FAUX DÉVOTS
Faire mendier un enfant n'a rien à voir avec une bonne éducation, qui plus est, se réclamant religieuse. Les conservateurs qui défendent ce fléau de nos temps, sont dans la bigoterie et non la dévotion
Deux ans se sont passés, depuis l'abominable incendie qui a emporté la vie de neufs petits mendiants dans une maison de la Médina. La communauté est unanime à constater que rien n'a changé en vue de prévenir une répétition de ce malheur. Bien au contraire, il y a eu recrudescence de mendiants dans les rues de Dakar, malgré la démonstration de compassion des autorités qui avait suivi et l'expression d'une prise de conscience et de responsabilité de leur part.
Il y a quelques jours, un matin de grand froid à Dakar, alors qu'après l'office matinal j'étais à ma fenêtre, à l'étage, observant la ville s'éveiller. Mon attention fut captée par les errances dans la rue d'un tout-petit de l'âge où ma mère ne m'autorisait pas à m'éloigner de son regard, pas même dans l'étroite cour de notre maison. Cet enfant n'avait pas cinq ans et ne savait même pas encore à qui tendre opportunément la main.
En vue du cortège présidentiel qui devait passer plus tard dans la journée pour se rendre à l'aéroport, une voiture pick up pleine de gendarmes vint à se garer le long du trottoir pour y déposer en jalonnement l'un d'eux. Je vis le tout-petit grelottant, s'empresser d'aller lui tendre la main et le gendarme surpris, de lui intimer l'ordre de s'éloigner illico de lui. Il se tourna alors vers deux petits écoliers que leur maman accompagnait à l'arrêt du bus scolaire. Lui, à seulement cinq ans, mal fagoté et pieds nus, un seau en plastique vide au bout du poignet, allant solliciter d'aussi jeunes que lui en tenue d'écolier, sac au dos, en partance pour l'école. J'ai pu mesurer tout le drame qui se jouait sous mes yeux.
Confronté ainsi à l'innocence indiscutable de cet enfant, si tôt dénué du moindre droit, attention et compassion, jeté à peine sevré, pieds et poings liés, aux mains de cupides imposteurs. Avec la kyrielle de zélateurs qui polluent les média pour des causes fallacieuses, qu'est-ce qui fait que ces malheureux innocents n'aient personne pour prendre leur défense ? Pour un drame si évident que celui de ces enfants mendiants, seule la voix des tartuffes qui les exploitent tonne avec un infâme euphémisme sur leur sort, pour mieux le sceller en l'associant à la sacralité des daaras.
Faire mendier un enfant de cet âge n'a rien à voir avec une bonne éducation, qui plus est, se réclamant religieuse. Les conservateurs qui défendent ce fléau de nos temps, sont dans la bigoterie et non la dévotion. A bien les écouter l'on constate que leur argumentaire fourbe est un tissu de déni d'évidences et abus de bon sens, qu'il s'agit de mettre à nu, si l'on veut régler le problème de la mendicité dont ils font leurs choux gras.
Fioritures et faits inopportuns
Prenons l'argument qui donne pour prémisses des faits historiques comme quoi ceux que l'on vénère dans ce pays sont passés par les daaras. Les talibés de ces daaras mendiaient. Alors par voie de déduction, mendier serait une bonne valeur éducative de notre société, à perpétuer. L'imposture consiste à nier toutes spécificités à la mendicité actuelle, avec son cortège de malheurs et, nous faire croire qu'elle est identique dans ses formes et fond à ce qu'auraient vécu tel et tel vénérables dans le passé.
Les talibés mendiants d'aujourd'hui seraient par conséquent les vénérés de demain. L'évidence du contraire de ce qu'ils veulent nous faire croire, illustrée récemment avec la mort tragique dans la Médina des tout-petits, est totalement niée dans ces arguments. Ils ne se fondent que sur des allégations hors propos du genre : «ils veulent éliminer les daaras et nous imposer l'école du colonisateur», «le président est contre l'islam», «sans mendicité on ne s'en sortira pas, à moins que l'Etat ne finance directement les maîtres de daaras», etc.
Darra (rien) et daara
Que de faux dévots veuillent nous faire croire qu'il est absolument nécessaire de faire subir la mendicité à des enfants de bas âge, cela ne m'émeut pas, ils sont dans leur rôle. Mais pour la République le devoir envers ces enfants est de préserver leurs droits et veiller à ce qu'ils ne subissent en toute impunité de préjudices des adultes. La déclaration universelle des droits de l'homme consacre que tous les enfants ont droit à l'éducation élémentaire gratuite. Qu'à huit heures du matin, il y ait plus de tout-petits et d'adolescents qui tendent la main dans les rues de la capitale, que d'écoliers qui vont en classe, est très inquiétant pour l'avenir de ce pays.
Les autorités ne peuvent démissionner devant ce fléau, parce que simplement intimidées par des dévots qui n'entendent par le terme "avenir" qu'une seule chose, l'au-delà. Les attentes de notre nation ne seront satisfaites que si l'État prend ses responsabilités vis-à-vis de ces jeunes qui ont droit à une éducation. Cet Etat n'a pas vocation à nuire à quelque organe du système éducatif que ce soit ce faisant et surtout pas aux daaras. Proclamer que la lutte contre la mendicité des enfants est une atteinte grave à l'enseignement de l'islam dans notre pays, relève d'une duperie grotesque de conservateurs, motivée par la phobie de changement.
L'on a guère plus de foi parce qu'on a été mendiant dans sa vie, non plus ne connait-on mieux le Coran pour ça. A la place d'arguments consistants l'on ne nous sert que davantage d'amalgames, de leurres habituels, de calomnies personnelles et de menaces apocalyptiques. Il faut arrêter. L'État n'a aucun problème avec ceux qui enseignent l'islam, bien au contraire, il cherche à leur faire rattraper le retard qu'ils ont sur l'école française, en proposant une modernisation avec des financements à la clé. Par contre il aurait un problème avec d'obscurs maîtres coraniques, certains bigots, d'autres pédophiles ou trafiquants occasionnels, qui exploitent les enfants et les torturent sous nos yeux.
Comment se fait-il qu'avec tant d'enfants mendiant dans les rues, le spectacle d'enfants assis à psalmodier le Coran sous l'œil d'un maître, soit devenu si rare de nos jours? Ce paradoxe est révélateur. Il faut sauver ces enfants de la nation. Les honnêtes et sincères Oustaz de daaras sont attendus dans cette lutte contre l'imposture. Un dévot, c'est quelqu'un qui au nom de sa foi, ne transige pas avec la vérité.