OUMOU SY : L'HABIT EST L'ETRE
COSTUMES ET CINEMA
Dans la salle des costumes du Grand Théâtre de Dakar, la styliste et costumière Oumou Sy règne en maître, entourée de ses assistantes. Outre les costumes des danseuses du ballet Béjart, les 29 et 30 novembre 2013, son esprit est déjà tourné vers le Dak’Art 2014 où elle présentera des costumes de cinéma entre autres créations.
Dans la simplicité de sa mise Oumou Sy a l’accent de la Grande Royale. Elle sait que la vie est loin d’être un long fleuve tranquille mais elle y mène sa barque avec courage, détermination et générosité. Dans son regard, rien ne semble la troubler et si elle avait choisi d’être comédienne, elle serait sur le grand écran la sœur jumelle de Sotigui Kouyaté. Il y a entre les deux un air de famille et un indicible magnétisme.
Oumou Sy est certes connue comme styliste intégrant dans ses créations des CD, des calebasses et autres objets tout aussi déroutants, il n’en demeure pas moins qu'elle reste une costumière dont le nom est attaché à des films sénégalais et étrangers internationalement connus. "Hyène" de Djibril Diop Mambety, sélection officielle au festival de Cannes, « Les caprices du fleuve » de Bernard Giraudoux ou encore "Samba Traoré" de Idrissa Ouédraogo, Podi Sangui de Flora Gomez… Elle se désole du fait que certains de nos metteurs en scène et créateurs de spectacle n’accordent pas grande importance au costume et ce qu’il suggère.
« Au théâtre, au cinéma, sur une scène de danse, releve-t-elle avec véhémence, le costume suggère beaucoup de choses. Il peut indiquer le temps, l’époque, le déroulement de l’histoire racontée, le lieu et le pays. Chez chaque être humain l’habit qu’il porte marque sa personnalité. Observer l’habit des chefs religieux les plus connus au Sénégal. Chacun d’eux avait une façon particulière de s’habiller. Ils étaient identifiables rien qu’à leur mise»
C’est le réalisateur sénégalais Ousmane Sembéne qui le premier lui a entrouvert les portes du cinéma en la mettant en contact avec l’équipe qui tournait « Docteur Jamot » qui allait changer de titre pour l’appellation « La nuit Africaine ». Elle raconte : « Je donnais des cours au département environnement en quatrième année de l’Ecole des beaux-arts alors dirigée par Kalidou Sy. C’est là que m’a trouvé Sembéne pour me dire qu’il fallait que je me mette au service du cinéma. Je ne pouvais pas savoir que j’allais être la première costumière du cinéma africain au sud du Sahara ». Si Sembéne l’a entrainée sur ce plateau de tournage c’est qu’il cherchait une équipe pour « Samory » et que Oumou Sy aurait en charge la fabrication des costumes.
Mais celui qui lui a donné confiance en faisant d’elle la responsable des costumes dans une prestigieuse production est le réalisateur Djibril Diop Mambety : « Quand Djibril est entré dans ma salle des cours, tout le monde était impressionné par sa stature. S’il était un animal, il serait un paon par sa façon de se tenir et le charisme qu’il dégageait. Il arrive face à moi et pose le scénario d’Hyène sous mes yeux en me disant : « Ceci est un film que nous devons réaliser ensemble. Si nous le réussissons nous aurons réussi un film. Si nous le ratons, nous aurons raté un film.» Des paroles d’une grande importance pour Oumou Sy. Elle n’aurait jamais imaginé qu’un réalisateur de cette trempe allait mettre sur ses frêles épaules une aussi grande responsabilité. Dés la première semaine de tournage, elle réalisa 50 tenues pour les gueux de Colobane avec de la toile de joute de sac de riz et de la fripe récupérée au marché. Le budget alloué aux costumes ne lui permettait pas de procéder autrement.
Quand Bernard Giraudoux pour Les caprices d’un fleuve fit appel à elle, elle réalisa quelque 4000 costumes au cours des trois mois de tournage. Revenant sur cette prouesse, elle dit : « Il fallait à tout prix satisfaire le réalisateur et en même temps c’était pour moi un enseignement et un défi à relever. Il me fallait être à la hauteur, échouer aurait porté tort à la réputation de mon pays » .C’est avec une délectation non dissimulée qu’elle se souvient du costume de « Kalakala », personnage principal de Podi Sangui, du réalisateur Bissau-guinéen Flora Gomez. Un costume qui donnait du fil à retordre au réalisateur puisqu’à la fin du film le drapé du personnage devait couvrir tel un nuage le ciel.
Dans cette salle de costume du Grand théâtre où elle évoque ses souvenirs de costumes de cinéma, elle prépare aussi son exposition de 2014 à l’occasion de la Biennale de l’Art contemporain Dak’art. « A cette semaine de la mode les 5 continents seront présents comme d’habitude .J’exposerai les costumes de films et mes créations de haute couture qui sont dans les musées et d’autres créations. En plus du défilé, il est prévu un déplacement à Tambacounda et à Podor. L’événement va durer 10 jours »