ABDOU FALL SUR LA SITUATION POLITIQUE NATIONALE

On constate, Monsieur le Ministre, que plusieurs partis de la coalition au pouvoir sont traversés par de fortes divergences sur la conduite à tenir face à la prochaine élection présidentielle. C’est le cas notamment de l’AFP et du parti socialiste. Quelle lecture en faites-vous?
Nous faisons tous le même constat en effet. Je pense, pour ma part, que cette situation est le résultat d’une difficulté majeure que la classe politique sénégalaise n’arrive pas encore à surmonter dans la gestion des coalitions de pouvoir. Qu’il s’agisse des gouvernements de majorité présidentielle élargie du président Abdou Diouf, des coalitions gouvernementales successives du président Wade, et de l’actuelle coalition BOKK YAKAAR, aucune de ces alliances gouvernementales ne s'est constituée sur la base d'un programme commun de gouvernement.
Il est indispensable à mon avis qu’on en arrive à un consensus sur une plate-forme minimale de gouvernement pour donner cohérence, stabilité et durabilité aux équipes qui nous gouvernent. Tant que ce ne sera pas le cas, il sera difficile que la cohabitation entre partis coalisés échappe aux difficultés dont vous venez de faire état, surtout à l’approche d’échéances électorales majeures.
N’êtes-vous pas en train de dire que la coalition BOKK YAKAAR est condamnée à l'éclatement?
Ce n’est ni mon propos, ni mon vœux. Je suis simplement entrain de décrire une situation objective caractéristique d’un nouveau mode de gouvernance de nos états inauguré depuis la première alternance de 2000.
Ce n’est que dans la dernière décennie des 40 ans de règne du défunt régime socialiste que les expériences de coalition gouvernementales ont eu lieu au Sénégal avec l’entrée en 1992 du PDS, du PIT et de la LD dans le gouvernement du président Abdou Diouf. Même si les résultats des élections faisaient l’objet de fortes contestations à l’époque, le parti socialiste disposait d’une majorité qui laissait plutôt apparaître ses alliés comme des forces d’appoint.
C'est avec les elections présidentielles de 2000 et 2012 que la survenue d’un second tour a donné naissance à ce qu’on peut véritablement appeler des coalitions électorales majoritaires. C’est ce nouveau mode de gouvernance qu’il y a lieu d’évaluer et d’améliorer. C’est là tout le sens de mon propos.
En décidant d’intégrer dans les rangs de l'APR beaucoup de partis et mouvements alliés, le président Macky Sall n’est-il pas en train de chercher à se donner les moyens de se passer de l’apport de ces partenaires de BOKK YAAKAR pour disposer d’une majorité qui lui soit propre?
On ne peut reprocher à un leader politique de travailler à élargir les rangs de son parti, et même à se constituer une majorité qui lui donne la latitude de dérouler la vision politique dont il est porteur. Mais je pense que c'est faire une mauvaise querelle au président Macky Sall de considérer les efforts d’élargissement de la base sociale de l’APR comme une entreprise dirigée contre ses alliés; Car aucuns de ces partis alliés n’échappe à cette volonté de renforcement voire d’hégémonie, le champ politique étant, par excellence, le champ de la compétition.
Ce que je retiens, en ce qui me concerne, c’est que les dirigeants de l’APR ont toutes les raisons de travailler à parachever le processus de construction de leur parti qui s’est retrouvé au pouvoir trois années à peine après sa création.
Pour qui connaît l’histoire politique du Sénégal, si le président Senghor est arrivé à bâtir un parti puissant qui lui a permis de gouverner 20 ans et qui lui a survécu 20 ans après son départ du pouvoir, c’est que le parti senghorien de l’époque s'est tout le temps enrichi de l’apport de nouvelles forces qui lui ont donné un nouveau souffle à des étapes décisives de l’histoire du parti et du pays.
À quoi faites-vous précisément allusion?
Vous savez, il existe une singularité frappante dans les trajectoires politiques des présidents Léopold Senghor et Macky Sall. Le BDS (Bloc Démocratique Sénégalais) du Président Senghor, issu d'une dissidence de la SFIO (Section Française de l'Internationale Ouvrière) du Président Lamine Gueye en 1948, est sortie victorieux, trois années plus tard, en 1951, d'une compétition électorale avec la SFIO. Cette victoire du BDS en 1951 a porté le président Senghor à l'assemblée nationale française pour le conduire à devenir le premier Président de la République du Sénégal en 1960. Ce qui est intéressant ici, c'est tout le processus de construction d'un parti de gouvernement que le président Senghor a réalisé les dix années pendant lesquelles il a siégé à l'assemblée nationale française avant de devenir le premier Président du Sénégal indépendant en 1960.
Il a mis ces dix années à profit pour s'enrichir de nouvelles forces politiques en organisant en 1956 la fusion entre le BDS et l'UDS (Union Démocratique Sénégalaise) d'Abdoulaye Ly et de Amadou Moctar Mbow de l'époque pour constituer le BPS (Bloc Populaire Sénégalais) en 1956. Il organisera en 1958 une même opération de fusion avec la SFIO de Lamine Gueye et les jeunes cadres de l'époque comme Obeye Diop et Blondin Diop pour faire la mutation du BPS à l'UPS (Union Progressiste Sénégalaise) qui cooptera aprés 1960 des cadres du PAI et aprés 1963, beaucoup d'autres cadres et leaders du PRA-Sénégal (Parti du Rassemblement Africain) et d'autres tenors dissidents du BMS (Bloc des Masses Sénégalaise) et du Front National du professeur Cheikh Anta Diop.
C'est à travers ces différentes étapes de fusion que le président Senghor a pu forger un grand parti de masses, de cadres et d’intellectuels qui lui ont permis de conserver le pouvoir plus d'une quarantaine d'années. Le contexte historique n'est certes pas le même, mais le président Macky Sall ne peut échapper à cette exigence d'enrichir son parti de forces, de mouvements, et de cadres politiques d'autres horizons pour parachever son organisation.
Si je comprends bien, le mouvement que vous dirigez, Alternative Citoyenne Andu Nawle, est donc prêt à rejoindre les rangs du parti présidentiel?
Andu Nawlé est un mouvement citoyen qui inscrit déjà son action dans le cadre d'un partenariat stratégique avec l'APR. Sa qualité de mouvement citoyen, donc apolitique, ne l'autorise pas à se dissoudre dans un parti. Tout au plus une affiliation reste envisageable. Mais nous avons déjà scellé un pacte avec l'APR en vue de la promotion du Plan Sénégal Émergent et de la réélection du Président Macky Sall à la prochaine échéance présidentielle. Nous avons également convenu de travailler à promouvoir le projet d'un pacte national pour la république et l'émergence qui devra constituer le cadre d'un contrat de développement économique et social ayant comme échéance l'horizon 2035.
Quel est selon vous l'enjeu de ce pacte?
En concevant le Plan Sénégal Émergent, le président Macky Sall nous place dans la perspective d'un futur que nous devons construire ensemble en nous lançant en tant que nation le défi de hisser le Sénégal au rang d'un pays émergent à l'horizon 2035, c'est à dire exactement dans vingt ans. Si nous raisonnons en termes concrets, nous devons nous rappeler que nous étions 3 millions de sénégalais lorsqu'on accédait à l'indépendance en 1960. 55 ans après, en 2015, nous sommes aujourd'hui prés de 14 millions.
En 2035, dans 20 ans, nous serons prés de 20 millions. L'ambition du PSE du Président Macky Sall est de mobiliser les 14 millions que nous sommes aujourd'hui pour nous constituer en un bloc uni et solidaire pour accroître les richesses nationales de manière telle que nous soyons capables de nourrir, de vêtir, de soigner, d'éduquer, de former et de donner du travail aux 20 millions que nous serons vraisemblablement dans 20 ans en 2035.
L'enjeu du pacte national pour la république et l'émergence est de bâtir, sur la base du Plan Sénégal Émergent, la plate-forme qui doit constituer la base de rassemblement et de mobilisation des partis, organisations, mouvements et associations déterminés à tout entreprendre sous la direction du Président Macky Sall pour que cet objectif salutaire du Plan Sénégal Émergent soit atteint en 2035.
L'idée d'un tel pacte ne risque-t-elle pas d'accélérer le processus de dislocation de la coalition Benno Bokk Yakaar?
Je pense au contraire qu'un tel débat est de nature à donner à la coalition Bokk Yakkar l'occasion de se recentrer sur la mission qui est censée être celle d'une coalition politique qui a sollicité et obtenu le suffrage des citoyens. Les électeurs qui ont répondu à l'appel de Bokk Yakkar pour l'élection à 65% du Président Macky Sall à la tête du pays l'avaient fait dans le but que cette coalition prenne en charge les problèmes concrets de développement de notre pays.
Maintenant que les citoyens ont achevé de confier à la coalition victorieuse de 2012 l'ensemble des organes de pouvoirs politiques, de l’exécutif aux collectivités locales en passant par l'assemblée nationale, le seul combat qui vaille et qui intéresse nos compatriotes est celui de la mobilisation de l'ensemble des leviers de pouvoirs qui sont mis entre les mains de la coalition majoritaire pour s'attaquer aux défis de développement économique, social et culturel, dans une société solidaire et une gouvernance vertueuse et rénovée.
Doit on pouvoir conclure en disant que rien ne s'oppose plus désormais à ce que monsieur Abdou Fall rejoigne les rangs de l'APR?
Lors de la deuxième rencontre entre le secrétariat de l'APR et les membres du comité directeur du mouvement Alternative Citoyenne Andu Nawlé, le président Macky Sall avait indiqué que l'APR était une alliance et non un parti monolithique, ce qui justifiait la présence dans ses rangs de dirigeants de sensibilités et d'itinéraires politiques variés qui s'étaient regroupés, sous sa direction, autour du programme Yonnu Yokuté qui a constitué la plateforme de premier tour de Macky 2012.
Aujourd'hui que ce programme s'est enrichi pour évoluer vers le PSE, nous disposons là des bases fondamentales d'une plate-forme de consensus pour des hommes et des femmes de bonne volonté n'ayant en vue que le Sénégal et ses intérêts dans un futur à construire dans la solidarité avec nos voisins et tous nos frères africains.
Nous sommes en effet résolument engagés au coté du Président Macky Sall, des cadres et militants de son parti pour apporter notre concours à la réalisation d'une telle ambition. Je suis d'autant plus motivé pour m'investir dans un tel projet qu'au regard de la recomposition politique en cours, le président Macky Sall dispose de tous les atouts pour construire à partir du pôle républicain dont il est l'inspirateur et le leader une offre politique novatrice, fédératrice et attrayante au service d'un Sénégal émergent et d'une Afrique unie et solidaire. Je m'investirai bien avec engagement pour apporter ma modeste contribution à la réalisation d'une telle ambition.
Quel regard portez-vous enfin sur le débat politico-judiciaire en cours autour du procès de l'ancien ministre d'état Karim Wade?
Je regrette la politisation excessive de ce débat et je souhaite que tout soit entrepris pour que la justice sénégalaise puisse en délibérer dans la sérénité et qu'elle en sorte renforcée. Nous avons tous intérêt à travailler à l'instauration d'un climat politique et social apaisé afin de nous concentrer sur les bons sujets et les bons combats pour le développement du Sénégal. Il y a peut être lieu de rappeler qu'au moment de son arrivée au pouvoir en 2012, le Sénégal était placé, en terme d'indice de développement humain, au 164e rang sur 187 pays. 20% de notre population accédaient à peine à 7% de la consommation nationale. Cette dure réalité justifie la haute portée des mesures de caractère social dont les bourses familiales prises par le gouvernement en direction des importantes couches faibles et vulnérables de notre société.
En lançant le défi de l'autosuffisance en riz à l'horizon 2017, le président Macky Sall ouvre un grand chantier patriotique pour notre autosuffisance alimentaire. Ce combat est le seul qui vaille aujourd'hui pour des raisons à la fois de dignité nationale et de progrès économique et social quand on sait que notre situation de dépendance alimentaire nous coûte plus de 726 milliards de devise par an pour les besoins de l'importation de denrées telles que le riz, les produits laitiers, la tomate et l’oignon. Et c'est précisément autour de ces ambitions d'indépendance économique et de souveraineté nationale que le PSE et le pacte national pour la république et l'émergence trouvent toute leur signification.
Et un autre sujet majeur sur lequel un consensus national doit être construit, c'est bien celui de la Casamance où, avec les dernières importantes mesures prises par le Président de la République lors de la dernière visite qu'il vient d'y effectuer nous donnent, aujourd'hui une occasion exceptionnelle de tourner définitivement le dos à cette crise qui a pendant si longtemps meurtri notre pays. La relance du tourisme, les importants chantiers de développement agricole, les opportunités du projet «Casamance pôle de développement régional», les importantes mesures de désenclavement constituent le socle d'un plan de relance de l'économie de cette région qui a tout le potentiel pour devenir une des locomotives du Plan Sénégal Émergent. C'est sur ces sujets et sur d'autres du même intérêt qu'il y a aujourd'hui lieu de recentrer le débat politique dans notre pays.