RECOMPOSITIONS POLITIQUES
Le redéploiement que promet le Cadre Formel trouve un terrain fertile pour emblaver un domaine très champêtre. Le problème pour ce conglomérat est qu’il est composé d’éclopés

Même à un peu moins de deux ans de l’hypothétique élection présidentielle de 2017, la recomposition de la classe politique a déjà commencé. Alors que la coalition gouvernementale peine à préserver son unité, l’opposition elle, s’organise. Elle vient de mettre en place le Cadre Formel pour constituer un bloc contre le Président Macky Sall dont la majorité a plutôt tendance à détricoter qu’à se ressouder autour de lui.
Cependant, force est de reconnaître qu’en dépit de ses nombreuses turbulences, Benno Bokk Yakaar, tel le roseau, plie mais ne rompt pas. Combien de temps tiendra cette posture chancelante ? Difficile à dire. La météo de la coalition est tellement versatile qu’on ne saurait se risquer au moindre pronostic.
Depuis trois ans, Benno n’a enregistré que deux départs : le Rewmi d’Idrissa Seck et FSDB de Cheikh Bamba Dièye. Les velléités autonomistes du PS et les épisodiques coups de gueule de la gauche, ont certes permis de secouer le cocotier. Mais l’édifice fissuré reste debout. Le Président Macky Sall a jusqu’ici trouvé le timing et le verbatim de dernière heure pour faire rentrer les contestataires dans les rangs.
Certes, les volontés organisationnelles et de structuration du mouvement sont laissées lettre morte. Le cavalier seul de l’APR et sa boulimie de pouvoir heurtent l’orgueil des alliés. Mais aussi fortement en tout cas pour les pousser à la porte.
La dernière déclaration de Khalifa Sall annonçant ouvertement que le PS aura son candidat à la prochaine présidentielle est un pas vers la sortie de l’attitude mutique dans laquelle le maire de Dakar s’était emmuré. Du moins sur ce point crucial de la participation à l’éventuelle présidentielle de 2017. Son entrée en scène (prévue en juin) ne serait plus qu’une question de jours. Sans qu’on ne sache exactement ce que fera son parti dans cette forte probabilité.
Tout compte fait, Benno Bokk Yakaar est assis sur des braises ardentes. Entre les psychoses d’implosion et les espérances unitaires, il ne compte que sur le florilège de promesses du gouvernement, pour se refaire une santé. Mais l’image du Président sabotée par des erreurs cumulées de communication est tellement brouillée, que le timonier semble de moins en moins apte à contrôler le navire.
Trop de communication asymétrique, trop de promesses non tenues, trop de dérives et peu de véritables ruptures dans la gestion de la cité. Autant d’espace que tente d’occuper la bande à Idrissa Seck, pour ébranler un Président à la majorité hirsute et fragile.
Le redéploiement politique que promet le Cadre Formel trouve donc un terrain fertile pour emblaver un domaine visiblement très champêtre. Le problème pour ce conglomérat est qu’il est composé d’éclopés qui auront beaucoup de mal à se remettre de leurs profondes blessures.
Le PDS vole en éclats. Son chef est atteint. Sans doute trop, pour se donner les moyens de réarmer ses lieutenants en constante querelle byzantine.
Bokk Gis Gis reste la propriété exclusive de Pape Diop qui draine plus de monde que cette formation. Malgré une représentation parlementaire (quatre députés), il apparaît plus comme une excroissance du PDS, dont il a hérité son audience et son ancrage faibles.
L’URD s’enkyste dans la confidentialité. Son chef, Djibo Kâ, symbolise à suffisance un passé reflet de trop de mauvais souvenirs pour drainer des espérances.
Le FSDBJ de Cheikh Bamba Dièye est comptable du bilan gouvernemental dont il n’a quitté l’attelage qu’en juillet dernier. Trop faible poids électoral pour apporter une dime conséquente à la coalition.
Idem pour AJ PADS de Mamadou Diop Decroix, qui se contente, faute de mieux, d’exister sur la scène politique. Et par procuration de Wade, essaie d’animer tant bien que mal le FPDR.
L’UDC, autant que son leader Abdoulaye Baldé restent les petits poucets dans cette cour des grands. Confiné comme la plupart des membres de cette coalition naissante dans le supplétif rôle de faiseur de roi, elle peut tout au plus amplifier le mouvement de contestation contre le gouvernement. A condition que ses démêlées probables avec la CREI, lui en laissent la latitude.
Chef de file naturel du Grand Formel (comment pourrait-il en être autrement ?), Idrissa Seck a certainement beaucoup de comptes à rendre aux Sénégalais. Ses échecs successifs et cinglants aux deux dernières présidentielles montrent bien que le compte n’y est pas encore. Et qu’il aura beaucoup à s’expliquer devant les Sénégalais. Et sa récente sortie à la suite d’une tournée au Nord ne l’en dénantira pas pour autant.
Il reste la carte Khalifa Sall, pour crédibiliser le Cadre Formel. On se souvient que lors des élections régionales et départementales, ce qui était alors une simple plate-forme a manqué de se muer en véritable coalition. La guerre de leadership entre deux fortes personnalités, Khalifa Sall et Idrissa Seck, sera aussi source de rudes tiraillements. A moins, qu’en troisième «voie», Aïssata Tall Sall en rupture de ban avec le PS, ne vienne changer les donnes avec une légitime ambition.
La coalition Benno Bokk Yakaar a du souci à se faire. Même avec des composantes en fragilité, le Cadre Formel peut trouver du souffle nouveau avec l’apport de Khalifa Sall et l’édile de Podor, visiblement trop mal à l’aise au PS, pour suivre la ligne floue et ambivalente du Parti socialiste.
Faut-il rappeler que les élections départementales et communales avaient vu la naissance d’une plate-forme regroupant l’essentiel des formations du Cadre Formel avec Khalifa Sall en plus ? Ce front informel contre l’hégémonie apériste avait tout de même permis de remporter la quasi-totalité des grandes villes (à l’exception de Saint-Louis). Mais n’a pas survécu aux banquets des vainqueurs organisés à l’occasion de l’installation des maires triomphants. Cette unité d’action solidaire sur la forme pourra t-elle être transformée en unité organique avec une possible arrivée de Khalifa Sall et Aïssata Tall Sall ? Rien n’est moins. Une élection présidentielle est un engagement personnel, autre différent de l’élection locale.
Pour l’heure, l’AFP de Moustapha Niasse après une secousse tellurique sans grande magnitude semble observer le charivari avec assurance. Elle a le mérite d’avoir fait une option contestable mais claire. Celle d’adopter la ligne de conduite rectiligne de la solidarité gouvernementale qui lui épargne bien des circonvolutions. La création du nouveau Grand Parti (Suxali Sénégal) par Malick Gakou clarifie un peu plus les options.