MANDELA ET LES HYPOCRITES
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Nelson Mandela a marqué à jamais l’histoire de l’Afrique, voire du monde. La mort du héros de la lutte anti-apartheid a déclenché une multitude de louanges unanimes dans les médias et chez les personnalités politiques de plusieurs pays. Les gouvernements capitalistes et les médias qui sont sous la férule des grandes entreprises naguère présentes en Afrique du Sud raciste se sont précipités pour présenter leurs condoléances.
Abhorré hier, il est sanctifié aujourd’hui. Qualifié de terroriste révolutionnaire au milieu sa vie, il tire sa révérence en héros planétaire. Certains de ses contempteurs occidentaux d’hier feignent de pleurer aujourd’hui sa mort, d’autres hypocrites le béatifient et ne tarissent pas de louanges sur son combat pour la liberté. Leurs discours retentissant dans un barnum médiatique fourbe veulent faire table rase de l’histoire et oublient sciemment de rappeler que leurs différents Etats ont été les principaux soutiens de la politique raciste ségrégationniste mis en place au pays de l’apartheid pour des raisons aussi bien économiques que politico-idéologiques.
Les pays dont les hommes politiques ont débité ex-abrupto le plus de boniments moralisateurs lors de la disparition de Madiba sont la France, les Etats Unis, l’Angleterre et même Israël. Autre temps, autre mœurs. Autre discours ! Si aujourd’hui, Mandela est salué par tous, durant des décennies, les puissances occidentales l’ont considéré comme un homme dangereux et l’ont combattu en soutenant le régime de l’Apartheid. Combattant pour la liberté, Madiba paya 27 ans de la sienne et de sa vie pour obtenir celle de son peuple opprimé par une poignée de Blancs racistes.
La France gaulliste et giscardo-chiraquienne, principal soutien du régime raciste
La France, durant les années 1960 et 1970, va en effet entretenir d’excellentes relations avec le régime raciste de Pretoria, en étant notamment l’un de ses principaux fournisseurs d’armes. La droite française (de De Gaulle à Giscard) et le patronat hexagonal auront œuvré à faire de la France– et de ses grandes entreprises- l’un des plus fidèles soutiens au régime raciste de Pretoria, en lui vendant armes, centrales nucléaires et technologies industrielles, malgré les sanctions et embargos des Nations-Unies des 7 août 1963 et du 13 novembre 1963.
C’est en 1964 où la France du général de Gaulle développe intensément ses relations commerciales avec le régime ségrégationniste de l’Afrique du Sud. Mais devant les intérêts de Marianne, le pays des droits de l’homme n’en a cure de la dignité d’un «petit Noir» qui tentait vainement d’établir une équité entre toutes les races de l’Afrique du Sud.
Entre 1963 et 1974, le volume d’exportations de l’Hexagone, indépendamment des ventes d’armes illégales et clandestines, vers le régime des tenants de l’Apartheid vont tripler. Dans le classement des ventes d’armes et de matériels militaires, la France devient alors le deuxième fournisseur étranger du régime raciste, derrière le Royaume-Uni mais devant les États-Unis et l’Allemagne fédérale.
L’ancien président Jacques Chirac, amnésique, se glorifie de son soutien ancien à Mandela. Il a sur ce sujet, comme nombre de dirigeants de la droite, la mémoire courte. Premier ministre entre 1974 et 1976, Chirac entérina en juin 1976 le contrat de construction de la première centrale nucléaire érigée en Afrique du Sud par Électricité de France (Edf). A cet effet, le quotidien sud-africain à grand tirage, le Sunday Times, ne put s’empêcher de laisser éclater son enthousiasme débordant à travers cette exclamation triomphante à la une de son édition du 1er juin 1976 : «Vive la France ! L’Afrique du Sud devient puissance atomique».
Bien qu’ayant, notamment sous la pression des pays africains, décidé en 1975 de ne plus vendre directement d’armes à l’Afrique du Sud, la France honorera plusieurs années encore les contrats en cours, tandis que ses blindés Panhard et hélicoptères Alouette et Puma seront construits localement sous licence.
Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy, François Hollande : hommages des faux-culs de Marianne
Dans ce concert d’hommages de faux-culs, même la présidente du Front national (FN), Marine Le Pen (parti d’extrême droite raciste français), a salué la mémoire de l’homme et de l’ancien président de la République d'Afrique du Sud qui, «par patriotisme et par amour de son peuple, avait réussi à sortir son pays de la guerre civile en le préservant des déchirures. Par son autorité, Nelson Mandela a su imposer la paix et la réconciliation : cette victoire sur la division, la haine et la revanche marquera incontestablement l’histoire».
Pourtant en 1990, son père Jean-Marie, alors président du FN, avait déclaré à propos de la libération du futur président sud-africain : «Cela ne m’a ni ému, ni ravi. J'ai toujours une espèce de méfiance envers les terroristes, quel que soit le niveau auquel ils se situent.» Le père et la fille ne jouent pas le même tempo dans le même orchestre. Nicolas Sarkozy qui a traité à l’université de Dakar les Noirs de n’être pas entrés dans l’histoire était venu honorer la mémoire de ce Noir qui aura le plus marqué l’Histoire de l’humanité.
Le fils spirituel de François Mitterrand et actuel président de la République française, François Hollande, a qualifié Nelson Mandela «de combattant pour les droits de l'Homme qui a laissé une marque indélébile sur la lutte contre le racisme et la discrimination». Pourtant c’est au nom de cette discrimination que la France de Mitterrand a été le complice de l’assassinat à Paris, le 29 mars 1988, de la représentante de l’African national congress (Anc), Dulcie September.
L’amnésie de David Cameron, l’hypocrisie de Shimon Peres
Quant au Premier ministre britannique, David Cameron, digne héritier du Premier ministre Margaret Thatcher, déclarait que «l’Anc est une organisation terroriste type… Quiconque croit qu’elle va gouverner l’Afrique du Sud est dérangé». C’est ce même Cameron qui se rendit en 1989 en Afrique du Sud, pour le compte d’une société chargée de faire du lobbying contre les sanctions imposées au régime sud-africain qui pratiquait alors l’Apartheid. Le gouvernement de Margaret Thatcher a refusé toute rencontre avec l’Anc jusqu’à la libération de Mandela en février 1990.
Lors du sommet du Commonwealth de Vancouver, en octobre 1987, elle s’est opposée à l’adoption de sanctions. Interrogée sur les menaces de l’ANC de frapper les intérêts britanniques en Afrique du Sud, elle répondit : «Cela montre quelle organisation terroriste ordinaire est l’ANC». C’était l’époque où l’association des étudiants conservateurs (dont figurait un certain David Cameron) distribuait des posters en vociférant : «Pendez Nelson Mandela et tous les terroristes de l’Anc ! Ce sont des bouchers».
Le plus révulsant hommage est celui de Shimon Peres, président de l’État qui fut le plus constant et indéfectible soutien du régime d’Apartheid en Afrique du Sud contre lequel Mandela s’est battu. Le président de l’Etat hébreu déclare aujourd’hui : «Le monde a perdu un grand dirigeant qui a changé le cours de l’histoire. C’était un défenseur passionné de la démocratie, un médiateur respecté, un bâtisseur de ponts de paix et de dialogue qui a payé un prix personnel très important pendant les années qu'il a passé en prison et à lutter pour son peuple. Nelson Mandela était un combattant pour les droits de l’Homme qui a laissé une marque indélébile sur la lutte contre le racisme et la discrimination.»
Ces propos de circonstance sont trahis par la réalité de l’histoire. Israël est demeuré jusqu’au bout l’allié indéfectible du régime raciste de Pretoria, lui fournissant des armes et l’aidant dans son programme militaire nucléaire et de missiles. En avril 1975, Shimon Peres, alors ministre de la défense, a signé un accord de sécurité entre les deux pays. Un an plus tard, le Premier ministre sud-africain Balthazar Vorster, un ancien sympathisant nazi, a été reçu avec tous les honneurs en Israël.
Les responsables des deux services de renseignements se réunissaient annuellement et coordonnaient la lutte contre le «terrorisme» de l’ANC et de l’OLP. Quoi qu’en dise le président de l’État sioniste, Mandela et lui n’ont jamais été dans le même camp, ils ne sont jamais battus pour la même vision du monde et n’ont jamais partagé les mêmes valeurs. Donner à penser le contraire comme l’a fait Shimon Peres est une imposture morale et historique que l’humanité éprise de paix et de justice ne saurait accepter.
Il faut démystifier cette tentative de récupération dont les prémices se sont manifestées à travers les hypocrites couronnes d’éloges que certains «grands» de la planète ont tressées à la mémoire du défunt. Les hommages hypocrites qui pleuvent sur la tombe de Madiba comme s’il était un héros pour tous ne gommeront jamais les vilénies des pays qui ont sustenté et soutenu le régime raciste des Afrikaners. Ils ne pourront jamais, sous le prisme déformant des hommages de circonstances, des éloges contingents et des larmes feintes, faire croire qu’ils ont apprécié et partagé la lutte que Madiba a menée au prix sacrificatoire de 27 ans de sa liberté, de sa santé, voire de sa vie.