ABIDJAN, DIS-MOI ABIDJAN…
L’implication est encore confidentielle. Le soleil a coincé l’info en cul de page Sport, dans son édition d’hier. Sans aucun appel à la une. Naguère, ce n’était pas un événement si banal dans la République que de voir le chef de l’Etat appeler par téléphone la sélection nationale, en préparation à l’étranger, à la veille d’un match capital. Qui plus est, cette fois, à l’avant-dernière étape d’une qualification pour la Coupe du monde. Mieux encore, pour un match qui oppose les «Lions» à leurs rivaux consacrés dans la sous-région, les «Eléphants» de Côte d’Ivoire.
Voilà que cette fois on est aux antipodes des ferveurs politiques qui mettaient la République en culotte et maillot, godasses et bas, l’écusson national sur le cœur et le drapelet à la main. Pour l’heure, c’est «tranquille Mimile, cool Basile».
Derrière les apparences, il y a les évidences. Sans doute veut-on éviter les emportements prématurés, les paris fous qui transforment les désillusions en folie furieuse populaire. Pour l’heure, on laisse la première période aux «Lions». Il sera plus aisé de les accompagner pour la seconde, selon les circonstances et les perspectives qui se dessinent pour Casablanca. Ce qu’ils auront semé à Abidjan déterminera la récolte future.
Il n’y a nulle indifférence dans cette confidentialité. L’attitude politique (qui a dit calcul ?) consiste simplement à attendre les «Lions» au tournant. C’est comme au marathon. Mieux vaut se poster sur la dernière ligne droite, dans le stade, pour y attendre les forçats du bitume. C’est quand le champion a fini de souffrir dans l’effort et que l’élan de la victoire lui imprime la beauté et l’altière allure du vainqueur, que s’installe le moment magique.
Abidjan est un stade du processus où l’on calcule encore les risques. Mais l’innocence politique n’existe pas vis-à-vis du sport, quand il s’agit de conquête à dimension nationale. En termes de niveau d’intérêt, tout dépend de la quote-part du résultat dans ce qui construit la propagande des pouvoirs. Dans les moments de gloire et de bonheur, elle est énorme.
On a lu et relu Frantz Fanon. De sa pensée révolutionnaire, sa critique de la déraison sportive et l’enfermement des masses dans une passion non constructive, demeure celle qu’on a le plus esquivée. On a vécu comme on a pu avec nos «contradictions», celle-là entre autres. Et bien sûr que Fanon avait raison. La douce euphorie de cet opium est d’une ivresse collective qui soulage bien les sommeils tourmentés des gouvernants, quand les fractures politiques, économiques et sociales rendent les lendemains incertains.
Rien, dans les conquêtes que font les peuples en ces temps modernes, n’offre une telle puissance fusionnelle dans laquelle tout se dissout en termes de différence, pour ramener les identités et les particularités à une dimension unique. La Nation devient le partage d’une même émotion, plus forte encore que «le commun vouloir de vie commune».
Le match de samedi est un investissement sur l’avenir. Un placement pour le moment incertain, mais que les «Lions» peuvent se transformer en valeur-refuge. Un score qui entretient l’espoir et ouvre les portes du tout possible, sera de l’or en barre. Dans les attitudes réservées du moment, on attend donc les «Lions» à ce tournant.
Sage attitude. Car les deux drapeaux qui sont sortis ces derniers mois, pour guider les preux du basket sur les sentiers de la gloire, ne sont pas revenus. Le bataillon des garçons l’a perdu à Abidjan, malgré un dernier rush qui sauva les honneurs et valut une médaille d’estime. L’armada des dames a sauté sur les dernières mines flottantes, ses illusions avec.
Il ne reste plus que les «Lions» du foot pour redorer les fiertés écorchées et offrir ce projet collectif qui va habiter les imaginaires, peupler les rêves et réduire les déficits politiques, économiques et sociaux à des expressions marginales.
Macky Sall le dit dans sa communication téléphonique avec le président de la fédération Augustin Senghor, le sélectionneur Alain Giresse et le capitaine Mohamed Diamé, ainsi que rapportée par Le soleil dans son édition d’hier : «Sachez qu’impossible n’est pas sénégalais et que le soutien actif du peuple vous est acquis.»
Cela tient en une brève, mais les mots et leur charge symbolique sont là. Il ne reste que le discours qui est pour l’instant en réserve. Samedi, par la valeur du résultat acquis devant les «Eléphants», les «Lions» pourront dresser l’estrade.
Toujours selon Le soleil, le président de la République a dit à Giresse «qu’il n’a toujours pas encore reçu en audience, son espoir que ce serait pour bientôt, dans des circonstances d’allégresse et de victoire».
C’est le temps des doutes. Or on gouverne avec des certitudes.
Que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre sur le palais.