AVIS D’INEXPERT : DE L’ÉTHIQUE DE PUBLIER UN CERTIFICAT MÉDICAL
Obtenir de meilleures conditions de détention à un pensionnaire d’une maison de correction doit-il valoir que soit révélé son dossier médical jusque dans ses moindres détails ? Posons-nous la question au regard de la surenchère sur le contenu du dossier médical – en principe confidentiel – du sieur Bibo Bourgi qui, révèle-t-on, «pisse du sang» et souffrirait d’une cardiopathie et bien d’autres pathologies des reins, etc. C’est à croire que le bonhomme est à l’article de la mort. Et à présent que le détenu jouit d’un régime de détention préférentiel, évacué qu’il est au pavillon spécial de l’hôpital, Aristide Le Dantec, son entourage, notamment, ses avocats à l’origine de cette surenchère qui tord le cou à l’éthique et à la déontologie, dénoncent l’environnement du pavillon qui serait situé à proximité de l’incinérateur de déchets médicaux.
«Selon l’Observateur, [cité par le journal en-ligne Dakaractu.com], les conseils des détenus jugent le pavillon hors norme pour accueillir des malades. Et pour cause, les tuyaux d’échappement des machines d’incinération des déchets médicaux surplombent leur bâtiment. Il y a du gaz toxique qui s’échappe des machines d’incinération et c’est dangereux pour l’état de santé des détenus».
C’est maintenant qu’on voit toutes ces lacunes, comme si elles ne doivent être signalées qu’en faveur du détenu Bourgi, comme si avant ce dernier, d’autres détenus n’ont pas séjourné dans cette structure dépendant à la fois de l’hôpital et des centres pénitentiaires de Dakar.
Et la presse est toujours toute généreuse, tout ouïe pour rapporter ce qui pour nous relève de la manipulation. Les connaisseurs de l’éthique et de la déontologie journalistiques nous diront si un organe de presse – quel qu’il soit - doit – au risque de porter atteinte à la dignité du malade - révéler le contenu de son dossier médical. Qui peut le plus peut le moins.
Le droit de la presse, qui proscrit la révélation de l’identité d’une personne d’âge mineur, d’un malade mental, ne devrait autoriser la publication fureteuse, morbide, d’un dossier médical.
Pas plus que celle des avocats qui sont le plus en pointe dans cette question, eux qui organisent la fuite du secret médical.
Les praticiens du droit, et autres, s’indignent, dénoncent, s’embarrassent de ce que le secret de l’instruction se retrouve dans la presse ; on n’entend pas les médecins avoir une préoccupation similaire concernant les informations sur l’état de santé de leur patient. Les Sénégalais sont à leur écoute. Que disent leur éthique et leur déontologie à ce sujet ? On aimerait bien être édifiés.
C’est sur des questions de ce genre que le Conseil pour l’observation des règles d’éthique et de déontologie devrait être attendu et devrait se prononcer avec impartialité et rigueur. Interpellons aussi la profession médicale, précisément l’Ordre des médecins qu’on a jamais entendue élever la moindre réprobation à ce sujet. Que dit-elle des médecins détenteurs des documents ou aux informations relevant du secret médical protégé de manière grave par le serment d’Hippocrate, mais ainsi livrés au public via la presse ?
Elle devrait se faire entendre, condamner, récriminer, interpeller le médecin qui a pu détenir les informations confidentielles livrées ainsi au public aux fins de manipulations dont l’objectif est d’obtenir la remise en liberté ou – au moins – un régime de détention carcérale de faveur au malade. Combien sont-ils les détenus malades, mais dont les avocats ne plaident jamais la cause, l’évacuation vers une structure hospitalière spéciale ?
Ce n’est pas glorieux pour Bourgi que le vulgum pecus sache qu’il pisse du sang. Si la défense judiciaire en arrive à cette argumentation tirée du ruisseau, c’est qu’elle manque de stratégie et de retenue.
Tout médecin dont les informations qu’il détient se retrouvent dans la presse devrait être au moins frappé d’indignité. Aucune pitié pour l’état sanitaire de Bourgi ne devrait justifier que soit su qu’il pisse du sang. C’est dégradant.
Il nous vient en mémoire une émission vue sur la télévision nationale du Burkina Faso et où une Ong, pour médiatiser ses «bonnes actions», fait filmer et parler les bénéficiaires, notamment des malades mentaux, dont les visages n’ont même pas été "floutés" ni masqués. On y voit même le caméraman pourchasser, pour lui arracher un témoignage, un «bénéficiaire» déficient mental ! Quelle est, au bout du compte, la portée morale d’une telle action de charité ?
L’Ong est condamnable ; elle l’est tout autant la télévision qui a servi de support à une «générosité» qui tintinnabule, qui carillonne, qui «hisse le drapeau, bat le tambour et sonne le clairon», comme nous disait, avec un ton indigné, un fonctionnaire de la coopération internationale de Belgique !
Pour finir par un point qui n’a rien à voir avec le premier, je voudrais juste remarquer que les prénoms de Macky Sall et Karim Wade sont ceux avec lesquels la presse aime faire des titres calembours – les uns bien réussis et les autres passant à côté de la plaque voire au goût douteux. Souvent on parle de «mackyage», de «mackysard», de «Un Krim (allusion à Karim Wade, Ndlr) presque parfait »… Et tant d’autres. Quand cet exercice de construction ne marche pas, les effets sont désastreux. Il faut beaucoup d’intelligence et de culture pour s’aventurer dans certaines tournures humoristiques comme savent si bien le faire deux journaux français, Libération et le Canard enchaîné. «L’humour, dira l’écrivain Jean Edern Hallier, est le tranchant de l’intelligence».
Post-scriptum : «Une source policière bien au fait de l'effervescence qui prévaut actuellement au sein du corps (la police, Ndlr), a bien voulu nous faire la confidence suivante : «Toutes ces fuites notées dans la presse, résultent de la bataille de positionnement qui fait rage présentement au sein de la Police, poussant certains à vouloir se mettre en exergue, voire se positionner au détriment d'autres.» Il s’agit de l’audition de l’ancien ministre de l’Intérieur, Me Ousmane Ngom, par l’Inspection générale d’Etat.
Je reproduis cet extrait d’un article de Dakaractu.com parce qu’il me rappelle ce que j’ai écrit sur ce sujet des manipulations dont est cible la presse. Des manipulations aux objectifs forcément intéressés, ainsi qu’analysé dans la dernière phrase du propos cité.