TOUBA, LE LEGS DE CHEIKH IBRA FALL RÉSISTE AU TEMPS
Chaque année, le Khalife général reçoit les « ndogou » que lui livre la communauté Baye Fall. Ce legs de Cheikh Ibrahima Fall, aujourd’hui perpétué par ses petits-fils, constitue la partition de cette communauté pendant ce mois de pénitence
Pendant le mois béni du ramadan, la cité religieuse de Touba connaît plusieurs formes de vivification symbolisées par une spiritualité pleinement vécue par toute la communauté mouride. Chaque année, le Khalife général Serigne Mountakha Bassirou Mbacké reçoit, dans la résidence Khadim Rassoul, les « ndogou » que lui livre la communauté Baye Fall. Ce legs de Cheikh Ibrahima Fall, aujourd’hui perpétué par ses petits-fils, constitue la partition de cette communauté pendant ce mois de pénitence.
L’institutionnalisation des « ndogou » (repas après la rupture du jeûne) du ramadan à Touba fait suite à une recommandation de Cheikh Ahmadou Bamba à son disciple Cheikh Ibrahima Fall. À ce dernier, il avait demandé de cuisiner des plats durant le mois béni. C’est ainsi qu’il cuisinait 12 grands bols et une soupière de poulet à Diourbel. Tout au long de sa vie, il a procédé de cette manière. Sa descendance a perpétué son legs. Baye Malick Sarr « Matt », un baye Fall de 70 ans, soutient qu’à la disparition de Serigne Touba, Cheikh Ibra Fall a poursuivi le même système pendant trois ans avec Serigne Modou Moustapha Mbacké. « Après lui, Serigne Modou Moustapha Fall, Serigne Mor Talla Fall, Serigne Ablaye Fall Ndar et aujourd’hui les petits-fils perpétuent cet acte. L’actuel Khalife général de la communauté, en l’occurrence Serigne Amdy Modou Mbenda Fall, s’est inscrit dans la tradition et, à l’image de ses prédécesseurs, l’applique à la lettre », indique-t-il.
Une communion inédite
À l’unisson, la communauté Baye Fall s’investit pour servir de copieux repas aux jeûneurs pendant toute la durée du ramadan. Pour cette année, les disciples de la communauté Baye Fall de Touba et Mbacké ont répondu à l’invitation du Khalife général des Baye Fall pour cuisiner à partir de la résidence Cheikh Ibrahima Fall sise à Djanatou. Depuis le premier jour, les activités ont démarré avec une récitation du Coran, des déclamations de panégyrique et des zikrs qui accompagnent la cuisson des fameux « ndogous » démarrée très tôt pour être remis à temps, renseigne Baye Malick Sarr Baye Fall, un disciple septuagénaire plein d’entrain.
Des « Mbanas » (grande marmites) à foison, des bols empilés à ras-bord de viande bien mitonnée, de poulets et d’œufs, des sacs de pains croustillants délivrés par les boulangers forment le décor.
Dans une atmosphère de joie communicative, la résidence Cheikh Ibrahima Fall de Djanatou refuse du monde. Le fumet des mets embaume l’atmosphère, au moment où les préparatifs vont bon train pour acheminer les repas à la résidence Khadim Rassoul où attendent les « jawrignes » (responsables de dahiras) du Khalife général chargé de la réception et de la distribution des victuailles.
Des caisses de fruits et de boissons sur la tête, les Baye Fall défilent. « C’est la tradition qui est respectée, car ces déjeuners remis au Khalife général datent du vivant de Cheikh Ahmadou Bamba. C’est Cheikh Ibra Fall lui-même qui le faisait et aujourd’hui encore nous perpétuons la tradition », relève le vieux disciple Baye Fall. Les camions sont chargés et les disciples prennent d’assaut les cars, les motocyclettes ouvrent le chemin et la procession démarre : direction la résidence Khadim Rassoul.
La procession des « Baye Fall », une véritable attraction
L’une des attractions du mois béni du ramadan à Touba, c’est la procession des Baye Fall. Elle a démarré dès le premier jour. Hommes, femmes, jeunes et vieux, emmitouflés dans des accoutrements de différentes couleurs (noir et blanc, bleu et noir, jaune et noir, beige et noir), selon l’appartenance et le style choisis par le disciple, forment les convois qui se suivent pour amener à la résidence Khadim Rassoul les repas destinés à la rupture du jeûne.
Pour les disciples de Diourbel, renseigne Serigne Bassirou Diop, il en était ainsi jusqu’en 1954. « C’est à cette date que Serigne Mouhamadou Fallou Mbacké a recommandé à Cherif Assane Fall de cuisiner tous les vendredis et depuis la descendance de ce dernier perpétue la tradition à travers Serigne Amdy Khady Fall, son khalife qui a revu à la hausse le nombre de plats », indique-t-il. « De 12 grands bols, les repas sont passés à 24 grands bols en 1974 grâce à Serigne Assane Fall. Aujourd’hui, ce sont des centaines de bols qui sont préparés, mais c’est toujours en deçà de sa volonté », fait savoir Serigne Malick Sarr.
Ce premier vendredi du mois béni du ramadan, la communauté Baye Fall de Touba, à l’unisson avec la famille de Chérif Assane Fall de Diourbel, a remis les fameux « ndogou » au Khalife général des Mourides. Et pour Serigne Mamoune Ndao « Baye Fall », c’est un grand jour.
Point de convergence des dévotions
L’atmosphère pittoresque de cette remise est exceptionnelle avec les Hizbut Tarqyyah qui déclament les khassaïdes à côté des Baye Fall qui entonnent un zikr au nom d’Allah. La résidence Khadim Rassoul refuse du monde. Des processions de bols en provenance de Djanatou, de la résidence Cheikh Ibrahima Fall où se trouve le Khalife des Baye Fall, de Palène, de Mbacké et de Diourbel ont convergé vers la résidence où se trouve Serigne Mountakha Bassirou Mbacké, le Khalife général de la communauté mouride. Pour Serigne Cheikhouna Mbacké Ibn Serigne Sham Ndoulo, la relation entre Serigne Touba et Cheikh Ibra Fall dépasse l’entendement. « C’est au-delà et nous nous exhortons à suivre l’exemple de Cheikh Ibra Fall. C’est le « ndigël » et nous y sommes », assure-t-il.
Selon lui, le ramadan de cette année est inédit. Il traduit, dit-il, la marche du Baye Fall. La communauté Baye Fall, comme à son habitude, poursuivra cette démarche tout au long de ce mois de pénitence pour bénéficier de l’agrément du Cheikh, mais aussi de l’adoration à travers les actes de solidarité posés à l’endroit de son prochain.