‘’LES DÉS SONT PIPÉS, DANS LE TRAITEMENT DE L’AFFAIRE DE LA DROGUE DANS LA POLICE’’
EXCLUSIF SenePlus : MADIAMBAL DIAGNE, LE PATRON DU JOURNAL LE QUOTIDIEN, QUI A RÉVÉLÉ LE SCANDALE

Dans cette partie de l’entretien avec SenePlus, Madiambal Diagne, l’administrateur du groupe Avenir communication, éditeur du journal Le Quotidien, qui a révélé l’affaire, parle du scandale de la drogue dans la police. Ses doutes quant à la crédibilité de l’enquête administrative, les ‘’fautes’’ qui disqualifient le ministre de l’Intérieur, le général Pathé Seck, pour la gestion de l’affaire, les moyens de tirer ‘’cette histoire’’ au clair et de redorer le blason de la police…, le chroniqueur politique a ouvert tous les compartiments de ce dossier à tiroirs.
SEPT MOIS DE FOLIE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
‘’Le commissaire Keïta a été installé en décembre 2012. Au mois de janvier, il s’est ouvert au ministre de l’Intérieur pour l’informer de la situation à l’Ocrtis (Office central de répression du trafic illicite de stupéfiants). Et il a fait un rapport. Le ministre de l’Intérieur a estimé que le rapport avait des éléments qui nécessitaient un approfondissement. Il a donné des instructions au commissaire Keïta, pour approfondir son enquête. Il a nommé un de ses conseillers techniques qui suivait cette histoire avec Keïta. Ils ont eu plusieurs séances de travail autour de cette question. Donc, le ministre de l’Intérieur savait l’existence de cette affaire et que celle-ci comportait un début de fondement crédible. A partir de cet instant, il n’a tiré aucune conséquence. Au contraire, il a laissé la situation pourrir. Et au mois de juin, six mois après, sans tirer l’affaire au clair, il a proposé la nomination du commissaire Abdoulaye Niang au poste de directeur général de la police nationale. Voilà le premier parti-pris. Keïta est revenu à la charge, avec des éléments supplémentaires, pour accabler le commissaire Niang. Quelle a été la réaction du commissaire Niang et du ministre de l’Intérieur ? C’était de démettre Keïta de ses fonctions. D’abord, le ministre n’a pas été la hauteur, parce qu’il n’a pas pris ses responsabilités au moment où il fallait les prendre. En plus, le ministre de l’Intérieur dit qu’il s’agit d’une guerre fratricide au sein de la police. Et pourtant, la première décision qu’il a prise c’était de limoger Keïta à la demande de Niang. Voilà un autre parti-pris flagrant qui montre que le ministre de l’Intérieur était mal placé pour gérer cette histoire-là.
LES CINQ PECHES DU GENERAL PATHE SECK
‘’Le général Pathé Seck est disqualifié. Sa première faute, c’est d’avoir été saisi d’une affaire par qui de droit et qu’il n’ait pas pris les dispositions nécessaires pour la tirer au clair. Il a laissé cette histoire-là pourrir. Deuxième faute : il a proposé la nomination d’une personne gravement mise en cause, sans s’assurer que cette personne-là est propre. Troisième faute : il a proposé la nomination de cette personne sans informer le président de la République de l’existence d’un dossier le concernant. Quatrième faute : il a été saisi de cette histoire et sa réaction a été d’abord de dire ‘je ne suis pas au courant’. Ce qui s’est révélé faux. Cinquième faute : il a fait une déclaration que j’ai jugée irresponsable, en annonçant qu’il ne se mêle pas d’un conflit fratricide au sein de la police. Si on est nommé à la tête d’un ministère et qu’on ne s’occupe pas des problèmes de ce ministère, à quoi bon être à ce poste-là ?
UNE ENQUETE ADMINISTRATIVE BIAISEE
‘’Je n’ai pas été surpris par les conclusions de l’enquête. C’était un secret de polichinelle que la police allait aboutir à ces conclusions, pour la simple raison qu’il fallait sauver l’image de la police et de ces chefs. Si on voulait une enquête objective, rigoureuse, sérieuse, on n’allait pas laisser en poste les personnes incriminées dans cette affaire. La première mesure conservatoire qui devait être prise, c’était de suspendre le directeur général de la police nationale, Abdoulaye Niang, qui est le principal mis en cause dans cette histoire-là. Le fait aussi que le ministre de l’Intérieur ait eu une attitude de parti-pris manifeste pour le commissaire Niang, au détriment du commissaire Keïta, laissait augurer que ses services aboutiront aux présentes conclusions de l’enquête administrative.
RISQUE D’EFFACEMENT DE PREUVES
‘’L’enquête judiciaire peut permettre de rattraper les errements de l’enquête administrative. Maintenant, quels sont les éléments qui seront à la disposition des enquêteurs ? Parce que dans cette histoire, il y a beaucoup de possibilités d’effacer des preuves. Les gens ont suffisamment duré à leur poste pour s’occuper du nettoyage. On a vu des enregistrements qui ont été sortis d’on ne sait où. Cela montre que ceux qui sont mis en cause ne vont pas se laissés faire. Ils vont chercher à effacer des preuves, à se blanchir et à enfoncer l’autre partie. On peut considérer a priori que les dés sont pipés. Seulement, je ne désespère pas par rapport à la rigueur qui devrait entourer cette enquête judiciaire. Je crois que, le ministre de la Justice et le procureur de la République sont déterminés à tirer cette histoire au clair. Et il y va de l’intérêt du Sénégal. J’ose espérer qu’on y mettra les moyens qu’il faut.
POURQUOI PAS UNE COOPERATION JUDICIARE INTERNATIONALE ?
‘’C’est une histoire de très grave pour l’image du Sénégal. Le patron de la police accusé de trafic de drogue ! Et il accusé par qui ? La personne la mieux indiquée pour le faire, c’est-à-dire le patron de la lutte contre la drogue. Je n’exclus même pas que les gens aient recours à une coopération internationale pour tirer cette histoire au clair. Il y a des polices qui sont spécialisées dans ces questions-là. Elles peuvent, dans le cadre d’une coopération judiciaire internationale, apporter une assistance technique à même de permettre de tirer cette histoire au clair.
RENDRE A LA POLICE SA CREDIBILITE
‘’Les gens ont besoin de remobiliser la police. De faire en sorte que les agents de la police, les cadres de la police recollent à leur corps professionnel. On doit crédibiliser la police. Et crédibiliser la police, c’est agir sur plusieurs niveaux. Sur le commandement, par la nomination de personnes ayant valoir une probité morale sans faille et dont le professionnalisme n’est nullement contesté. Il est urgent que la police soit dotée d’une brigade prévôtale pourvue de moyens humains et matériels importants, pour descendre sur le terrain et traquer les policiers ripoux. Il faut aussi que l’on intervienne dans le recrutement des policiers. Le mal à la police est profond, il faut le soigner à la racine. Pour cela, il faut un courage et une volonté politique. On ne peut pas regarder la police aller à vau-l’eau comme cela. Après, ce sera l’armée, la gendarmerie, la justice, les hommes politiques, et nous finirons par être un narco-Etat.
ANNA SEMOU FAYE, LE MOINS PIRE DOSSIER
‘’Je me suis félicité de la nomination d’Anna Sémou Faye. D’abord, c’est la consécration d’une femme à un poste aussi important de l’administration de l’Etat. Cela traduit une volonté d’impliquer et de donner des responsabilités aux femmes. Je pense qu’Anna Sémou Faye sera à la hauteur. Quand il a été question de nommer un directeur général à la tête de la police, la presse en a fait état en tout cas, elle avait été écartée parce que c’est une femme. Les gens craignaient une certaine misogynie au sein de la police. Je ne suis pas d’accord avec cette façon de voir les choses. Si une femme ne peut pas être à la tête de la police, pourquoi lui ouvre-t-on les portes de ce corps ? Anna Sémou Faye a eu des états de services qui plaident pour elle : elle est passée dans plusieurs commissariats, dans différentes directions de la police nationale. Partout où elle est passé elle a été obéie. Ceux qui avaient plaidé contre sa nomination, se positionnaient ou cherchaient à positionner leurs poulains. Elle avait le meilleur profil et le meilleur dossier. Meilleur dossier, parce qu’elle avait celui qui comportait le moins de situations compromettantes. Je trouve que c’est la reconnaissance d’un mérite. Elle est la personne qui devait être nommée en ce moment précis. J’ose espérer qu’elle va tirer son épingle du jeu.
BONS COMPTES ET MECOMPTES POUR LE QUOTIDIEN
‘’Il faut dire que les ventes se sont bien comportées pendant cette période. Je n’ai pas les statistiques précises, mais je ne peux pas nier que c’est lié à cette affaire. Au pif, on s’est rendu compte qu’il y a eu un regain d’intérêt pour la publication et beaucoup de lecteurs nous ont appelés pour se féliciter de la fiabilité de nos informations et de notre objectivité dans le traitement de l’affaire. Nous, nous avons tenu à donner la parole à toutes les parties pendant que d’autres ne donnaient la parole qu’à ceux qui chargeaient le commissaire Keïta.
Mais après la publication de cette affaire, nous avons reçu des appels de gens proférant des insultes. Ils ont déclaré agir au nom de personnes mises en cause dans le rapport du commissaire Keïta. Nous avons pris acte et les dispositions pour informer l’autorité judiciaire. Une plainte a été déposée au bureau du procureur de la République, pour harcèlement. Parce qu’on continue à appeler à n’importe quelle heure pour débiter des insanités et pour menacer. Nous avons pris les précautions d’usage : renforcer notre sécurité, veiller à ce que le personnel soit mieux sensibilisé par rapport à ses déplacements et que tout acte suspect soit rapporté à qui de droit.’’