre côté. Vous pouvez aller voir’’, ajoute un autre jusqu’ici attentif au débat. Quant à l’internat, les enfants payent 21 000 F par mois.
A travers les attitudes, l’on sent qu’on veut montrer que tout se passe ici de manière licite, contrairement à ce qu’ont voulu faire croire certains avec l’arrestation musclée de l’imam et son procès. La demande d’interview formulée par EnQuête est acceptée sur-le-champ, sans aucune forme de protocole. ‘’Vous pouvez prendre votre bloc note et poser vos questions’’, déclare un Abdoulaye Ndao décontracté. Et il ne sera pas le seul à prendre la parole. A chaque fois qu’il oublie un point, il y a quelqu’un pour le lui rappeler. Parmi eux, une femme, professeur de maths. Elle porte un hijab qui lui couvre tout le corps, à l’exception du visage et des mains. Elle doit être à la trésorerie de la communauté, puisqu’elle a été désignée pour répondre du budget mensuel. Mais elle a préféré ne pas s’exprimer sur ce point. ‘’C’est imam lui-même qui s’occupait de cette question. Nous n’avons fait qu’assurer l’intérim. Donc, vous comprenez bien qu’on ne puisse pas nous avancer sur ce sujet. C’est à lui de le faire ou non’’, décline-t-elle gentiment.
A Ngane, maintenant que tout est bien fini, on espère que ce procès sera un mal pour un bien, un évènement qui renforcera l’aura de l’Islam et de l’imam Ndao. En attendant, c’est le retour à ce qu’on croit savoir faire le mieux : enseigner la religion et cultiver son lopin de terre.
CONDITIONS DE DETENTION DU CHEF SPIRITUEL
La colère des partisans de Imam Ndao
L’accueil populaire dont imam Ndao a bénéficié lundi 23 août 2018 à Kaolack ne suffit pas pour calmer la colère de ses disciples quant au traitement qui lui a été infligé en prison.
Imam Alioune Badara Ndao a été relaxé avant d’être accueilli en héros à Kaolack. Mais en dépit de cette ‘’victoire’’, source d’une grande satisfaction, il y a encore des pilules que ses partisans ont du mal à avaler. Parmi elles, l’interdiction d’écrire qui a été faite au religieux durant son séjour carcéral. D’après son frère, l’ancien ‘’terroriste’’ nourrissait l’ambition de ‘’coucher’’ sur papier ses connaissances et idées, mais l’administration pénitentiaire s’y est opposée.
‘’Les colons n’étaient pas des musulmans. Et pourtant, les chefs religieux qu’ils ont arrêtés avaient la possibilité d’écrire. Ici, ce sont des gens qui se disent musulmans qui ont privé imam de ce droit’’, s’indique Abdoulaye Ndao. Si l’on en croit ce dernier, le guide spirituel avait commencé à écrire lorsqu’il était à Saint-Louis, Rebeuss et autres prisons de Dakar. Mais quand il est arrivé au camp pénal, ses manuscrits ont été confisqués. A ce jour, les documents ne lui sont pas encore rendus, en dépit du non-lieu dont il a bénéficié. M. Ndao pense que son frangin aurait pu beaucoup écrire et ainsi partager ses points du vue avec le monde entier. Il en veut pour preuve le fait que Imam a écrit 1 000 vers durant les quelques jours qu’il a passés à Dakar, après sa libération, pour se reposer et faire un bilan de santé.
Cependant, ce qu’il y a de plus difficile à digérer dans cette parenthèse carcérale reste les conditions de détention du fondateur de Ngane. D’abord, les différents transfèrements (Kaolack, Saint-Louis et plusieurs prisons de Dakar), sachant que ses disciples et parents tenaient à lui rendre visite. ‘’Même si on avait amené imam au ciel, on l’aurait rejoint’’, fulmine Abdoulaye. Mais aussi et surtout, des ‘’tortures’’ qu’il a subies en prison. Là-dessus, son frère n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi un traitement aussi inhumain lui a été réservé, alors qu’il n’y avait aucune preuve tangible contre lui. L’imam en a souffert et ses partisans ne sont pas près d’oublier cet épisode. ‘’Il disait toujours qu’on chauffait sa chambre, qu’on lui pompait un mauvais air au point qu’il étouffait, il entendait toutes sortes d’insanités. Il y avait des lasers téléguidés’’, raconte Abdoulaye Ndao, le regard perçant. ‘’La chaleur dans sa chambres était telle qu’il trempait ses bonnets et ses écharpes dans de l’eau avant de les mettre sur la tête pour atténuer la chaleur. Il le faisait 7 fois dans la journée’’, ajoute-t-il.
‘’Les Sénégalais ont amené Macky Sall au palais en réaction contre l’injustice’’
En plus, l’imam a été soumis à l’isolement. Sur 24 heures, affirme son frère, il n’avait que 30 mn pour sortir. Pour le reste, il était toujours confiné dans sa cellule ‘’bouillante’’, en dehors de tout contact. Un récit qui a beaucoup touché ses partisans. ‘’Quand on sortait de visite, certains pleuraient, d’autres priaient. Nous avons beaucoup prié pour lui. Et nous rendons grâce à Dieu d’avoir accepté nos prières.’’ Ce traitement a-t-il eu des conséquences sur la santé de l’imam ? ‘’Dieu qui avait préservé Ibrahim du feu, l’a sauvegardé. Jusqu’ici, il n’y a pas de problèmes’’, se félicite son frère. En clair, son bilan de santé n’a rien signalé d’inquiétant.
En outre, la peine requise par le procureur dérange aussi certains partisans de l’imam. Non pas les 30 ans de réclusion, mais plutôt les travaux forcés. Une dame, prof de maths et membre de la commission chargée des affaires de la communauté, ne peut pas comprendre qu’on puisse demander des travaux forcés pour un vieux de 60 ans, chef religieux de surcroît. ‘’C’est la preuve que l’Etat ne considère pas l’Islam’’, s’offusque-t-elle. D’ailleurs, à Ngane, on reste persuadé que si imam Ndao a bénéficié d’un soutien et d’un accueil populaire, c’est parce qu’il a été victime de l’arbitraire. ‘’Les Sénégalais n’aiment pas l’injustice. Tous ceux qui l’ont subie ont été soutenus. Ils ont amené Macky Sall au palais en réaction contre l’injustice’’, rappelle Abdoulaye Ndao.