A DJIBRIL DIOP MAMBÉTY
Entretien avec Nicolas Sawalo Cissé, réalisateur de "Mbeubeuss, terreau de l'espoir", un film au programme de Gorée Cinéma ce samedi sur la plage de l'Île
Le cycle 5 de la première saison du festival Gorée Cinéma se tiendra ce samedi 5 septembre. Elle aura comme point d’ancrage la projection du film Mbeubeuss, le terreau de l’espoir. À quelques heures de ce grand rendez-vous du 7e art au Sénégal, www.SenePlus.Com est allé à la rencontre du réalisateur du film, Nicolas Sawalo Cissé. Occasion pour lui de parler de son premier long métrage, qui est le reflet du «potentiel de la jeunesse sénégalaise».
Votre film Mbeubeuss, le terreau de l’espoir est au programme du cycle V du festival Gorée Cinéma. En quoi ce long métrage est un message d’espoir ?
Tout d’abord je tiens à remercier les initiateurs de ce festival. Je pense notamment à la direction de la cinématographie et au maitre d’œuvre de l’organisation qui est Joe Gaï Ramaka. C’est un confrère, un cinéaste ainé. Il connaît le cinéma. Ce n’est pas évident de projeter la nuit dans un espace à l’air libre. Mais vu qu’il s’y connaît et a déjà fait ses preuves, alors on reste confiant en appréciant le travail fait. Cette projection sera une réussite. Je me félicite d’être là. Mbeubeuss, le terreau de l’espoir est un film fait par et pour la jeunesse du Sénégal. Le dernier message du film est le suivant : «Nous pouvons tous changer. Il suffit d’y croire.» C’est l’actrice principale du film qui lance cet appel.
Qu’attendez-vous du public ?
Le souhait de tout réalisateur est de faire corps avec son public, donc j’espère que le film va plaire. Le public fera corps avec ce film. Et si Joe Gaï Ramaka a choisi de le projeter, ce n’est pas pour rien. Il y a déjà un vécu parce que le film a été diffusé dans plusieurs pays sur d’autres continents. Il a fait l’unanimité. En général, le public l’aime. C’est un public jeune et moins jeune qui fera corps avec le film, qui va se l’approprier c’est ce que j’attends. Il y aura une appropriation collective du public de Gorée Cinéma. Par exemple, lorsque le film a été projeté au Portugal, la jeunesse de la ville où cela a été fait lui a attribué un prix. C’est le prix de la jeunesse. L’appropriation est possible parce que le film traite de très nombreux sujets qui sont les maux du Sénégal.
Il y est beaucoup question de la jeunesse…
Le film traite des rapports entre l’homme et la femme, de la violence sur les enfants, des rapports que les enfants ont avec la drogue, de la situation des handicapés. Il se plonge aussi dans les rapports entre les Africains en général, et des Sénégalais en particulier, et les marabouts. Aujourd’hui au Sénégal, on ne fait plus rien sans consulter le marabout. C’est toute la notion du travail par le travail qui se disloque au profit du gain acquis en passant par des objets et des hommes occultes au lieu que le gain acquis soit le fruit de la sueur.
Qu’est-ce qui vous a poussé faire ce film ?
Plusieurs choses m’ont motivé de la rédaction du scénario du film jusqu’à sa réalisation. Je me suis rendu compte que les jeunes du Sénégal sont capables. Il est important de le dire. Les jeunes du Sénégal ont du potentiel. Ils n’ont pas d’enseignement. On ne leur apprend absolument rien mais, ils sont capables, capables de tout faire. Donc j’ai voulu mettre autour de moi des jeunes, et je leur ai dit : «Nous allons créer un film, vous montrerez ce que vous savez faire». Ils m’ont étonné à tout point de vue. Un film, c’est mille métiers : la coiffure, le chauffeur, la lumière, etc. Je n’ai eu qu’un seul étranger dans ce film. Et d’ailleurs ce n’est pas un étranger. C’est un Noir Américain qui a choisi le Sénégal comme son pays d’adoption et qui vit ici depuis un temps. Sinon tous les jeunes qui ont travaillé sur le film sont sénégalais. Ce sont des jeunes très dynamiques. Sans ménagement, ils ont mis leur savoir-faire à contribution pour que ce film sorte. Ce savoir-faire a besoin d’être pris en compte et boosté. C’est ce qui est inexistant au Sénégal. Alors cela ne m’étonne pas que ce savoir-faire s’éteint peu à peu, parce qu’on l’entretient par l’éducation, les écoles. Mais on constate que ces écoles sont totalement absentes. Il est absolument nécessaire que nous nous retroussions les manches. Et surtout la jeunesse doit se retrousser les manches et commencer à travailler pour s’affirmer.
Ce film est une fable surréaliste. Il a été inspiré par quoi ou par qui ?
Djibril Mambéty Diop. Je m’inspire de lui. Djibril est mon mentor. Il est ce que j’ai aimé le plus dans l’art sénégalais. C’est un personnage d’une générosité absolu qui a eu ce même message pour les enfants. C’est pour cette raison qu’il avait créé une Fondation qu’il m’a remis pour la représenter. C’est la Fondation Yaadikone pour l’Enfance et la Nature. Les films de Mambéty s’inscrivent dans le temps, ils sont immortels. Quand vous regardez Hyène, Touki Bouki ce sont des films qui ont été là, qui sont là et qui seront là plus tard à tous les âges. Le plus bel hommage que je pouvais lui rendre, c’est de faire un film où le personnage principal s’appellera Yaadikone. C’est ce qui a été fait dans Mbeubeuss, le terreau de l’espoir. Comme je l’ai dit à sa sortie, ce film n’est pas pour aujourd’hui, il est pour l’avenir. Plus on y va, plus il sera d’actualité. On s’inscrit dans une logique de temps.
Comment appréciez-vous l’état actuel du cinéma sénégalais ?
La visibilité du Sénégal est au point zéro. Le Sénégal n’est plus visible. On ne parle plus du Sénégal comme avant. Quand j’avais vingt ans, le Sénégal était à l’affiche de toutes les manifestations culturelles et économiques. On ne pouvait pas parler de l’Afrique sans parler du Sénégal, de l’économie africaine sans mentionner le Sénégal nonobstant la culture. Lorsqu’on parlait de la culture en Afrique, le nom du Sénégal était un réflexe. Mais aujourd’hui, on ne nous cite plus. Je suis heureux qu’à la direction de la cinématographie, nous avons une équipe jeune, convaincante qui s’applique. Combien de temps cela va durer ? Je ne sais pas. Parce que vous savez au Sénégal, on se réveille le matin et on vous enlève tout. C’est tout le travail que vous avez effectué en amont qui s’écroule avec vous. Nous prions pour que cette équipe reste. Elle fait du bon boulot avec le peu de moyens dont elle dispose. Ses moyens devraient être décuplés. La direction de la cinématographie doit recevoir des véritables fonds. Espérons que cela continue. C’est encourageant, les festivals de cinéma qui se tiennent au Sénégal. Les promoteurs de ces festivals sont de braves gens. Vous vous rendez compte ? Ils prennent de pareilles initiatives et arrivent à organiser les festivals sans aide. Mais tous ces jeunes qui ont des festivals, ils travaillent depuis des années avant même qu’il y ait un préalable c’est-à-dire quand ils n’avaient rien. Au moins maintenant, on commence à parler de cinéma, quelques personnes se sont dit : «C’est assez, il faut que ça cesse !». Vous avez des jeunes qui se battent et qui vont dans des régions pour montrer leurs films. Ce sont des gens qui sont là et que nous connaissons très bien. Ils sont dynamiques et ils ont un produit durable et pérenne entre leurs mains. Donc j’espère que ça ira de l’avant et on aura un festival digne de ce nom qui peut rivaliser avec Fespaco ou Ecrans Noirs. Cela sera une bonne chose pour le Sénégal.
À quand le prochain film ?
Nous avons un autre film en vue. Il est déjà écrit. On est à la recherche de production parce que la première production que nous avons faite était une production totalement indépendante. Ce qui nous a valu des souffrances intellectuelles et pécuniaires. Le cinéma est une histoire collective. C’est bien d’avoir des partenaires. On souhaite être directement inscrit au panorama des festivals dans le monde. Ce qui permet de moins galérer. Par exemple, tous les films français sont directement inscrits à des festivals, qu’ils soient bons ou mauvais. Il suffit qu’ils y aient le label CNC. J’espère travailler dans mon prochain film avec des producteurs qui peuvent être espagnols, français ou américains qui ont ce label entres autres. Ma maison de production, Niciss Production, est une entreprise sénégalaise et comme toute entreprise sénégalaise, elle est en souffrance. On n’a pas de budget et ce film fait son chemin à part le prix qu’il a remporté. Il va être diffusé d’ici peu sur TV5. Pour avoir le droit de diffusion avec TV5, j’ai eu beaucoup de problèmes parce que ce n’est pas un film conventionnel.