«L’AGRESSION DU LAC TANMA EN EST LA PRINCIPALE CAUSE», SELON UN EXPERT
RECURRENCE DES INONDATIONS A DAKAR
Le technicien agroforestier Seydou Diémé est formel. La principale cause des inondations récurrentes dans la région de Dakar et certaines localités du pays est le lac Tanma, dont les différentes relations avec la mer sont interrompues. L’expert agro forestier n’a pas manqué d’argumenter avec des éléments techniques à l’appui.
Depuis plusieurs décennies déjà, à intervalles indéterminés, le Sénégal, principalement dans la région de Dakar, fait face à des inondations dévastatrices. C’était par exemple le cas en 2005, 2009 et 2012. La cause n’est pas à chercher ailleurs que la déstructuration du réseau hydrographique national bafoué par l’action de l’homme. C’est du moins ce qu’a expliqué le technicien agroforestier Seydou Diémé, responsable de l’Ong Adt-Gert, que nous avons interpellé sur cette problématique des inondations. «C’est le lac Tanma, situé dans le plateau de Thiès, qui est la cause des inondations à Dakar. Ses relations avec la mer sont interrompues. Il faut aller vérifier du côté de Thiédel. Le Mbaawane (cours d’eau entre Bayakh et Kayar) ne se déverse plus dans la mer. Or, c’est un cours d’eau naturel qui part du lac Tanma, en passant par le jardin botanique à Dakar (Cambérène, Dalifort, etc.) pour se déverser vers la mer par la baie de Hann», a expliqué Seydou Diémé, qui est du reste formel sur le sujet.
Perturbation du réseau hydrographique national
Selon le technicien agroforestier, «la principale caractéristique d’un cours d’eau est le va-et-vient». Mais, malheureusement, à ses yeux, «l’action de l’homme a conduit à la déstructuration du chemin naturel de l’eau». Par conséquent, tout le réseau est perturbé, entraînant des dégâts à tous les égards par la force du ruissellement. «Le Sénégal est un pays émaillé de cours d’eau qui sont tous interdépendants. Tous les cours d’eau prennent naissance dans le plateau de Thiès qui s’étend de Nguékokh à Tassener, dans sa longueur, et de Rufisque à Tassète, dans sa largeur», explicite l’expert agro forestier.
Poursuivant, il souligne que «le Saloum est en train de mourir, car à partir de mai à juin, il n’y a plus d’eau dans Nganda… Le Saloum prend sa source dans le Diobass, plus précisément à Notto. Or, le Diobass a pris sa naissance dans le plateau de Thiès pour se déverser vers Mbarkedji, en passant par Mbacké, etc. pour aller se jeter dans le Saloum. C’est cette relation d’interdépendance qui est aujourd’hui bouleversée». D’après lui, c’est parce que les gens ont construit n’importe comment sur les zones de passage des eaux et que l’Etat a aussi laissé faire dans une certaine mesure qu’on en est arrivé à cette situation dangereuse. Par exemple, relève-t-il, la zone de captage des eaux de Dakar, près de Castors, a été morcelée et vendue à usage d’habitat, alors qu’elle avait une fonction environnementale. Il y a aussi une partie du jardin botanique de Dakar, vers Cambérène, qui est bloquée par l’autoroute à péage qui le coupe en deux, «remettant ainsi en cause le principe fondamental de va-et-vient de l’eau».
Les dangers du ruissellement
Mais, compte tenu des complications observées sur le terrain, Seydou Diémé pointe du doigt le ruissellement. «Le ruissellement est le premier ennemi du Sénégal. Aujourd’hui, 80% de l’eau de pluie ruissellent n’importe comment», indique Seydou Diémé, qui rappelle l’incident de Ndiosmone, en date de l’hivernage de l’année dernière, avec un bus pris dans les eaux qui avait fait un mort.
«Nous avons eu un signal fort avec les inondations de Ndiosmone. C’est le trop plein du cours d’eau Sorène, dans la zone de Djilass, qui était à l’origine de ce phénomène. Le Sorène est un cours d’eau né à Ngourbane qui est venu se déverser sur Ndiosmone», précise-t-il. Et parmi les solutions escomptées à ce danger permanent qui menace notre pays, Seydou Diémé estime qu’«il faut que le plateau de Thiès rejoue le rôle qui était le sien, c'està- dire réguler la distribution de l’eau des différents cours d’eau dont il est la source».
Les solutions envisageables
Outre la tenue d’un Forum national sur le problème «pour dire ce qui est sur le terrain », Seydou Diémé est convaincu qu’il faut «d’abord tranquilliser la mer en réhabilitant les cours d’eau pour que ce qui est naturellement établi soit restauré». Pour lui, «la mer est une zone de régulation du mouvement des cours d’eau». Et pour étayer son propos, il renseigne que «de Bargny à Ndangane Sambou, beaucoup de cours d’eau partis de l’intérieur du pays se jettent dans la mer. Mais hélas, les zones de déversement sont en majorité bloquées».
Dans une autre mesure, toujours selon Seydou Diémé, «il faut mettre des aménagements biologiques autour des aménagements mécaniques». Tout d’abord, il faut mettre des cordons pierreux pour ralentir la vitesse de l’eau. Ils sont logés à une profondeur de 5 à 10 cm. Autour de ces cordons pierreux s’installe la végétation. Ils aident les agriculteurs dans la mise en place des semis. Les cordons sont toujours perpendiculaires à la direction du ruissellement des eaux. Il prône ainsi quelques solutions majeures. C’est d’abord de «creuser des fosses qui sont des bassins de rétention miniatures. Ils servent à stabiliser l’eau». C’est ensuite, «d’aménager des termitières. Elles contribuent à rétablir le climat. Elles jouent un rôle d’adoucissement». C’est aussi, dans le même ordre d’idées, de se rappeler qu’«il y avait du temps du colonisateur des zones d’observation du mouvement de l’eau sur toute l’étendue du territoire. Il y a d’ailleurs un bâtiment en ruines entre Louly Sessène et Djilass, dans la région de Fatick, qui abritait les locaux de cet observatoire dans cette zone. Pour remettre tout à l’oeuvre afin de régler le problème, il faut que l’Etat du Sénégal refasse l’effort de remettre ces observatoires en opération, mais aussi inviter les différents techniciens agro forestiers et les populations autour d’un forum pour trouver des solutions durables contre les inondations».
Il faut dire que Seydou Diémé avait déjà tiré la sonnette d’alarme le 30 septembre 2009 au Centre forestier de Thiès, à l’occasion de l’atelier national sur la gestion des bassins de rétention et lacs artificiels du Sénégal qui était présidé par le ministre de l’Environnement d’alors, Djibo Leyti Ka.
Cinq ans après, aucun effort n’est fait pour trouver une solution durable à ce phénomène récurrent des inondations qui hante le sommeil des populations de la banlieue dakaroise notamment et cause d’énormes dégâts à travers tout le pays.