LES CHANTIERS DE LA RÉUSSITE EN OCCIDENT
ZOOM SUR LA MODE AFRICAINE

En ce début anticipé de période estivale à Paris, les couleurs et matières de la mode africaine brillent par leur présence visuellement qu’elles en deviennent – presque – olfactives. Parler d’exotisme pour qualifier la mode africaine devient « old fashion ». Cette lueur de bonne santé n’est pourtant que leurre pour une partie des acteurs du secteur. Trois d’entre eux s’expriment sur les mots et maux de la mode africaine. Il s’agit de Bernie Seb, styliste en vogue, de Nelly Wandji, gérante d’une plateforme d’achats de vêtements et accessoires africains, et de Max Court, réalisateur d’un documentaire de référence sur la mode africaine.
Bernie Seb, l’audacieux
Créateur de la marque De La Sebure en 2014, Bernie Seb entend promouvoir une nouvelle manière de confectionner les matières et les tissus africains. L’audace est ce qui définit le plus ce jeune créateur et son slogan se résume ainsi : « Porter ce que les gens n’ont pas l’habitude de mettre ». Les mots de la mode africaine sont ses « couleurs ».
Pour le jeune styliste burkinabè, « les pagnes et les basins issus de la mode africaine ont toujours été très colorés. Les broderies aussi. Il y a également une présentation audacieuse avec des associations de couleurs pas habituées au regard occidental ».
Cependant, Bernie Seb regrette certains maux dans son domaine d’activité. « Par exemple, il y a un manque d’unité des stylistes africains et autres structures du secteur pour promouvoir nos marques. C’est une force qui manque ».
Ce qui fait que c’est une mode qui est reprise au détriment des créateurs africains. « Cela me fait plaisir et en même temps je trouve cela dommage, nuance Bernie Seb. Le fait de voir des imprimés de ma culture africaine repris par les marques occidentales me fait plaisir.
C’est un peu dommage que les acteurs qui sont à l’origine de cette exposition ne soient pas africains. Nous sommes obligés de compter sur d’autres personnes pour faire la promotion de notre culture ».
Malgré ce constat « amer », le jeune styliste prévoit « un très bel avenir » pour la mode africaine. « Aussi bien sur le plan international que local, les Africains font de plus en plus des demandes sur ce que nous confectionnons », se réjouit-il.
En Afrique, il est possible de faire des choses qualitatives. Cependant, cela passe par les designers et artisans « bien formés mais il faut également proposer des tenues aussi bien acceptées par les locaux que la diaspora ».
Pour atteindre la diaspora mais aussi les autres pays africains, selon Bernie Seb, il faut une présence des marques africaines sur le Net. « Il y a très peu de marques (africaines) présentes sur Internet, très peu de boutiques qui distribuent des marques du continent », déplore le créateur.
Au regard de celui-ci, « à part aller dans un pays africain et faire confectionner sa tenue, c’est difficile de se procurer les marques africaines. Ce qui fait que les prix sont parfois chers ».
Nelly Wandji, une meilleure organisation pour être compétitif
Jeune entrepreneur social, Nelly Wandji vient de lancer la plate-forme Moonlook. Elle a pour ambition de fédérer et rassembler les créateurs africains autour d’une mode qui aura sa place sur le marché international. D’après N. Wandji, les mots pour définir la mode africaine sont la « valorisation de l’héritage de la culture africaine, l’excellence de la création africaine ».
Elle décrit ses maux comme « le manque de financement et d’intérêt pour les pouvoirs publics ». Nelly Wandji pense qu’« il n’y a pas d’investissement dans des structures qui nous permettraient d’avoir les reins solides pour exporter des produits. Dans certains pays comme le Kenya, l’Ethiopie, les pays de l’Afrique australe ou le Nigeria, il y a une organisation pour avoir un rayonnement au niveau international. C’est notre ambition et un exemple à suivre ».
Pour atteindre ses objectifs, le rôle de la diaspora africaine est « essentiel ». Pour la jeune entrepreneuse camerounaise, « l’investissement de la diaspora dans l’achat d’un matériel "Made in Africa" (des produits d’héritage comme le pagne tissé, un savoir-faire au niveau de la broderie) permettrait aux créateurs de gagner un peu d’argent pour financer leur marque ».
Ce qui fait que l’avenir de la mode africaine « est entre les mains de ces acteurs ; il va falloir structurer. Le cœur de la mode, c’est « sourcer » la matière, produire et vendre.
Il y a beaucoup de travail, observe N. W., « le chantier est grand pour que l’avenir soit radieux car toutes les bases ne sont pas encore présentes ». Sur les prix jugés souvent trop chers des vêtements de marques africaines, Nelly Wandji pense que les stylistes du continent ne sont pas encore « compétitifs face aux acteurs comme Zara ayant des ateliers en Espagne, au Portugal, en Bulgarie ou bien face aux Chinois qui sont capables d’importer en masse à des coûts faibles ». Pour définir un prix,
argue la créatrice, il faut inclure plusieurs coûts. Aujourd’hui, réaliser un produit, l’importer en Afrique et le vendre coûte très cher ». Une meilleure structuration du secteur est obligatoire pour réduire les prix. « Aux Etats-Unis, il y a un dispositif qui permet d’importer en Europe sans frais de douane. Ce qui permet aux créateurs américains d’avoir une place sur le marché international », estime N. Wandji.
Max Court, « l’Afrique a inspiré les plus grands »
Cinéaste, Max Court a réalisé le documentaire « Afrique, terre de tendances » sorti en 2012. C’est un travail sérieux et est considéré comme le plus complet jusqu’à présent effectué sur la mode africaine. Ses tournages sur le continent ont amené ce Français engagé à parler de la mode africaine par ses mots : « C’est une histoire ancestrale héritée au moins du 11ème siècle. Les métiers du textile et de tisserand existaient déjà. Ce sont des réseaux économiques de très longues années ».
Un art séculaire qui souffre pourtant de beaucoup de maux. « Aujourd’hui, cette tradition africaine n’est plus en phase avec l’industrialisation du textile à l’échelle planétaire. Le défaut d’organisation, de délais sur certaines choses et le fait de ne pas travailler avec des patrons (des tailles uniques par exemple) posent de vrais problèmes. C’est dommage car il y a derrière un patrimoine de savoir-faire, de gestes, de couleurs qui intéressent le monde entier ».
Max Court évoque la mode africaine comme une référence « qui a toujours plané comme un spectre sur les confectionneurs les plus connus en Occident ». Il donne les exemples d’Yves Saint-Laurent et Jean-Paul Gaultier qui sont « les premiers à s’inspirer de l’Afrique et du savoir-faire des Africains en matière de mode ».
Pour Yves Saint-Laurent, c’est depuis les années 1960. Jean Paul Gautier a fait une collection dédiée à l’Afrique. John Galliano a créé une collection qu’il a appelée Massai. Thierry Muguler a été également inspiré par l’Afrique comme d’autres créateurs occidentaux.
C’est un passé riche qui conditionne l’avenir. « On doit se baser sur les indicateurs de cette influence car c’est compliqué de trouver une identité de la mode africaine », relève le cinéaste.
Toutefois, Max Court pense qu’une meilleure organisation serait la bienvenue avec la mise en place de « réseaux économiques pour s’allier sur des modèles permettant de toucher des marchés internationaux ».
L’expérience étant la somme des leçons tirées des réussites comme des échecs, le secteur de la mode africaine devrait s’inspirer de l’histoire du wax. « L’Afrique continue à se faire spolier », selon lui. C’est un produit historiquement confectionné en Afrique, il est traité en Hollande et revendu sur les marchés en Afrique et les Africains le paient au prix fort.
La valeur ajoutée est hollandaise. Il y a un levier économique qui est ignoré et cela outrepasse les règles internationales. On parle de commerce équitable (pour les denrées comme le café, les matières premières), il est grand temps de parler de commerce équitable avec le savoir-faire de l’Afrique, surtout au niveau du textile.
La désormais présence des couleurs et matières africaines sur les podiums des « Fashion week » des grandes villes occidentales contraste avec la situation peu radieuse des créateurs issus d’Afrique.
« L’Occident fait la pluie et le beau temps sur la mode africaine, analyse Max Court. Quelle est la perception de la mode occidentale sur cette mode africaine ? On crie au génie quand Gaultier met du basin sur une robe et on n’a du mal à se lancer sur une collection faite par un Africain.
Mais c’est une attitude condescendante. Tant qu’on utilisera de manière générale avec une certaine suffisance des termes comme pays en voie de développement, il y aura toujours ce fossé ».
Pour M. Court, « il est temps que l’Afrique se structure pour atteindre le rôle qui est le sien sur le marché international ». Et pour cela, les différentes diasporas africaines éparpillées dans le monde ont un rôle important à jouer.