QUESTION DE PLATEAU
On s’attendait à voir Eumeu Sène célébrer cette victoire sur Balla Gaye 2 dans la langue de bois et les formules de circonstances en prime. Il est sorti des sentiers battus pour s’engouffrer dans le boulevard d’un audimat exceptionnel

Parti comme un incendie dévastateur, l’affaire a fini par faire long feu. Ainsi le combat Eumeu Sène-Balla Gaye n’a pas fini dans les cimetières. Les défunts qui ont pu être dérangés dans leur repos éternel ont finalement été épargnés de cette clameur aussi vite crevée qu’elle avait gonflé.
Il en est tout de même resté des propos captés dans les derniers commentaires du weekend passé, sur une radio, posant la responsabilité des médias dans le contrôle des contenus et des moments où "il faut dire". Des propos vite évacués dans le débat, "pour revenir sur le combat", mais qui méritent bien un "arrêt sur image".
Dans cet énième dérapage, le coup est parti tout seul. On s’attendait à voir Eumeu Sène célébrer cette victoire sur Balla Gaye 2 dans la litanie habituelle des remerciements, la langue de bois et les formules de circonstances en prime. Il est sorti des sentiers battus pour s’engouffrer dans le boulevard d’un audimat exceptionnel. La faute à qui ?
La question n’est pas nouvelle. Faut-il tendre le micro aux sportifs dans ces moments où le corps est fatigué, l’esprit difficile à contrôler et le cœur à la recherche d’un rythme apaisé ?
Tant que les possibilités existent, il est difficile pour la presse d’échapper à la soif de la réaction à chaud. On raffole, dans les rédactions, de cette info "sincère", de cette "crème" non encore polluée par les cornacs et les conseillers en Com en tous genres, qui révèle les "profondeurs de l’âme".
D’aucuns évoquent le danger de la parole "sans recul". Dans certains milieux sportifs, les dirigeants en sont arrivés à tracer une ligne rouge et à se lancer à la chasse aux micros. Les pratiquants aussi maitrisent les canaux du silence. A la mi-temps ou à la fin d’un match, on en voit souvent qui fixent le nez sur le gazon et filent vers le couloir de la délivrance qui mène aux vestiaires.
Le sport n’étant pas retourné à l’âge du cinéma muet et le spectacle ayant bien besoin de son pour être total, il a bien fallu créer des espaces de dialogue. Sur le bord du terrain, voire dans le couloir des vestiaires, si ce n’est la salle de presse, on a ainsi droit à des rendez-vous organisés. C’est ainsi que les chaines de télé ont leur "plateau" pour la lutte. Une zone où commence le temps additionnel d’après combat. Une sorte de troisième mi-temps où se dessinent les défis ultérieurs.
Est-ce un espace où il faut désormais réguler le discours, normer les propos et tuer la spontanéité ?
On a entendu dire qu’il faut "un temps de sécurité", consistant à laisser le lutteur aller chercher son Drapeau dans la loge officielle d’abord, avant de faire son entrée en scène médiatique. Tant mieux si la "survie" de la discipline, à travers des propos et des comportements vertueux, ne tenait qu’à ça ! Mais on sait bien que ce n’est pas vrai.
Dans cette logique de retransmission aseptisée, le débat de la lutte résonne en écho à la polémique née des insultes d’Ibrahimovic captées dans les vestiaires par les caméras de Canal+. Ici comme ailleurs, la réponse n’est pas dans l’interdiction des micros baladeurs, dans l’interdiction des caméras ou dans la multiplication des zones de non droit pour la presse. On cherche plutôt à "gérer" l’inévitable.
Dans le cahier des charges que la Ligue de football professionnel (Lfp) français pose comme engagement contractuel aux chaines de télévision, pour l’accès à la diffusion de ses matches, il est posé le principe de "ne pas promouvoir des scènes contraires à l’image du football (attitudes inappropriées des acteurs ou des spectateurs)" et "donner une image positive du football en mettant l'accent sur les beaux gestes et le beau jeu". Il s’agit aussi de "ne pas dévaloriser l’image de la Ligue 1, des clubs, de la Lfp et du football professionnels".
Mais "ne pas promouvoir" ne signifie pas ne pas diffuser ; il ne s’agit pas d’un appel à la censure. Et encore, ce n’est pas parce que la lutte sort des ténèbres de l’incertitude qu’il faut s’affoler de tout et confondre les causes et les effets.