LA SAGESSE D’ABDOU DIOUF
À son accession à la tête du Sénégal, le successeur de Léopold Senghor refusa de créer une garde présidentielle composée exclusivement de son ethnie – Il voit aujourd’hui d’un très mauvais œil les partis fondés sur des bases confessionnelles ou ethniques
Abdou Diouf s'est toujours démarqué du sectarisme fondé sur la religion et l’appartenance ethnique. À 79 ans, il ne semble pas près de changer.
Abdou Diouf a peut-être été pour beaucoup dans la crédibilité de l’armée sénégalaise. Il a probablement beaucoup contribuer à éviter au Sénégal ces interminables conflits inter ethniques ou/et religieux source de chaos dans nombre de pays africains.
En effet dans une longue interview parue ce lundi sur le site de l’hebdomadaire français L’Express (lexpress.fr), l’ancien chef de l’État (1981-2000) révèle avoir fait la sourde oreille devant certains de ses pairs- ses aînés à l’époque- qui lui suggéraient, à son accession au pouvoir, il y a plus de 30 ans, de "créer une garde présidentielle composée exclusivement de gens de (s)a tribu". Il se montra catégorique : "D'abord, je n'ai pas de tribu. Ensuite, il existe déjà une garde. Enfin, la plupart de ceux qui me servent au palais de la République sont des Casamançais, en qui j'ai entière confiance."
Cet épisode démontre que le successeur de Léopold Senghor s'est toujours montré prudent face aux questions religieuses et ethniques. Dans ses mémoires, relève le journaliste de L’Express, Diouf raconte "comment il a persuadé Senghor de bannir constitutionnellement tout parti fondé sur des bases confessionnelles ou ethniques".
Sa position sur le sujet n’a pris aucune ride avec le temps. C’est pourquoi, il voit aujourd'hui d’un très mauvais œil l’éclosion en Afrique de partis politiques fondés sur des bases confessionnelles ou ethniques. Il dit : "Je ne fais la leçon à personne. Mais, dans mon pays, ça a marché. Très ami avec Chadli Bendjedid (président de l'Algérie, de février 1979 à janvier 1992), je lui avais suggéré d'agir de la même manière chez lui. Il ne l'a pas fait. Et un parti islamiste- le Front islamique du salut- a gagné les élections. Au Sénégal, quand on parle d'ethnies, c'est sous forme de boutade. On appelle cela la parenté à plaisanterie. J'ai un patronyme à consonance sérère. Les Toucouleurs, les Dioulas, les Mandingues, les Soninkés me considèrent donc comme un esclave. Mais ils le disent sur le ton de la blague, pour évacuer toute tension en la matière."
Le legs de Léopold Senghor
L’accession d’Abdou Diouf à la magistrature suprême a suivi une trajectoire linéaire. Gouverneur, ministre, Premier ministre et président de la République à la faveur de la démission de Senghor. Un legs "écrasant" ? "Non, j'ai vécu des années durant dans son ombre, avec la certitude qu'il m'avait choisi pour lui succéder, répond l’ancien chef de l’État. Je me suis moulé dans la fonction en suivant ses traces. Sur la fin de son ultime mandat, il s'est comme placé en retrait, m'envoyant en première ligne. Quand j'allais, à sa demande et en qualité de Premier ministre, en tournée dans les régions, ai-je appris, il convoquait les gouverneurs et leur livrait cette instruction : ‘Abdou va venir chez vous, je veux qu'il soit accueilli aussi bien que moi.’"
Élu (1983) et réélu deux fois (1988 et 1993), Abdou Diouf a perdu le pouvoir en 2000 à la suite de sa défaite à la présidentielle face à Abdoulaye Wade. Depuis 2003, il est secrétaire général de la Francophonie. À l’heure de quitter définitivement ses fonctions, au détour du prochain sommet de la Francophonie, prévu à Dakar les 29 et 30 novembre prochain, il estime avoir "réalisé les rêves des pères fondateurs" de l’Organisation des pays ayant le français en partage.
Il explique : "L'OIF est une organisation respectable et respectée, qui, en partant de la langue, se bat pour la diversité culturelle et travaille en faveur du développement, de l'éducation, des jeunes et de leur formation, de la promotion des femmes et de l'égalité hommes-femmes, ou encore à l'essor de sociétés civiles solides et influentes."
Et à propos de la "santé de la langue française dans le monde", il se dit également satisfait. "Croyez-moi, elle est bien vivante, clame le Président Diouf. Le nombre de locuteurs francophones augmente, de même que l'effectif des apprenants. Notre grand regret, c'est de manquer de moyens pour répondre à toutes les demandes. Au passage, le continent qui progresse le moins en la matière, c'est l'Europe ; et celui qui assurera l'avenir du français, c'est l'Afrique."