PLONGEON DANS LA PISCINE DE HABRÉ
REPORTAGE SUR LES LIEUX DE DÉTENTION DE L’ANCIEN PRÉSIDENT TCHADIEN
La Commission rogatoire internationale présente à Ndjamena depuis le 19 août est passée à la deuxième phase de sa mission. Hier, une délégation composée des juges d’instruction, du Procureur spécial près les Chambres africaines extraordinaires et des avocats des victimes a procédé à la visite des sites qui auraient servi de prisons durant le règne de l’ex-Président tchadien, Hissène Habré. Ils ont dépoussiéré les archives pour traquer les pièces qui établiraient les crimes contre l’humanité ou déchargeraient l’ex-Président tchadien.
(Envoyée spéciale à Ndjamena) - Elle serait le vestige de toutes les bêtises humaines. La Dds ? L’écho renvoie à un centre de tortures et d’extermination des présumés opposants à Hissène Habré. Ces anciens locaux, à la réputation sinistre, sont lovés en plein cœur de Ndjamena. Située dans le périmètre du Palais présidentiel à quelques 500 mètres des appartements de Idriss Deby Itno, la Direction de la documentation et de la sécurité (Dds) est sous haute surveillance.
Ici, il se cacherait le trésor recherché par le Parquet près les Chambres africaines pour étayer les accusations qui pèsent sur l’ex-Président tchadien poursuivi pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et tortures. Lourds, les chefs d’inculpation astreignent les accusateurs à fouiner dans ses décombres, à dépoussiérer les archives.
En cette matinée, la visite de la Commission rogatoire internationale est réservée à la sinistre Dds. Les bérets rouges, préposés à la sécurité présidentielle, braquent presque les kalachnikovs sur la délégation. Après quelques minutes de pourparlers, un des agents de la sécurité présidentielle pousse la grande porte qui s’ouvre sur une large cour. Murs glauques, peintures défraîchis, le bâtiment de la Dds trône implacablement au sein de cette vaste cour.
Ici, s’entasse toute la documentation de l’ex-police politique de Hissène Habré dont la commission voudrait exploiter pour les besoins de son enquête. Equipés de gants et de masques, les membres de la délégation passent au peigne fin les archives. Hier, ils ont longuement inspecté les différentes pièces qui composent ce bâtiment. «C’était le quartier général de la Dds», surlignent-ils.
En apparence, la moisson n’a pas été fructueuse. A leur sortie, des signes de déception se lisaient sur les visages. Mbacké Fall, procureur spécial près les Chambres africaines extraordinaires : «Il était prévu qu’on dépoussière et nettoie la pièce qui abrite les documents. Cela nous aurait facilité le travail.» Il promet de saisir le ministre de la Justice tchadien, Jean Bernard Padaré.
«Toute cette documentation devrait, dans le cadre de l’accord de la coopération signé entre le Tchad et le Sénégal pour le jugement, être acheminé à Dakar», ajoute M. Mbacké. Malgré cette couche épaisse de poussière qui recouvre ces piles de dossiers, la délégation se réjouit de l’état des documents. «Ils ne se sont pas endommagés», sourit presque Me Jacqueline Moudeina, avocat des présumés victimes.
«10 à 30 personnes mourraient par semaine dans cette piscine»
Dans les témoignages rapportés, la Dds est compartimentée en plusieurs niveaux de torture. Hier, la «piscine», haut lieu de la torture, a cristallisé toutes les curiosités. Située à côté des locaux de la Dds et construite par les colons, elle a été transformée en prison sous le régime de Habré, disent les présumées victimes. «Ils (Ndlr : Agents de la Dds à l’époque de Habré) ont rajouté un mur d’un mètre tout autour pour la surélever un peu. Ensuite, ils ont mis un toit en haut pour en faire une prison souterraine», explique un quidam.
Sous les regards ahurissants des membres de la délégation. D’après les témoignages, cette piscine engloutissait des vies innocentes après plusieurs heures de torture. «10 à 30 personnes mourraient par semaine», renchérissent les avocats. Surnommée le trou, cette cellule «extraordinaire» était construite sous la forme d’une pente qui empêchait aux prisonniers de se maintenir dans un équilibre même précaire. Ses dimensions laissent imaginer le pire vécu par les présumés détenus : De l’extérieur, elle se tient seulement sur 1,74 m de hauteur et 20 mètres de long, d’après les membres de la commission qui ont pris sur place les dimensions.
Pour entrer dans la piscine, selon les explications du point focal des Chambres africaines extraordinaires, Ousmane Souleymane Haroun, il faut d’abord descendre trois marches, traverser un petit couloir avant d’avaler encore une dizaine d’escaliers. Là, on fait face à cinq cellules de chaque côté séparées par un couloir de deux mètres avec une toilette située au fond du couloir, en face de la porte d’entrée.
«Chaque cellule fait 3 m2 avec une petite fenêtre de 80 cm de long sur 40 m de large», renseigne toujours Ousmane Souleymane Haroun. Selon lui, une cellule accueillait jusqu’à 100 personnes surtout «durant la vague de répression contre les Agawa, en 1989», précise le consultant de Human Right watch, Olivier Bercault. Bloqués à l’extérieur, les journalistes ont observé les membres de la commission discuter, scruter les objets trouvés sur place pendant que d’autres prenaient des photos ou des images sans doute pour les besoins de l’instruction.
Une partie de la brigade fluviale complètement rasée
La brigade spéciale d’intervention rapide (Bcir) a été aussi une étape de la visite des sites. Les locaux sont aujourd’hui transformés. Situé juste en face du Commissariat central de Ndjamena où ont lieu les auditions des victimes, le site abrite aujourd’hui la Direction de la sécurité publique. Mais la petite cellule qui servait de transit aux prisonniers est toujours restée intacte. C’est une pièce de 16 mètres carrés qui accueillaient 50 à 100 personnes, selon les explications de Koutibara Ahmat Léo, commissaire divisionnaire et directeur de la police.
«La porte de la cellule s’ouvrait une à deux fois par semaine, le temps d’extraire quelques détenus pour les besoins d’une interrogation ou pour leur donner à manger», rappelle le directeur de la police. Actuellement la pièce sert de magasin de stockage. Aussi d’anciens documents sont stockés toujours à l’intérieur.
Sur un autre site appelé Brigade fluviale juste en face du fleuve Chari, près de la frontière avec le Cameroun, les enquêteurs n’auront pas grand-chose à acheminer à Dakar. Une partie du site est complètement rasée. Une centrale électrique est en train d’être édifiée sur ce site qui serait le témoin des crimes dont est poursuivi Hissène Habré. Quelques témoignages de Ousmane Souleymane Haroun, «arrêté et interrogé dans ce lieu», meublent l’attente. Mais, la délégation s’est contentée du rien.