LES POINGS DE L’AMOUR
Violence conjugale

Au Sénégal, la violence conjugale est une réalité. Comme le viol, le sujet est aussi tabou. La société reste sourde et les victimes sont muettes. Et l’impunité est souvent garantie aux hommes qui lèvent la main sur leurs compagnes. La chambre à coucher peut devenir aussi un enfer. Si on faisait enfin sauter le tabou?
La fin tragique du couple Emmanuel Sanchez-Fatima Diop a montré que l’amour entretenu pendant longtemps peut voler en éclats de façon inattendue. Les câlins et les mots doux soufflés dans l’oreille d’une conjointe peuvent se transformer en coups de poing.
Aujourd’hui, elles sont nombreuses à subir les violences conjugales, mais peinent à briser le silence malgré la souffrance qui les ronge. «Je supporte à cause des enfants. Je supporte parce que je l’aime malgré tout», sont les réponses servies pour étouffer le scandale et continuer à supporter les humeurs d’un conjoint violent. Et cela entretient la violence conjugale qui prend des proportions inquiétantes (Voir par ailleurs). On plonge dans ces histoires sordides. On s’émeut devant la souffrance des victimes. Et puis, on passe à autre chose.
L’émotion bloque la réflexion. Or la violence conjugale n’a rien d’un fait divers. Il s’agit d’une violence qu’un homme, dans la très grande majorité des cas, exerce sur sa partenaire. Les victimes disent : «La violence conjugale ne résulte pas d’une perte de contrôle, mais constitue au contraire un moyen choisi pour dominer l’autre personne et affirmer son pouvoir sur elle.» Sans plus ! La plupart des femmes avaient pourtant connu des moments de jouissance.
Au début, il n’y a pas de nuages. Elles vivaient dans leur petit nuage avec des promesses de lendemains heureux. Mais la fâcheuse réalité les rattrape. Ndèye Aïda Guèye, 38 ans, mère de 2 enfants, vit encore le calvaire dans son ménage. Coura Wade a quitté son mari après 10 ans de mariage. Elle a repris ses études et a réussi à reconstruire sa vie loin de l’homme qui a transformé son quotidien en enfer après des années de bonheur total.
Au-delà des tragédies individuelles, il s‘agit d’un délit puni par des lois, évalué par des statistiques. Que faire ? Sensibiliser, prévenir et punir. Cela dégonflerait sérieusement le chiffre noir pour le réduire à sa portion congrue. Témoignages.
NDÈYE AÏDA GUÈYE, 38 ANS, MÉNAGÈRE
«Mon mari me violente devant ma coépouse»
«Le début fut une belle histoire d’amour. J’étais la femme la plus heureuse au monde. Je représentais tout à ses yeux, mon mari venait au Sénégal chaque année. On passait la tabaski ensemble, mais depuis qu’il a pris une deuxième épouse, à ma grande surprise, il devenait de plus en plus désagréable. Depuis que cette femme est apparue dans sa vie, je ne connais que la souffrance. Cela a commencé avec les violences verbales, des échanges de propos toujours aigres.
Au début, c’est moi qui gérais toujours l’argent de la maison et assurais les dépenses et tout. Maintenant, même ce qu’il m’envoie passe par ma coépouse. Elle est devenue sa confidente. Pis, il me bat même devant elle si je me permets de me disputer avec elle. Pourtant, je ne peux pas être dominée par cette femme qui peut être une maman pour moi.
Une fois qu’il revient au Sénégal, je pense que les disputes et la violence sont derrière nous. Il me donne juste 2 semaines avant qu’il ne redevienne l’homme qu’il était voire même pire. Pour un rien, il me giflait ou m’assène des coups de poing me disant que je n’ai plus rien à dire après ses décisions même si elles sont défavorables pour moi.
Quand il rentre, il me prive de tous mes droits. Il m’appelle juste pour me demander la nouvelle des enfants ou pour me demander si ma coépouse avec qui il n’a pas d’enfant m’a remis l’argent des enfants.
Aujourd’hui, j’ai le bras plâtré. J’ai été violentée pour mon tendre époux. Il m’a frappée et a cassé mon bras. Parce que je n’ai pas appelé ma coépouse pour dîner alors que c’est bien elle qui a demandé qu’on ne l’appelle pas. Et j’ai pris la peine d’expliquer tout à mon mari qui m’a obligée de préparer quelque chose pour ma coépouse parce que c’était mon tour de préparer le dîner.
Et j’ai été catégorique et il m’a battue jusqu’à me casser le bras. Et il m’a chassée de sa maison. Je suis chez ma maman depuis lors même si le lien du mariage nous unit encore. Même si on a connu 2 divorces. Et j’ai toujours envie de sauver mon ménage, je ne connais que lui.»
COURA WADE, 40 ANS, INSTITUTRICE
«Mon ménage fut un enfer»
«Comme on dit souvent, chaque début de mariage, on vit des moments très agréables. Mais au bout d’un certain temps, c’est le respect et les enfants qui font que tu t’accroches à ton couple. Mais si d’autres circonstances se produisent, vaut mieux ne pas salir ta dignité. J’ai divorcé. Il y a maintenant 10 ans et c’est dû à la violence conjugale. Mon mari était militaire. Au début, il me giflait. Parfois quand on échangeait et que je hausse le ton, ce sont des disputes à n’en plus finir.
A chaque fois, je prenais mes bagages et quittais le domicile conjugal. Après la médiation des parents, j’étais obligée de rentrer par respect à mes parents. Quelques jours après mon retour, il recommençait à me violenter, mais par la suite j’ai commencé à me révolter. On se battait. Je lui jetais tous les objets que je ramasse. Quand mon premier fils a commencé à grandir, je me suis dit que ce n’était plus nécessaire de rester avec lui. Ce fut un calvaire.
Pourtant, j’avais une licence, mais j’étais toujours cette femme au foyer. Je dépendais de lui et il me privait de tout. A un moment, j’étais la plus misérable des femmes. J’ai fini par demander le divorce contre vents et marées, car il avait refusé de me l’accorder.
On a fini par divorcer devant le juge. Et là je ne suis plus dépendante. J’ai réussi à un concours et je suis institutrice maintenant. Même si je n’ai pas réussi à me remarier, je suis épanouie. J’ai mes enfants, je ne me fais plus de soucis.»
SATTOU NDIAYE, 24 ANS, ÉTUDIANTE
«J’ai peur de faire un enfant avec mon mari»
«Je me suis mariée il y a juste 3 ans. Mais j’ai un mari très violent. Je m’en doutais bien avant qu’on ne se marie parce qu’il était tout le temps nerveux quand on sortait ensemble. Il arrivait même qu’il m’insulte quand il avait ses crises de jalousie, mais il ne levait jamais sa main sur moi alors qu’on est sorti ensemble pendant 2 ans. Par amour et par peur de divorcer, je reste encore avec lui. Je ne sais pas quoi faire.
Il est certes violent avec moi, mais je n’arrive pas à le quitter pour le moment. Parfois, je me dis même que c’est après notre dispute qu’il se sent à l’aise. Car il devient aussitôt doux avec moi. Il m’offre même des cadeaux pour s’excuser. Quelques semaines après, il reprend ses mauvaises habitudes. Pour une simple erreur, il m’insulte de mère et de père. Il continue parce que je réponds à ses insultes.
En trois ans de mariage, je ne peux même pas compter combien de fois j’ai reçu ses coups. Personne au sein de ma famille ne le sait. De même que ma bellefamille. Et je ne sais pas quoi faire. J’ai même peur de faire un enfant avec lui.
Peut-être qu’il va changer un jour. Même si au fond de moi, je sais que je ne pourrai pas supporter cette situation encore très longtemps. J’attends juste qu’il finisse de me payer mes 2 masters et s’il ne change pas, je le quitte.»
Les chiffres de la honte
L’amour peut aussi enfanter la violence. Les statistiques de 2014, même si elles ne disent pas la réalité des faits, montrent qu’il y a eu 519 cas de violences conjugales dans la ville de Dakar. L’Association des juristes sénégalaises (Ajs) détaille les motifs : 215 cas pour défaut d’entretien, 10 cas pour abandon de famille, 25 dans le cas de la répudiation, bigamie (1), mariage forcé (30), violences physiques (192 cas), et viols (35 cas).
Pour la boutique de Pikine qui englobe toute la banlieue dakaroise, elles ont noté 357 cas de violences conjugales en 2014. Mme Fanta Ndiaye, présidente de l’Ajs, est stupéfaite de cette «recrudescence des violences conjugales comparées aux données de l’année 2013 (75 cas). Avec 83,47% des cas reçus dans cette catégorie, les femmes sont les principales victimes de ces violences. Certaines en souffrent profondément et en ressortent déprimées ou traumatisées».
D’après elle, la plupart des cas rencontrés sont dus aux «conditions économiques défavorables (pauvreté, chômage, promiscuité, insécurité, drogue et alcool, les phénomènes de migration et d’exode rural), le mutisme des victimes, de leurs proches et de la communauté, la vulnérabilité des femmes, des enfants et des personnes handicapées physiques ou mentales».
Créée en 1974, l’Association des juristes sénégalaises (Ajs) s’est donné comme mission de rendre accessible la justice à tous les justiciables, notamment les plus démunis et surtout les femmes en situation de vulnérabilité.
Pour assurer une offre de services continue aux populations, l’Ajs a ouvert sa première boutique de droit à la Médina (Dakar), dans la banlieue dakaroise et dans certaines régions. Il s’agit des centres de conseils et d’assistance judiciaire au profit des populations démunies, mais surtout à la violence faite aux femmes.
Selon la coordonnatrice de la boutique de Médina, Ndèye Yandé Ndiaye, «quatre formes de prise en charge sont pratiquées à la boutique de droit, à savoir l’assistance judiciaire, psychologique et médicale et l’hébergement d’urgence».