LE DANGEREUX PLAISIR DU FIEL
Se délecter d’insanités, lutiner au lieu de proposer, menacer au lieu de comprendre, c’est refuser à la démocratie d’être le jeu salutaire où l’on s’oppose en se respectant

C’est à croire que nos hommes politiques, pris dans un indescriptible tourbillon, n’ont que l’injure à la bouche. Et que, comme si faute d’arguments politiques convaincants, ils préféraient le flot de la violence verbale à la quiétude de la culture argumentaire, fondée sur la logique, le bon sens, la confrontation intellectuelle discursive. Et surtout, comme s’ils donnaient raison à Azimov, pour qui «la violence est le dernier recours de l’incompétence».
Récemment encore, le secrétaire général de l’AFP, acculé par des jeunes chahuteurs irrespectueux, qui tentaient de couvrir sa voix par des injures, s’est «lâché» par des propos peu amènes à leur encontre. Mais ces dérapages, certainement dus à l’exaspération devant une si irrespectueuse débauche, ne sont en rien comparativement aux sornettes et autres grivoiseries qu’Abdoulaye Wade a débitées avec une désopilante insouciance envers le Président Macky Sall.
Accuser un simple citoyen de sorcellerie, de cannibalisme, à plus forte raison un chef d’État, remorquer des considérations sociologiques d’aussi bas étage, c’est tout simplement convoquer, de lanière incongrue, dans le débat politique, des réflexes socioaffectifs et subjectifs dignes des caniveaux.
Même dans le préau, les pupilles ne feraient pas pis. Et voilà que l’avocat Amadou Sall rajoute de la sauce piquante à la marmite déjà si bouillante d’insolences. Marchant sur les pas de son mentor, il s’est laissé encore aller, en récidiviste, à un vilain cocktail de menaces et d’admonestations, il est vrai, livré avec un peu plus de malice et de subtilité que ne l’avait fait le patron du PDS. Mais à la lecture au second degré de ses fariboles, on n’est pas moins scandalisés par leur connotation laissant libre cours aux interprétations les plus morbides.
Le jeune libéral Mamadou Lamine Massaly s’est aussi illustré dans cette compétition inique. Ses propos allusifs à l’encontre de Mme Aminata Tall auraient pu susciter de l’indifférence, avec un brin de dépit. Mais ses attaques contre la gendarmerie ne sont pas tolérables.
Heureusement que le système démocratique a un fort potentiel de tolérance, et nos dirigeants si horriblement ciblés, une hauteur d’esprit tout à fait honorable, pour transcender stoïquement ces inconduites. Autrement, le cycle infernal de répliques ou de traitements judiciaires pourrait bien prolonger le charivari et plonger dans notre pays dans un innommable non-sens. Et notre démocratie en flagrant délit de déliquescence.
Mais si en période non électorale, le climat politique est si malencontreusement chargé, qu’en sera-t-il dans deux ans, lors de joutes qui s’annoncent déjà, particulièrement chaudes ?
L’inadmissible récurrence de ces dérapages verbaux, nous amène à méditer, d’abord, leur fondement. Ils s’instancient du contexte politico-judiciaire chargé, provoqué par les irrégularités flagrantes commises par la CREI et son caractère anti-démocratique. Et pourraient même s’expliquer par des dérives gouvernementales dans la gestion des libertés démocratiques, l’impunité accordée aux transhumants, mauvais gestionnaires épinglés par les audits, les interdictions multiples de marches et de rassemblements politiques.
Mais malgré tout, le compréhensible courroux ressenti à l’occasion ne peut légitimer, pour le cas des dirigeants du PDS, la volonté manifeste à figer leurs discours et imputations dans l’irraison. Comme si le plaisir d’insulter devait se substituer à l’adversité aux couleurs du gentleman agreement.
Se délecter d’insanités, lutiner au lieu de proposer, menacer au lieu de comprendre, c’est refuser à la démocratie d’être le jeu salutaire où l’on s’oppose en se respectant. Un tel scénario, s’il devait perdurer, serait tout simplement tragique. Il autoriserait tous les dérapages et autres recours à la violence qui appelle la violence.
Il est totalement regrettable que le PDS, parti historique, fort de son expérience gouvernementale, mène la course en tête dans cette spirale de la violence verbale. Il devance dans cette fielleuse délectation quelques snipers de l’APR comme Moustapha Cissé Lô, devenus plus calmes et moins incendiaires. Mais dans tous les cas de figure cette escalade devrait heurter nos consciences et secouer nos raisons pour nous rappeler les poignantes exigences de notre commun destin.