MERCI MARÈME
Par votre geste vous avez fait mieux que l’Etat. Oui ! L’Etat qui oublie de décorer des palmes académiques les meilleurs d’entre nous et qui fait si peu cas des enseignants méritants qu’on ne les félicite pour leurs brillants résultats qu’en passant

J’ai rencontré M. Mbaye aujourd’hui. J’ai lu dans ses yeux la flamme expressive de la satisfaction portée à son summum, quand elle commande une action de grâce, et ouvre le cœur de l’Homme à l’expression d’une reconnaissance éternelle envers Dieu. M. Mbaye est heureux, M. Mbaye est fier. M. Mbaye est satisfait.
De sa longue carrière d’enseignant consacrée par un poste de principal qu’il exerce désormais avec brio, il retiendra jusqu’au bout de sa vie, la marque de reconnaissance que vous venez de lui administrer, Marème.
Dans sa voix, j’ai senti vibrer une émotion profonde qui indique le ravissement de l’homme ; il s’agit juste d’un billet pour la Mecque me dira-t-on. Oh que non. Ce serait méconnaître chez l’enseignant consciencieux qui est soumis chaque jour au tribunal de sa conscience combien il est primordial, combien il est vital chez lui de percevoir ce fameux feed back, la preuve que la performance a été à la hauteur de son abnégation et qu’il aura contribué au moins une fois, à faire pleuvoir des écrins de diamant dans le cœur de ses apprenants.
Vous avez donné à M. Mbaye un feed back bouleversant. Du haut de votre stature, vous avez pensé à tous ces enseignants, véritables soldats, héros anonymes façonnant des âmes pour paraphraser Mariama Bâ, vous avez par votre geste rendu hommage à votre professeur, un professeur parmi tant d’autres à qui vous avez fait honneur par la même occasion, car le ravissement de M. Mbaye est contagieux.
Par votre geste vous avez fait mieux que l’Etat. Oui ! L’Etat qui oublie de décorer des palmes académiques les meilleurs d’entre nous et qui fait si peu cas des enseignants méritants qu’on ne les félicite pour leurs brillants résultats qu’en passant, lors des Crd préparatoires de la rentrée prochaine, comme si nos autorités voulaient oublier jusqu’à leurs performances, pour ne pas avoir à jauger leurs consciences coupables.
Je vous dis merci à vous, et à d’autres élèves reconnaissants comme vous, au nom de tous les enseignants que vous avez rendus heureux, comme M. Mbaye, car nous partageons l’honneur que vous lui avez fait. Merci au nom de tous ces enseignants qui croisent leurs élèves et reçoivent leurs marques de reconnaissance et surtout leur respect, pour tout ce que ces illustres personnes ont fait pour eux et qu’ils célèbrent par un geste, par un sourire, par un regard, et j’en passe.
De tels gestes Marème sont à encourager. Si vous détenez le pouvoir que l’on vous prête, influencez tous ceux qui vous écoutent à commencer par Macky. Que leurs initiatives envers l’Education ne s’arrêtent pas seulement à un pèlerinage plus folklorique qu’autre chose dans les écoles qu’ils ont fréquentées. Chacun d’entre eux a, au moins une fois dans sa vie d’élève été particulièrement influencé positivement et à jamais, par un de ses enseignants.
Qu’ils pensent à eux. Et qu’ils fassent le même acte que vous, ou des actes similaires.
L’enseignant est le seul fonctionnaire qui sait à peu près combien il gagne et combien il gagnera jusqu’à la fin de sa carrière. Il ne compte que sur son salaire, partagé entre l’école, sa maison où il croule sous les préparations de ses cours, et les corrections des devoirs de ses apprenants.
Pendant que chaque parent s’acquitte de sa tâche la conscience tranquille, car il sait que son enfant est entre de bonnes mains expertes, motivées, généreuses et engagées, l’enseignant dans sa classe fait abstraction de son fils malade, il occulte la dépense quotidienne qu’il n’a pas laissée chez lui, et se force à ne pas penser à la Senelec en train de couper au même moment le courant chez lui à cause de factures impayées.
C’est l’un des seuls fonctionnaires que l’on voit protester pour percevoir ce qui lui est dû, quand il a fini de corriger les examens et que ses indemnités de déplacement tardent à être payées. Et pourtant, c’est le seul surplus qui quelquefois s’ajoute en extra à son salaire, une fois l’an.
Un ami me confiait qu’un de leurs collègues fonctionnaire dans un autre corps de l’administration, n’a perçu l’intégralité de ses avancements qu’au moment où il allait à la retraite, car il n’en a jamais eu besoin. Les enseignants sont lésés au quotidien par l’Etat : combien n’ont pas avancé alors qu’ils le devaient. Et combien d’entre eux galèrent en attendant d’être reclassés, alors que pendant ce temps le coût de la vie augmente de façon exponentielle ?
On me dira par ailleurs qu’ils font du khar matte. Je rétorque à ceux qui me le disent avec l’air de laisser sous-entendre que les enseignants s’enrichissent par là, que Kou khar matte diaaroko ! Qu’est-ce qu’ils y gagnent sinon plus de fatigue, plus de stress et au finish le plus souvent, une dépression nerveuse ?
Il n’y a pas plus brave ou plus héroïques fonctionnaires au Sénégal que les enseignants. Affectez-les dans un bureau, au bout de deux mois, ils maîtrisent tous les rouages des fonctions qui leur sont confiées. Aujourd’hui si l’administration fonctionne, c’est bien parce que les petites mains invisibles qui font tourner le système, c’est eux. La crème de l’administration est composée d’anciens enseignants. Ils en parlent à demi-mot, comme s’ils avaient vécu un traumatisme indélébile lors de leur passage dans ce corps qu’il ne faut surtout pas réveiller !
Nous sommes dévalorisés, nous sommes banalisés, et disons-le, nous sommes méprisés : un marchandage qui dure, aussitôt on vous demande si vous êtes un enseignant ; les oranges locales pullulent sur le marché, on les attife rapidement du surnom orange ou diangalékate !
On a même voulu nous faire croire qu’il fallait que nous acceptions d’être confinés dans l’indigence, et dans la misère, car un adage galvaudé dit que «qui épouse l’enseignement épouse la pauvreté» ! Cela a trop duré. Il est temps que la place de l’enseignant soit restaurée. On leur confie ce que nous avons de plus cher : nos enfants, l’avenir de la Nation, afin qu’ils gravent dans la roche de leurs jeunes cœurs palpitants et avides de connaissances le savoir, le savoir-faire et le savoir être.
Quelle plus noble mission ? Quel courage et quelle détermination face au défi ! Rendons-leur la place qu’ils méritent, surtout que nous autres enseignants n’avons pas besoin de grand-chose pour être heureux. Il nous suffit juste au terme de notre leçon d’être sûrs que notre objectif pour la performance effectuée a été atteint.
Et la meilleure preuve que notre travail a été correctement accompli est le témoignage de satisfaction venant de nos propres apprenants.
L’indifférence est mortelle : elle démotive ; elle décourage. Elle annihile toute motivation.
Rendre l’école digne d’intérêt et démontrer qu’elle est partie intégrante de notre société dont elle tire son énergie et à laquelle elle renvoie l’image de sa propre évolution avec ses forces et ses contradictions revient donc à accorder plus attention aux enseignants.
Et à rendre hommage à leur sacerdoce. Comme vous l’avez fait. Marème.
Chapeau.
Voilà un acte de Première Dame, pour une fois.
Bon pèlerinage, Mon cher Mbaye !