POURQUOI IL FAUT BRÛLER L’ACTE 3
L’examen de la décentralisation et de la déconcentration comme instruments de la proximité administrative doit se faire à un double point de vue : Celui des structures de proximité et celui du contenu juridique de cette proximité, c’est-à-dire les différentes compétences dévolues aux organes déconcentrés et décentralisés pour réaliser la proximité administrative.
Les différentes circonscriptions qui résultent de la division administrative du territoire constituent la base de l’application de la déconcentration et de la décentralisation. Le découpage administratif présente une importance capitale dans la mesure où il commande l’étendue de l’espace dans lequel les autorités administratives sont appelées à agir, ainsi que l’importance du groupe humain auquel cette action est destinée.
Parmi les vertus que l’on prête communément à la décentralisation et à la déconcentration, il y a celle, fondamentale, de rapprocher l’administration des administrés. Plus exactement, la déconcentration vise à rapprocher l’administration d’Etat des administrés ; la décentralisation a pour objectif de faire participer les habitants, à travers leurs représentants élus, à la gestion des affaires locales. On considère que des organes proches des citoyens sont plus à même de déterminer leurs besoins et de les satisfaire en connaissance de cause.
Ensuite, la décentralisation ayant été mise à l’honneur, notamment en raison de son caractère démocratique. L’idée est apparue que la déconcentration doit l’accompagner afin de la renforcer.
Des rapports entre les deux modes d’organisation administrative s’est développée une certaine articulation organique et fonctionnelle, le tout pour une meilleure gouvernance locale.
La décentralisation suppose donc l’existence d’une communauté d’intérêt entre les habitants d’une fraction de territoire. Elle repose sur une solidarité sociologique ayant une assise géographique, et sur la possibilité de distinguer des problèmes trouvant leur solution à l’échelon national, des affaires locales dont les habitants peuvent assumer la gestion.
La collectivité locale doit, en effet gérer ses propres affaires, par conséquent, des affaires distinctes de celles de l’Etat. Il existe, à côté des besoins généraux communs à tous les habitants du territoire national, des besoins plus particuliers à la localité et dont la satisfaction appelle nécessairement la solidarité de tous les habitants de cette localité.
Et comme les intérêts locaux ne pourront être efficacement protégés que si le groupe peut effectivement les faire valoir, cela implique à son profit, le droit d’avoir une existence juridique, et d’être représenté par des organes relativement indépendants du pouvoir central.
Sous ce rapport, nous considérons que l’Acte 3 a été mené à la hussarde. Il faut le dire sans ambages, l’Acte 3 est antidémocratique. Le gouvernement a rédigé un texte, le parlement l’a voté mécaniquement et aveuglement. La décision est venue du pou- voir central selon un mécanisme que l’Acte 3 prétendait justement détruire : plus de ruraux et plus de citadins, le Président Macky Sall dixit, lors de la présentation de sa stratégie de mener le Sénégal vers une communalisation universelle.
Hélas, après seulement moins d’un an de tentative d’application, le résultat de l’Acte 3 de la décentralisation s’est révélé très décevant. La pieuvre étatique n’a pas été détruite. Les zélateurs sans foi, saisis par l’incivisme administratif et la débauche bureaucratique, ont, au contraire multiplié ses tentacules.
Qu’on n’accuse pas le président de la République de pointillisme. Il a essayé simplement de donner les signes d’une grammaire nouvelle permettant de mieux exprimer les besoins et les préférences d’une population étouffée sous le papier et l’inextricable circuit des décisions et qui n’arrive pas à faire entendre sa voix.
Dans l’esprit du Président Macky Sall, il ne s’agissait pas d’inventer un nouveau décor administratif, mais plutôt de corriger les mœurs sénégalaises, en modifiant l’Etat dans sa nature, et les citoyens dans leur comportement. Mais les nullards qui l’entourent, au lieu de réfléchir vite et bien sur le substrat réel de la pensée et des ambitions du Président, et d’en déceler les limites objectives, et de lui dire ce qui est bon et ce qui est mauvais, et que c’est trop risqué de promulguer l’Acte 3, ils se sont focalisés sur les élections locales qu’ils pensaient remporter haut la main, le menton en l’air, la poitrine bombée.
L’accumulation de tels risques emprunte des canaux distincts à l’origine, mais qui se rejoignent et s’interpénètrent pour former un fleuve qui s’avance avec un grondement sourd et dont personne ne peut situer l’embouchure. Plus que tout autre, les Sénégalais éprouvent un besoin de comprendre. Nos concitoyens veulent savoir selon quels principes ils sont gouvernés et vers quel destin ils se dirigent.
Dans l’exposé des motifs de la loi portant Acte 3 de la décentralisation, on a noté que des slogans, qui reprenaient l’essentiel des principes de démocratie, de libertés, de justice, de développement à la base, de solidarité et du contrôle citoyen, tandis que le contenu de la loi proprement dite est le contraire des bonnes intentions et des bons sentiments énoncés dans l’exposé des motifs.
Ce contenu aux relents de dirigisme outrancier, est truffé de conditionnalités et de prises de décrets, laissé à la seule discrétion du chef de l’Etat, qui faisait de ce dernier l’étrangleur, le bourreau des collectivités locales.
Ceux qui lui ont demandé de jouer le rôle d’étouffeur des collectivités locales, l’ont trompé. Il devait jouer plutôt le rôle d’arbitre, de recours, entre les institutions chargées de conduire cette réforme et les collectivités locales. On ne peut pas avoir comme ambition déclarée, l’émergence du Sénégal, l’éradication de pauvreté et de la misère et, accepter consciemment ce rôle.
Ces friands de folklorisme, secteur dans lequel ils excellent, adoptèrent la caravane comme méthode pédagogique pour propager les vertus de l’Acte 3 et semer la bonne parole en encensant le concepteur, pour amener les Sénégalais à adhérer à cette nouvelle forme de décentralisation dont le contenu est totalement ignorée, même par les candidats aux élections locales.
Peine perdue et beaucoup de millions de francs engloutis. Les Sénégalais ont plutôt savouré des airs de Mbalax pur et dur, que pris connaissance et compris le contenu réel de l’Acte 3. L’ignorance encoura- gée et parrainée, paraît ici le principal
obstacle au progrès citoyen de la justice sociale et des libertés, car elle laisse aux hommes politiques une supériorité quasi absolue dans le maniement des mots et des chiffres. Dans cet univers de discours faux, les éléments de contrôle réel, sont un certain bon sens du citoyen de base et l’existence des médias relativement indépendants, bien que minoritaires.
Il ne suffisait pas d’imaginer la décentralisation telle que proposée par le président de la République et codifiée par des politiciens qui n’ont de soucis que leur obsessionnel besoin de paraître, encore faudrait-il la ménager en fonction des besoins mais aussi habitudes, voire des fétichismes de la société. Il nous faut donc une Décentralisation qui n’excite pas les querelles, mais qui les apaise.
La société sénégalaise est riche, même si le mot choque, dans un univers peuplé de démunis, libre parmi des Nations qui n’ont pas encore atteint le stade de la démocratie, paisible sur une terre qu’imprègne ailleurs le sang rouge des guerres et le sang noir des luttes civiles,
Voilà pourquoi il faut bruler l’Acte 3 de la décentralisation, pour donner naissance à l’Acte 4.