Chez l'élite nigériane, luxe et "pop pop pop champagne" !
Dans une boîte de nuit branchée de Lagos, baignée dans une lumière bleutée, la soirée commence à peine mais le hip-hop retentit à plein volume et les bouteilles de champagne ornent déjà les tables basses dans leur seau de glace.
"On brasse trop d'argent dans le pétrole", explique un client quadragénaire du Rhapsody, sur Victoria Island, un des quartiers chics de la métropole économique du premier producteur de brut d'Afrique, lorsqu'on lui demande pourquoi les Nigérians dépensent de telles fortunes pour le célèbre vin pétillant français.
L'homme précise que c'est sa société qui règle la note pour les deux bouteilles qui trônent devant lui, le champagne le moins cher valant tout de même 90 euros. Mais comme beaucoup d'autres clients de ce club à la mode, il refuse de donner son nom et dévoiler sa profession.
Le Nigeria est l'un des pays au monde où la consommation de champagne connait la plus forte croissance. Plus de 59 millions de dollars y ont été consacrés à l'achat des précieuses bulles en 2012, selon la société de recherche Euromonitor International.
Un chiffre en augmentation par rapport à 2011 (49 millions de dollars) et qui devrait atteindre 105 millions de dollars en 2017, selon Euromonitor.
Le pays, le plus peuplé d'Afrique avec 160 millions d'habitants, "est un des marchés les plus importants, pour l'avenir du champagne", estime Spiros Malandrakis, analyste pour Euromonitor.
Selon lui, en Chine, les producteurs de champagne misent sur la classe moyenne émergente mais il en va autrement au Nigeria.
"Le cas du Nigeria, d'après ce que je comprends, est celui d'une société très divisée, une grande partie de la population appartenant à la classe ouvrière alors que l'élite a les moyens de s'offrir les choses les plus extravagantes", remarque-t-il.
Les magnats du pétrole et les stars de Nollywood, l'industrie cinématographique nigériane, en quête de reconnaissance sociale, ont participé au succès local de cette boisson synonyme de luxe et de raffinement.
Une cuvée à 900 dollars
Les vedettes américaines de hip-hop font depuis longtemps la promotion des fines bulles françaises et la jeune scène nigériane leur a emboité le pas.
Dans un tube sorti il y a deux ans qui passe encore sur les ondes et dans les boîtes, le refrain lancinant revient en boucle: "Pop-pop-pop-pop champagne".
Le prix d'une bouteille varie selon le club et la marque. Une simple bouteille de Moët & Chandon, par exemple, tourne autour des 120 dollars alors que le Cristal, une cuvée haut de gamme de Louis Roederer, se vend 900 dollars et parfois plus. Dans le commerce, les prix sont bien plus bas.
Le Nigeria est considéré comme l'un des pays les plus corrompus au monde, les revenus du pétrole étant empochés ou détournés par milliards, privant la population d'infrastructures de base tel qu'un réseau électrique fiable.
Les montants dépensés en champagne sont encore plus frappants quand on les compare aux chiffres de la Banque Mondiale, selon laquelle 63% des Nigérians vivent avec un dollar par jour ou moins.
L'écart entre riches et pauvres s'est creusé ces dernières années: une échelle largement utilisée dans le monde, le coefficient Gini, où la valeur 0 représente la parfaite égalité et le 1 représente une inégalité totale, montre une augmentation des écarts de richesse, de 0,39 en 2003-2004 à 0,42 en 2009-2010.
"Si l'on compare au niveau international, c'est assez haut, mais pas démesuré par rapport à d'autres pays", estime John Litwack, économiste pour la Banque Mondiale au Nigeria.
Mais une partie de la grande bourgeoisie nigériane n'a sans doute pas participé à cette enquête, ce qui altère ces chiffres dans une certaine mesure, selon lui.
Ceux qui ont de l'argent en ont vraiment beaucoup. Martin Kapsdorfer, le patron du Cafe Vanessa, un bar situé dans la même rue que le Rhapsody, raconte qu'un client a commandé 80 bouteilles de champagne, récemment, juste pour une fête.
Au Rhapsody, un homme de 38 ans qui dit être dans le commerce du marbre et du granit savoure une bière Guiness. Pour lui, le champagne est plutôt le privilège du secteur pétrolier.
"C'est un truc pour le prestige", dit-il, ajoutant: "personnellement, je déteste ça".