RÉVÉLATIONS D’UN PROTOCOLE CONTROVERSÉ
MISE EN ŒUVRE DE L’ACCORD ENTRE LES VILLAGES ET LA SOCIÉTÉ

En janvier 2014, le gouverneur de la région de Saint-Louis s’est évertué à faire signer un protocole d’accord au représentant du Collectif des villages riverains du projet de Senhuile à Ndiael. Un an après le début de sa mise œuvre, le document confidentiel livre ici ses détails. L’entreprise trouve satisfecit pendant que certaines populations restent contre le projet et demandent son arrêt.
Alors que les éleveurs s’indignent de la privation de zones de pâturage avec l’implantation de la société Senhuile sur 20 000 ha de la réserve de Ndiael, le nommé Djiby Bâ signe, au nom des villages riverains, un protocole d’accord d’un an «renouvelable par tacite reconduction», en janvier 2014. Contresigné par Guedj Diouf, le Sous-préfet de l’arrondissement de Ndiaye, le document révèle l’engagement de la société à «accompagner les populations dans l’éducation des enfants du terroir par la construction dans la zone impactée du projet, d’une salle de classe fonctionnelle par an, conformément à la carte scolaire et la dotation de fournitures et de manuels scolaires».
En effet, le protocole prévoit une cohabitation entre la société et les villages en ce sens qu’il est envisagé l’aménagement «des couloirs de passage pour faciliter les déplacements des animaux entre les pâturages naturels et les périmètres fourragers sécurisés à mettre à la disposition des éleveurs qui en assurent la gestion». Le Directeur général de l’époque, Benjamin Dummai, s’est engagé à aménager des zones de culture, «avec amenée d’eau, à raison de 3000 m2 par famille, pour les villages environnants du projet tout en sécurisant les terres qui lui ont été alloués par décret présidentiel».
L’accord prévoit aussi la priorisation «des organisations villageoises dans l’acquisition à moindre coût des sous produits utilisables pour l’alimentation du bétail». Il revient également à la société «d’appuyer les éleveurs de la zone qui pratiquent l’élevage intensif dans la commercialisation du lait et de la viande, à travers l’organisation de réseaux de distribution, conformément aux orientations du ministère de l’Elevage», mais aussi le respect «du droit à la libre circulation des habitants des villages situés à l’intérieur du périmètre affecté au projet».
Outre leur implication dans la conception, ces derniers sont appelés à emprunter «les voies réservées à cet effet».
«C’est de la mascarade»
Par ailleurs, Djiby Bâ a paraphé au nom du collectif des villages riverains un engagement lié à la liberté de marcher. Ils doivent «saisir l’autorité administrative compétente au préalable avant toute manifestation publique», «fournir les informations relatives aux effectifs de leurs cheptels vaccinés, accompagner la mise en œuvre des programmes initiés pour le développement du projet dans le respect des clauses environnementales et des engagements pris dans le cadre du présent protocole, respecter une zone tampon de 500 m pour les villages et 300 m pour les hameaux situés dans l’emprise de Senhuile».
Les éleveurs sont également tenus de prémunir la compagnie de toute divagation d’animaux, de préserver ses biens et prendre part aux activités de sensibilisation et fournir les informations relatives aux effectifs de leurs cheptels. Quant à la mise en œuvre, Djiby Bâ affiche un sentiment mitigé. Joint par téléphone, le signataire au nom du collectif reconnaît que des choses n’ont pas été faites, mais il y a des salles de classe en construction. Notre interlocuteur n’a pas souhaité aller plus loin dans les détails.
Ardo Sow, un autre porte-parole des villageois de Ndiael, l’un des initiateurs de la dernière marche des populations de cette localité écarte toute idée d’entente. «Le protocole d’accord, c’est de la mascarade. C’était initié par le gouverneur de la région de Saint-Louis pour dire que les populations sont d’accord sur le projet alors que ce n’est pas le cas».
Plus de 54 millions comme investissement communautaire
A l’heure de l’évaluation du controversé protocole, l’entreprise livre les actions qu’elle mène pour les populations depuis l’approbation. C’est à travers un document intitulé «Un projet collectif en pleine expansion» que la Senhuile a partagé ses réalisations faites depuis la signature du protocole d’accord pour un montant global de «54 millions 254 mille 751 francs Cfa».
Cette somme a pris en charge diverses actions allant de la sensibilisation sanitaire à l’aménagement de surfaces agricoles en passant par le fourrage pour les éleveurs et la construction de salles de classe. En effet, la direction mentionne la construction de cinq points d’eau, en plus de l’aménagement d’espaces agricoles à raison de 75 ha pour Gnith et 114 ha pour le collectif de Ronkh.
Le montant total de cet investissement est de 27 millions 640 mille 575 francs Cfa. L’entreprise dit avoir fait «un donde70hademaïspourla consommation humaine et animale». De plus, la compagnie s’est investie pour le maraîchage.
«Nous avons réalisé trois potagers communautaires gérés par les trois associations féminines des villages de Yetti Yone, du hameau Houmar Bâ et Oudabe Kambouki. Chaque potager occupe un hectare et comporte une partie fruitière et une partie maraîchère. Dans un second temps, elle a fourni les moyens pour la clôture, le bassin pour la collecte de l’eau, le travail de la terre, les produits pour le traitement, les semences, les arbres fruitiers, les outils pour le travail. Senhuile Sa a réalisé le potager avec les associées qui ont aussi bénéficié d’une formation en horticulture et en gestion financière», se réjouit-elle.
Senhuile déclare par ailleurs avoir fait reboiser «225 arbres dans les écoles primaires de Yetti Yone, Tordionabé Carrière, Tordionabé, Colonat». L’entreprise indique qu’elle a construit quatre salles de classe, soit deux pour le collège de Gnith et deux autres à l’école primaire de Tordionabé Carrière, dans la commune de Ronkh. En guise d’intrants scolaires, elle a distribué «4500 cahiers aux écoles primaires de Gnith et Ronkh».
Il reste que la société a procédé à des licenciements de travailleurs pour motif économique. Dans ses premières années, la société avance avoir investi trois milliards de francs Cfa pour un chiffre d’affaires nul. De nos jours, Senhuile réclame la somme de 550 millions de francs Cfa qu’elle avait versée à la commune de Fanaye en 2011, du moment où elle a été désaffectée de ses 20 000 ha au lendemain de la mort de deux personnes.