À L'ORIGINE ÉTAIT “KEUR MÉDINE”
CÉLÉBRATION DU CENTENAIRE DE CAMBÉRÈNE
La cité religieuse de Cambérène, qui est par ailleurs la capitale de la communauté layène, souffle ses 100 bougies dans la nostalgie de ses moments de splendeur. Si son nom est lié à vie à celui de son “fondateur” Seydina Issa Rohou Laye, fils et premier khalife du Mahdi, Seydina Limamou Laye, qui lui a insufflé vie et dynamisme.
Un village, une cité religieuse? Érigé en commune d'arrondissement depuis 1996, Cambérène, qui célèbre ses 100 ans d'existence, compte aujourd'hui un passé chargé d'histoires. Ce quartier mythique qui s'appelait, à l'origine, “Keur Médinatou mounawara” ou “Keur Médine”, en référence, à la ville arabe de Médine, continue à se remémorer et à célébrer ses “concepteurs”'.
Il est né de l'esprit du fondateur de la confrérie layène, Seydina Limamoul Mahdi. C'était en 1886. Le saint homme, présenté comme un illettré, qui avait proclamé à l'âge de 40 ans son “titre” de "Mahdi”, l'envoyé de Dieu, venait d'être élargi de Gorée. Il revenait d'un bref séjour à Dakar, plus précisément à la Médina, “suite à des persécutions du colon.”
Il installe “Keur Médine” à “Ndingala” qui garde encore l'un des puits sacrés des Layènes. Pendant presque 30 ans, cette “cité bénie” lui offre l'opportunité de loger ses fidèles qui venaient de différents coins du pays tels le Walo, Gandiol, Cayor, Baol. A l'époque, “Yoff”, sa contrée natale, lui contestait son titre de guide spirituel.
Seydina Limamou Laye se heurtait à des poches de résistance de la part de ses parents lébous. Il s'y ajoute qu'en 1887, le juge Gilbert Desvallon, qui avait prononcé son acquittement, au Tribunal de Dakar, avait souligné que “Seydina Limamoulaye comptait peu de partisans à Yoff même et qu'il suffira d'intimer l'ordre au chef du village de Yoff d'en interdire le séjour aux étrangers pour que la puissance de Limamou soit à jamais annihilée.” Il a dû s'exiler avec ses premiers fidèles à “Keur Médine”, une brousse environnante, qui est passé par déformation à Cambérène qui signifierait “trou”.
Mais les choses vont prendre une autre tournure, en 1914, c'est à dire 5 ans après la disparition du Mahdi Seydina Limamoulaye. Son premier khalife, Seydina Issa Laye, prit le soin de déplacer le village. Une épidémie meurtrière de peste venait de faire des ravages au Sénégal, pour plus de précautions, il fait déménager les fidèles vers Cambérène sur mer.
Sur les écrits des exégètes layènes, il est mentionné que “l'histoire retient que c'est en 1914 que 'Keur Medine' fut réinstallé par le vicaire du Mahdi, comme pour confirmer sans besoin de convaincre du reste les écritures saintes qui mentionnèrent l'érection du Royaume de Dieu en l'année 1914 par le fils de Marie.”
Toujours est il que l'appel de Seydina Limamou Laye Al Mahdi qui est célébré au mois de mai est toujours lancé dans cette cité mythique. “Ce n'est pas le fruit du hasard” confie Mandione Kane, membre du comité de pilotage du centenaire de Cambérène.
ARCHITECTURE ET VALEURS
Ça baigne entre tradition et modernité !
Cambérène, c'est l'histoire des huttes qui marquent sa singularité, mais c'est aussi les “maas” ou classes d'âge, mis en place par Mame Seydina et qui avaient pour fonction d'être des structures d'apprentissage de la vie. Mais le vent du modernisme a fini par dénaturer, aux yeux de certains, cette belle architecture et ces belles valeurs qu'il urge aujourd'hui de restaurer.
Dans la capitale religieuse des Layènes, les maisons ont été construites sous le signe de U qui symbolise l'Union. D'autres parlent de “Ëtt”. Tout au début, il n y en avait que 7, au fil des ans, leur nombre est nettement passé à la hausse. Explications de Libasse Hanne, membre du comité de pilotage des 100 ans de Cambérène : “l'habitat tel que conçu par Seydina Issa Rohou Lahi est structuré sous forme de 'ëtt' et schématisé en U.
Dans un 'ëtt', les maisons se font face sur deux rangées avec au fond la maison du chef qui fait office de siège, de refuge pour les nouveaux arrivants et où se prennent toutes les décisions. Dans chaque maison se trouve une cour et toutes les portes y donnaient. Faisaient référence au principe de l'unité, les membres du 'ëtt' s'entre-aidaient et il n'y avait pas de sens interdit, tout se partageait. Et à cette époque chaque 'ëtt' prenait le nom de son chef.”'
Mais le vent du modernisme a fini par dénaturer, aux yeux de certains, cette belle architecture. Les “huttes” ou “ëtt” ont fini par épouser l'air du temps. Les portes ne donnent plus sur le voisinage mais sur la rue. Cette ouverture vers l'extérieur traduit, pour les traditionalistes, une rupture d'avec le voisinage, balisant la voie à l'individualisme. La vie en communauté en subit un sacré coup, pense pour sa part Abdoulaye Hanne.
Cambérène a pu survivre jusqu'en 1987 avec ses valeurs, mais il n'a pas pu préserver son système de “Maas”. “Mame Seydina avait mis en place les “maas” ou classes d'âge qui avaient pour fonction d'être des structures d'apprentissage de la vie, des structures d'entraide et de solidarité. Dans la constitution des “maas”, il était question de combattre les velléités de catégorisation sociale.
Ainsi lorsqu'un membre d'un “maas” avait besoin d'une case pour son mariage, c'était le groupe qui s'en chargeait. Ainsi un “maas” comme “compagnie des bérets” avait pu réaliser pour le compte de Seydina Issa des cases à Cambérène, Yoff et Dakar.”
Restaurer les valeurs !
Autre temps, autre réalité. Cambérène s'adapte à l'ère du renouveau. Dans ce village religieux, où le folklore, les cérémonies mondaines, la consommation d'alcool, entre autres, étaient méconnus, les réalités basculent.
En guise d'exemple, tiennent à rappeler les habitants de Cambérène, “du vivant de Seydina Issa Laye, on n'osait pas traîner le pas lors de funérailles ou baptêmes, tout le monde se dispersait après avoir accompli l'essentiel.”
Aujourd'hui, cette belle tradition a été ensevelie. Et 100 ans après, Cambérène est sur le point de flirter avec le déracinement. Les fils du “terroir” ont décidé de retrousser les manches pour redresser la barque avant qu'elle ne sombre dans les méandres de la modernité.
Seydina Issa Laye, un guide “en avance sur son temps”
La cité religieuse de Cambérène qui va des Parcelles assainies pour s'étendre jusqu'au mur occidental de la clôture du Golf, avec un prolongement sur la mer, a grandi au fil des ans.
Sa population est passée d'un millier à 50 000 habitants. Mieux, selon certaines estimations, elle concentre 95% de la population layène. Cambérène doit une fière chandelle à Seydina Issa Laye, un guide spirituel qui a largement contribué à son positionnement sur l'échiquier politique.
Une citoyenneté active a été toujours été développée dans cette cité. Mieux, Le premier Khalife des Layènes a su poser des actes légués à la postérité, selon les disciples. Il avait aussi fait de sorte que les “activités agricoles dominent le quotidien des Layènes avec la pêche, le commerce et le maraîchage.”
Outre la construction d'infrastructures, il a eu à imposer aux politiques de même qu'aux colons de confier les emplois publics aux natifs du pays tels la police, la gendarmerie, le service d'hygiène, “comme j'ai vu faire à Paris et à Casablanca lors de mon voyage à l'Exposition coloniale”...
Si les relations entre le Mahdi Seydina Limamou Laye et les colons ont été très heurtées, Seydina Issa a eu la chance de tisser des rapports huilés avec les colons qui le traitaient avec déférence. Raison de ses trois distinctions reçues en 1931 au moment de l'Exposition coloniale du bois de Vincennes.
Éphémérides
En dehors du centenaire, Cambérène se souvient d'autres dates saillantes. La disparition en 1949 de Seydina Issa Laye, le 1er Khalife de la confrérie layène, remplacé dans la même année par Seydina Mandione Laye (2ème Khalife) qui va régner jusqu'en 1971.
Il cède le trône à Baye Seydi Thiaw (3ème Khalife) qui jusqu'en 1987 a eu poser des actes salutaires tels la réhabilitation de la Mosquée de Cambérène,la création des quartiers Mbane et Kawsara et l' installation des égouts (canaux d'évacuation de eaux).
Son successeur Seydina Mame Alassane Laye s'inscrit dans la même veine, jusqu'en 2001, avant de céder la place à l'actuel Khalife Abdoulaye Thiaw Laye, qui perpétue le legs de ses prédécesseurs. Cambérène, c'est aussi quatre imams successifs :
Abdou Guèye, Mamadou Wade, Mame Libasse Wade et l'actuel Imam Baye Mbaye Ndondé Hanne ; mais également ses chefs de village Sabakhaw Mbaye, Malick Diop et l'actuel El Hadji Yatma Diop Hanne.