LE SORT PRECAIRE DES FOOTBALLEURS AFRICAINS EN EUROPE APRES LEUR ULTIME MATCH
Pensez à votre ancien joueur de football préféré en Europe. Vous vous souvenez probablement de ses buts magnifiques, de ses arrêts incroyables, de son esprit de combativité. Que fait-il maintenant? Qu’est-ce qu’il est devenu?
Pensez à votre ancien joueur de football préféré en Europe. Vous vous souvenez probablement de ses buts magnifiques, de ses arrêts incroyables, de son esprit de combativité. Que fait-il maintenant? Qu’est-ce qu’il est devenu? Il est entraîneur ou agent de joueurs? Peut-être commentateur sportif? Pensez maintenant à votre ancien joueur de football préféré qui a émigré d’un pays africain pour jouer en Europe. Le fait de l’évoquer vous renvoie probablement à ces mêmes images de jeu fantastique. Mais que fait-il à présent? Vous l’ignorez? N’essayez pas de tricher en disant qu’il s’agit de George Weah, lauréat du Ballon d’Or en 1995 et aujourd’hui président du Liberia. En fait, à l’exception de quelques parcours post-professionnels remarquables, nous savons rarement où se trouvent aujourd’hui les anciens footballeurs africains qui ont joué en Europe –- que ce soit à l’issue d’une carrière complète sur le terrain ou qu’ils aient dû cesser de jouer en tant que professionnels prématurément. Pourquoi est-ce le cas ? Nous avons mené différentes études pour tenter d’y voir plus clair.
EXCLUSION STRUCTURELLE
Tout d’abord, seuls quelques joueurs migrants africains restent dans le milieu du football européen en tant qu’entraîneurs ou à des postes administratifs. Parmi les plus connus, citons Mário Wilson, originaire du Mozambique, qui a passé la majeure partie de sa carrière au Portugal puis a entraîné le SL Benfica, qui a remporté le championnat portugais en 1976. Il y a également Michael Emenalo du Nigeria, qui a été directeur technique du FC Chelsea et de l’AS Monaco après avoir joué pour diverses équipes aux États-Unis, en Europe et en Israël. Plus récemment, l’ancien international nigérian devenu entraîneur, Ndubuisi Egbo, a permis au FK Tirana de remporter le titre de champion d’Albanie lors de la saison 2019/20, tandis que Mbaye Leye, un ancien international sénégalais, a été nommé nouvel entraîneur principal du Standard Liège en décembre 2020.
Mis à part ces exceptions, d’anciens footballeurs africains sont, par contre, devenus entraîneurs ou agents de joueurs, ou alors se sont mis à travailler dans le secteur du football après leur retour en Afrique, même si leur plan initial était de rester en Europe et d’y gagner leur vie après leur carrière de footballeur. Compte tenu de l’impact des joueurs africains dans le football européen, non seulement c’est étonnant, mais c’est assurément un gâchis de talents dans le domaine de l’encadrement pour ce secteur.
Le joueur, Raheem Sterling, et l’universitaire, Paul Campbell, ont récemment mis en évidence les inégalités structurelles qui empêchent les anciens joueurs noirs d’accéder à des postes d’entraîneur ou d’administrateur dans le football européen. En effet, si les footballeurs noirs représentent 30% des joueurs de la Premier League anglaise, mais seulement 1% des managers, l’exclusion structurelle des joueurs noirs est manifeste. Les postes d’entraîneurs dans le football professionnel européen sont évidemment limités et la concurrence est rude. Qu’advient-il, cependant, de la majorité des joueurs africains et comment évoluent-ils après une carrière sur le terrain ? Les réponses à ces questions sont décevantes. Hormis la poignée de célébrités du football, nos recherches démontrent que la majorité des joueurs professionnels africains évoluant en Europe sont vraiment mal préparés à leur nouveau parcours professionnel; ils font donc face à des défis sociaux et économiques dès que leur carrière de joueur prend fin pour un motif ou un autre. Ces obstacles ne sont pas le fait du hasard. Ils sont le prolongement des divers risques pris par de nombreux joueurs africains, au cours de leur carrière internationale, sans oublier les périodes d’incertitude et de privations traversées.
UNE ETUDE DE CAS
Interrogé dans le cadre de notre étude, Ibrahim (un pseudonyme) est l’illustration parfaite de la réalité concernant les épreuves endurées par les joueurs africains à tous les niveaux de jeu en Europe. Il est parti pour le Danemark en tant que jeune talent prometteur nigérian de 18 ans et a signé un contrat avec un club en devenir. Malgré son talent, il n’a jamais réussi à percer. Au cours de sa carrière, Ibrahim a souffert d’une maladie récurrente et d’une grave blessure. La plupart de ses contrats n’ont pas été renouvelés et il a souvent changé de club, passant la majeure partie de sa carrière dans les divisions inférieures du pays avec des salaires minimes à la clé, environ 2 000 dollars bruts par mois.
À la suite d’une deuxième blessure au genou et à la résiliation de son contrat, il n’a pas pu trouver de nouveau club. Après huit ans passés dans ce pays, il lui a fallu entamer une réflexion sur sa vie après le football. Bien qu’ayant à peine plus de 25 ans et même s’il ne comptait pas abandonner son rêve de devenir un footballeur professionnel, il ne pouvait pas se permettre de s’entraîner exclusivement pour se remettre à niveau, tout en cherchant un nouveau club. Il avait peu d’alternatives. Il se souvient : «Je voulais juste travailler. Je voulais juste gagner de l’argent, mais je n’avais pas fait d’études. Comment survivre alors ?» Puisqu’il avait droit aux prestations sociales, les autorités municipales danoises ont requis d’autres qualifications et ont, néanmoins, parrainé sa formation pour devenir aide-soignant. Il a obtenu son diplôme au terme d’une formation de 14 mois ; il travaille aujourd’hui à plein temps comme infirmier auxiliaire dans le secteur des soins aux personnes âgées, un emploi plutôt mal rémunéré, qui présente des difficultés spécifiques à surmonter, en raison des blessures qu’il a subies. L’histoire d’Ibrahim n’est pas unique. En général, les footballeurs africains évoluant en Europe forment un groupe particulièrement vulnérable d’athlètes professionnels. Plus que d’autres, ils sont affectés par des rémunérations insuffisantes et des contrats de courte durée et font fréquemment face à des contraintes économiques.
INVESTIR DANS L’AVENIR
Même si tous les footballeurs professionnels doivent constamment livrer de bonnes performances, les joueurs africains sont soumis à une pression particulière. Pour eux, obtenir un contrat mieux payé ou plus durable est souvent un besoin existentiel pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille en Afrique. Pour éviter l’échec en Europe et la honte de rentrer au pays les mains vides, les joueurs africains ont tendance à se consacrer exclusivement à leur carrière de joueur professionnel. Rares sont ceux qui ont le temps, les moyens, les connaissances et les relations indispensables à la préparation d’une carrière en dehors du football.
Au Danemark comme dans d’autres pays scandinaves, les joueurs locaux, au contraire, bénéficient souvent d’un soutien leur permettant d’envisager une autre carrière professionnelle, par exemple, grâce à la possibilité de mener à bien deux carrières en combinant le football professionnel avec des études ou une formation professionnelle. Les joueurs africains en sont souvent exclus en raison d’un manque généralisé de qualifications requises ou des compétences linguistiques nécessaires pour intégrer les programmes éducatifs en Europe. Par ailleurs, les clubs européens se montrent peu disposés à offrir des cours ou une formation professionnelle adéquate. Cela serait, sans doute, à l’encontre de leur approche coût-bénéfice visant à recruter de grands talents africains à des prix relativement bas.
Plusieurs personnes ayant participé à nos recherches travaillent en tant qu’aides-soignants, tout comme Ibrahim, dans le secteur des soins aux personnes âgées ou alors comme préposés au l’entretien ou livreurs. Bien que ces emplois leur garantissent des moyens de subsistance immédiats, ils s’accompagnent de conditions de travail difficiles. Plusieurs personnes ayant participé à nos recherches travaillent comme aides-soignants, tout comme Ibrahim, dans le secteur des soins aux personnes âgées ou alors comme préposés au l’entretien ou livreurs. Bien que ces emplois leur garantissent des moyens de subsistance immédiats, ils s’accompagnent de conditions de travail difficiles.
Ainsi, compte tenu des contraintes structurelles liées au football européen, de l’accès limité à l’instruction, des salaires plutôt bas, des contrats de courte durée et de la nécessité de se concentrer presque exclusivement sur leurs performances sportives, bon nombre d’entre eux finissent dans la précarité. Après une carrière de footballeur, les possibilités d’ascension sociale sont rares – peu importe que l’on soit connu pour ses beaux buts, ses arrêts incroyables ou son formidable esprit de combativité.
(theconversation.com)
AUTEURS Christian Ungruhe (Research fellow, Erasmus University Rotterdam)
Sine Agergaard (Professor, Aalborg University