«UNE BAISSE LINÉAIRE COMME CELA, ÇA NE PEUT PAS CONTINUER»
AMARA TOURÉ, EXPERT IMMOBILIER
Expert immobilier agréé, ingénieur en génie civil, option bâtiment travaux publics, et contrôleur technique agréé assermenté, le secteur du bâtiment n’a plus de secret pour Amara Touré. Ce membre de l’ordre national des experts immobiliers agréés du Sénégal, nous décortique ici, la mesure de baisse des loyers dont le projet de loi sera examiné aujourd’hui à l’Assemblée nationale.
«Ce n’est pas par un coup de baguette magique qu’on va faire baisser le loyer. Il n’y a que les facteurs exogènes qui vont faire baisser les loyers, pas les facteurs endogènes. Si on arrivait à faire des routes qui permettaient aux gens de se déplacer sur une soixantaine de kilomètres et revenir à leur point de départ, sans anicroches, le loyer, fatalement, allait baisser. Parce que les gens n’ont pas fondamentalement pas intérêt à rester à Dakar».
«L’Etat a sa partition à jouer. Ne serait-ce que sur la plan fiscal. Il peut aider à la baisse du coût du terrain par exemple. Parce que finalement tous les terrains appartiennent à l’Etat. Donc, l’Etat a sa partition à jouer. Il peut de façon subtile, en jouant sur le fisc, sur les incitations fiscales, pour aider à accompagner les gens dans la construction, dans l’acquisition des terrains, faciliter l’explosion de la construction. Et quand l’offre dépasse la demande, les prix vont baisser».
Les facteurs exogènes, la solution
«Mais il y a la crise qui guette également. La manière classique de construire, c’est de contracter des prêts. Et pour payer, le propriétaire est obligé de s’appuyer sur les revenus locatifs pour avoir un retour sur investissement. Envisager la baisse du loyer dans un contexte où l’on fait un prêt pour construire, c’est très compliqué. Il faut une synergie entre l’Etat les promoteurs et peut être les banques. Parce que tant qu’il n’y a pas cette synergie pour faire baisser le coût de construction, il sera difficile de faire baisser le loyer».
«Nous, on nous a expliqué que la surface corrigée répondait à un besoin de réguler le loyer. Mais ce qui est paradoxal dans le calcul de la surface corrigée, c’est qu’au même titre que les constructions, le terrain intervient. Si vous louez une maison dont le coût du m² avoisine 1.5 million de francs Cfa et que prix de terrain est répercuté dans ce que vous payez, c’est pourquoi il n’est pas rare de voir un petit appartement à un million de francs Cfa en centre-ville. Si l’Etat usait de son pouvoir pour faire baisser les prix des terrains, la part du terrain qui entre dans le calcul de la surface corrigée serait moindre. Et si elle est moindre cela va se ressentir sur le prix du loyer.»
La surface corrigée ne peut régler les problèmes
Mais la surface corrigée, en mon sens, ne peut pas permettre de régler les problèmes, parce que quand on veut déterminer le prix d’un loyer, et on y ajoute le prix du terrain, qui ne se dégrade pas, ne diminue pas, alors que le bâtiment on doit l’entretenir. Donc, aujourd’hui j’aurai aimé qu’il y ait un débat sur la surface corrigée qui est d’une autre époque parce qu’elle répondait à un besoin aux années d’indépendance, mais aujourd’hui c’est complètement dépasser. Si on pouvait calculer le coût du loyer sans y ajouter derechef le coût du terrain, peut être que ça aiderait à amoindrir les coûts.
Tendance actuellement baissière à Dakar
Le cas de Dakar, il ne faut pas rêver. Les coûts qu’il y a à Dakar actuellement, Répondaient à une situation précise. Dans toute la sous-région, il y avait une instabilité notamment en Côte d’ivoire. Donc, les gens systématiquement venaient à Dakar. La demande étant supérieure à l’offre, les prix ont augmenté. La tendance, actuellement à Dakar, est fortement baissière. Parce qu’Abidjan est en train de se stabiliser. Moi j’ai été à Abidjan l’an dernier, le m² de terrain le plus cher au plateau, c’était à 100 000. Ici c’est 1 500 000 francs Cfa. Donc, ils spéculent. On se croirait au Japon.
Le président, même quand il se trompe, il se trompe de bonne foi. C’est quelqu’un qui croit en son pays.
«Cela n’est pas un phénomène structurel, c’est plutôt conjoncturel. Une baisse linéaire comme ça, ça ne peut pas continuer. En analysant toutes les composantes qui ont permis de faire cette baisse, on se rend compte que c’est plus une volonté politique qu’une réalité économique. Vous prenez une maison à Guédiaouaye, vous appliquez la surface corrigée, vous tombez à 150 000 francs Cfa à cause du terrain. Et rares sont ceux qui peuvent payer 150 000 francs Cfa. C’est rare, sauf pour l’administration, que les surfaces corrigées soient la base de contrats de bail».