KARIM WADE CONDAMNÉ, UNE VICTOIRE À LA PYRRHUS POUR MACKY SALL

«Un homme qui prive un autre homme de sa liberté est prisonnier de la haine, des préjugés et de l’étroitesse d’esprit».
Nelson Mandela. «Pensées pour moi-même»
La Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), en prononçant son arrêt du 23 mars 2015, condamnant Karim Wade et ses co-prévenus, à de lourdes peines, a signé l’arrêt de mort de Macky Sall dans le cœur de bon nombre de Sénégalais épris de justice et de respect des droits humains.
Ce verdict tend à prouver que Macky Sall, qui n’est pas un descendant d’esclaves, confirme qu’il est bien l’esclave de la France, en ce qu’il vient d’exécuter à la lettre les ordres de son maître François Hollande, relayés par Son Excellence Jean-Félix Paganon, ambassadeur de France au Sénégal.
Maintenant, la question qui mérite d’être posée est la suivante : Qu’est-ce que le Sénégal gagne dans tout ça ? Rien, pardi ! Par contre, le Président Macky Sall vient d’assouvir un dessein sournois et cynique qui le consumait à petits feux : prendre sa revanche sur Abdoulaye Wade et le Parti démocratique sénégalais (Pds).
En cela, le chef de l’Etat doit être traduit devant la Haute cour de justice pour haute trahison. La haute trahison ici, c’est d’avoir détourné et travesti le sens du vote des Sénégalais qui l’ont investi de leur confiance et l’ont élu pour qu’il fasse avancer le Sénégal, et non pour utiliser le pouvoir placé entre ses mains pour en faire un instrument de vengeance.
Ils doivent être nombreux aujourd’hui, les Sénégalais à s’arracher les cheveux et à se mordre les doigts pour avoir cru de bonne foi, au moment de glisser leur bulletin de vote dans l’urne, le 25 mars 2012, que le candidat Macky Sall était un moindre mal. Le moins mauvais de tous.
Pour en revenir à la question soulevée plus haut, le Président Macky Sall vient de solder ses comptes personnels avec ses anciens frères libéraux. Qu’il savoure à fond sa victoire. En revanche, il a installé le pays dans une zone de turbulences dont nul ne connaît l’issue. Pour sûr, Macky Sall joue avec l’avenir du Sénégal en distribuant à tour de bras des tickets d’entrée à Rebeuss aux membres du Pds.
«La prison, c’est dur !» disait Bara Gaye1, à la suite de son élargissement après six mois de bagne. Et c’est parce que «Macky Sall ne connaît pas la prison» (Me Abdoulaye Wade dixit) qu’il y envoie les gens avec une légèreté déconcertante.
Il est vrai que Macky Sall a toujours été aux abonnés absents quand les vaillants Libéraux du Pds, au plus fort du Sopi guerrier, faisaient face courageusement à la soldatesque du régime du Parti socialiste et montaient au front pour en découdre avec la flicaille du Président Abdou Diouf. Macky Sall, militant simple puis président de la Cellule Initiatives et Stratégies (Cis) du Pds s’est toujours arrangé pour trouver une excuse, en «portant malade» ou en prétextant un alibi bidon pour se défiler. Le gars ne connaît pas donc les rigueurs de la prison. Ceci explique cela.
Cela dit, il faut que le Président Macky Sall se le tienne pour dit : rien ne pourra lui éviter d’être bouté hors du Palais présidentiel à la toute prochaine élection présidentielle s’il persiste dans cette voie d’emprisonnement tous azimuts et de violation des droits et libertés des citoyens sénégalais.
Comment le Président Macky Sall peut-il dénier aujourd’hui à Karim Wade d’avoir été enrichi par son propre père de président de la République, le Président Abdoulaye Wade, alors que lui-même, Macky Sall, de ses propres aveux, reconnaît qu’il n’est redevable des honneurs qu’il a reçus et de sa haute fortune qu’à la bonté des Wade et à leur générosité (Souleymane Jules Diop dixit) ?
Avec l’affaire des 7 milliards du Fonds Taïwanais, Macky Sall a montré qu’il a trempé les deux mains à fond et à plein dans le cambouis, et ne peut donc être blanc comme neige dans ce qui est accusé au régime du Président Abdoulaye Wade dans lequel il a trusté des postes plus qu’importants pendant 8 ans au moins, et est donc comptable du bilan de ses actuels adversaires. Le moment venu, il lui faudra passer à la barre. Mais, il ne perd rien pour attendre.
Comment alors conférer un quelconque crédit à une traque conduite par quelqu’un sur qui pèsent de sérieux et graves soupçons d’enrichissement illicite tel que cela transparaît dans sa déclaration de patrimoine? Certes, le Président Macky Sall jouit actuellement d’une immunité du fait de son statut de chef de l’Etat.
Mais, qu’il sache que, immédiatement après son départ du pouvoir, il sera à son tour traqué, pourchassé et acculé dans ses derniers retranchements pour rendre gorge lui aussi, sans rémission, de toutes les prévarications qui sont les siennes.
Que son successeur s’appelle Khalifa Sall, Idrissa Seck, Abdou laye Baldé, Pape Diop, El Hadji Malick Gakou ou Karim Wade, le Président Macky Sall ne pourra pas manquer d’être traduit devant «sa» Crei. Comme un effet boomerang. Et ce jour-là, il comprendra qu’on ne récolte que ce qu’on a semé.
Seulement, le Président Macky Sall ne doit pas être le seul à trinquer. Tous ses ouailles qui font la bamboula et se sucrent sur le dos des Sénégalais verront la gestion antérieure des structures à eux confiées sous le régime de Macky Sall, auditées de fond en comble : Cheikh Kanté (Port autonome de Dakar), Pape Maël Diop (Agence des aéroports du Sénégal), Diène Farba Sarr (Apix),
Pape Dieng (Senelec), Sory Kaba (Faise), Amadou Hott (Fonsis), Doudou Kâ (Fongip), Mansour Faye (Délégation à la solidarité familiale), Cheikh Oumar Anne (Coud), Me El Hadji Omar Youm (Société nationale de recouvrement) pour ne citer que ceux-là. Naturellement, les ministères et les innombrables agences seront passés au crible. Sans compter les dossiers Petrotim, Arcelor Mittal et Kosmos Energy qui seront réexhumés.
Maintenant, si le Président Macky Sall pense que les Sénégalais sont satisfaits de la façon dont il gouverne actuellement le Sénégal, il se trompe. Si le Président Macky Sall pense que ses agissements peuvent lui garantir un second mandat, il se fourvoie. Si le Président Macky Sall pense qu’il pourra échapper à la justice de son pays, il se goure. Ce sera un prêté pour un rendu.
Elu à l’âge de 51 ans, pour opérer des ruptures de fond, le Président Macky Sall ne peut réaliser de succès si éclatants au point de combler le gouffre dans lequel il a entraîné le Sénégal à travers la haine et les ressentiments qu’il a marqués au fer rouge dans le cœur des Sénégalais qui, divisés comme jamais ils ne l’ont été par le passé, ne font plus mystère aujourd’hui de leur affection à la loi du talion. Et c’est parti pour un cycle infernal et ininterrompu de vendetta au rythme des changements de régimes au Sénégal.
Cela étant, à supposer que Karim Wade se soit enrichi illicitement et ait planqué les deniers publics dans des paradis fiscaux, quelle est la garantie de l’Etat que lesdits fonds seront rapatriés ? Encore que, comme le dit à juste propos l’écrivain Boubacar Boris Diop : «On ne développe pas un pays en récupérant de l’argent détourné, on développe un pays en empêchant que l’argent public soit impunément détourné».
Maintenant, entre l’emprisonnement de Karim Wade, dans les conditions que l’on sait, et le basculement du Sénégal dans le chaos né de l’instauration de fait de la loi de la jungle par le Président Macky Sall, où se situe l’intérêt supérieur du Sénégal ?
La peine de 6 ans de prison et le paiement illusoire de 138 milliards de francs Cfa par Karim Wade, feront-ils du Sénégal un pays émergent ? Rien n’est moins sûr.
In fine, en infligeant une telle peine à Karim Wade, Macky Sall a fini de jeter en prison le candidat régulièrement investi par le Pds à la prochaine élection présidentielle. Un prisonnier politique. Un redoutable et redouté challenger. C’est aussi la vitrine démocratique sénégalaise qui craquelle et qui se fissure. Un ingrédient de plus dans le passif du bilan de Macky Sall.
Pour rappel, Karim Wade était diabolisé et condamné alors qu’il était encore au pouvoir, lorsque s’élevaient déjà dans les rangs de l’opposition de l’époque les insinuations fabriquées de toutes pièces de «projet de dévolution monarchique» ou de «ministre du ciel et de la terre». Le Président Macky Sall avait-il besoin de faire tout ce cinéma pour en arriver à ce verdict du 23 mars 2015 ?
Avait-il besoin de récuser l’arrêt de la Cour de la justice de la Cedeao du 22 février 2013 en interdisant à Karim Wade & compagnie de sortir du territoire national ? De lui faire subir d’interminables interrogatoires à la Section de recherches de la Gendarmerie nationale ou à la Commission d’instruction de la Crei ? De lui servir deux mises en demeure successives ? De le faire cueillir manu militari chez lui par une escouade de gendarmes armés jusqu’aux dents ? De faire chasser du Tribunal un de ses avocats ? De le faire agresser par un maton dans le box des accusés ? De faire perdre des milliards de francs Cfa au trésor public pour payer les honoraires d’avocats et d’experts, des commissions rogatoires internationales ou pour le fonctionnement d’une Crei qui avait déjà le verdict depuis le début ?
Aujourd’hui que Karim Wade est condamné à une lourde peine qui a ému jusque dans les rangs de l’Apr, une seule personne, à notre connaissance, s’est réjouie publiquement de la décision du juge Henri Grégoire Diop : Bara Tall, propriétaire de l’entreprise Jean Lefevbre/Sénégal.
Pourtant, s’il y a un Sénégalais qui doit raser les murs, se faire moins visible et demander pardon à tout le peuple sénégalais, c’est bien Bara Tall, actuel patron de la société Talix.
Voilà un chef d’entreprise qui doit porter sur la conscience, tous les jours, les morts et les blessés survenus sur le tronçon Fatick-Kaolack, long de 45 km. La route de la mort. Les usagers de cet axe routier n’en peuvent plus de souffrir, de s’indigner et de laisser la vie sur ce semblant de route «(...) parsemée de nids de poule qui provoquent de grandes secousses et de nombreuses déviations. Les accidents qui surviennent sur cette route ne se comptent plus, car les automobilistes sont obligés de slalomer pour éviter les nombreux nids de poule qui jalonnent cette route.
Non seulement les voyageurs qui empruntent ce tronçon vivent sous la hantise des accidents, mais il est fréquent de voir des véhicules rendre l’âme du fait du mauvais état de cette route». Source : La Tribune n° 763 du vendredi 18 avril 2014, page 5.
Le sort de Bara Tall, aujourd’hui, devrait être sa traduction devant les Tribunaux pour homicide involontaire car sa responsabilité dans tous les accidents mortels sur l’axe Fatick-Kaolack est entièrement engagée. Au contraire, le Président Macky Sall l’a réhabilité. Cité comme témoin à charge dans le procès Karim Wade, Bara Tall, bavant de haine, a tout fait pour enfoncer ce dernier, solder des comptes et prendre une revanche contre quelqu’un qu’il considère comme le responsable de la faillite de son entreprise.
Il n’est pas aussi superflu de rappeler que durant la période d’emprisonnement de Bara Tall (22 novembre 2006-31 janvier 2007), relative- ment à «l’affaire des chantiers de Thiès», le Premier ministre et chef du gouvernement de la République du Sénégal qui avait donné son onction, n’était autre qu’un certain...Macky Sall. Aujourd’hui, après le grand tintamarre fait par Boune Abdallah Dionne en décembre 2014, pour le lancement des travaux de réfection de cette route, rien n’est fait à ce jour, l’Etat du Sénégal s’étant payé la tête des pauvres populations de ces localités. Ainsi va le Sénégal sous Macky Sall.
Maintenant, Karim Wade peut prendre sa condamnation avec philosophie. Comme un mal pour un bien. Il doit faire sienne2 la réflexion de Amélie Nothomb : «Il n’est pas rare que le trajet le plus court pour prendre le pouvoir passe par la prison». Le credo des Sénégalais épris de justice ne doit pas aussi beaucoup différer de celui de Henry David Thoreau3 qui disait : «Sous un gouvernement qui emprisonne un seul être injustement, la juste place du juste est aussi la prison».
C’est d’autant plus pertinent qu’aujourd’hui, avec la vague d’arrestations dans leurs rangs, et la condamnation de Karim Wade en plus, la radicalisation est de mise du côté du Pds où, loin de les décourager, la prison a renforcé leur détermination à poursuivre cette lutte jusqu’à la victoire.
En attendant, c’est Macky Sall qui a remporté la première manche. Mais, c’est une victoire à la Pyrrhus, car le chef de l’Etat en sort plus que jamais fragilisé dans la mesure où le dialogue politique est au point mort pour laisser la place à la confrontation et à la croisade, là où le président de la République avait besoin de stabilité pour dérouler tranquillement son Plan Sénégal émergent.
Au surplus, le régime de Macky Sall ferait une grosse erreur en pensant que, du moment où le pire qui était annoncé en cas de condamnation de Karim Wade, ne s’est pas produit – il y a eu tout juste quelques échauffourées à Fann-Résidence – il peut baisser la garde et dormir sur ses lauriers. Le calme qui a suivi l’énoncé du verdict, loin de traduire une passivité ou une indifférence des populations, dénote d’une maturité des Sénégalais dont le sens de discernement leur permet de maîtriser le timing, de se faire à l’idée qu’il ne sert à rien de se livrer à des actes irresponsables, répréhensibles et mal à propos.
Les Sénégalais ont pris conscience que le système démocratique dans lequel ils évoluent leur donne la possibilité de s’exprimer en toute légalité à l’occasion des échéances régulières que sont les élections. En responsables avisés, ils gardent la patience, rongent leurs freins et attendent ce moment propice pour faire sa fête, à l’homme politique à sanctionner, et qui l’aura amplement mérité, avec cette arme de destruction massive qu’est le bulletin de vote.