REMPART
Ernest Sagaga, chef du département Droits de l’homme de la Fédération internationale des journalistes, explique le rôle de son organisation

La dépénalisation des délits de presse au Sénégal ne placerait pas les journalistes au-dessus de la loi. C’est la conviction d’Ernest Sagaga, le chef du département «Droits de l’homme» de la Fédération internationale des journalistes, qui s’est entretenu avec www.SenePlus.Com.
Quelle est la mission de la Fédération internationale des journalistes (FIJ) ?
La Fédération internationale des journalistes a une double mission. En premier lieu, nous sommes mandatés pour défendre les conditions de travail, le bien-être de tous les journalistes qui sont adhérents à la FIJ. Le deuxième mandat est de promouvoir l’indépendance professionnelle des journalistes partout dans le monde. Et donc nous voulons que les journalistes travaillent en toute indépendance non seulement vis-à-vis des forces politiques, mais aussi des forces économiques, commerciales…, d’où qu’elles puissent provenir.
Quelles sont dans ce sens les actions concrètes que vous menez ?
Je dirais que nous faisons d’abord un plaidoyer auprès des gouvernements en ce qui concerne les conditions de travail des journalistes dans les pays concernés. Ensuite nous travaillons pour voir ensemble avec nos membres et les autorités gouvernementales la manière dont on peut améliorer les lois sur la presse pour éviter qu’il y ait des lois qui font des restrictions sur les acteurs de la presse en termes de la criminalisation, de la pénalisation de la diffamation par exemple. Mais nous combattons également toute autre violation des droits des journalistes, notamment la protection des sources des journalistes. C’est un aspect sur lequel nous revenons souvent dans plusieurs pays.
Ce que nous faisons, c’est également la protection des journalistes en termes de sécurité physique des personnes dans les zones de conflit normalement, mais même dans les pays sans conflit. Parce que malheureusement on dénombre des cas d’attaque, d’agression contre les journalistes même dans les pays censés être en paix. Donc c’est cette mission que nous accomplissions. Et nous l’accomplissions aussi bien sur le plan national, régional, que global parce que nous représentons les journalistes au sein des institutions européennes, internationales et des Nations-Unies.
L’Assemblée nationale tarde à voter le nouveau code de la presse sénégalais invoquant son rejet de la dépénalisation des délits de presse inclus dans le projet. Etes-vous intervenus auprès des pouvoirs publics sénégalais à propos de cette question ?
Je crois comprendre que le gouvernement sénégalais est en faveur de la dépénalisation des délits de presse. Apparemment le parlement sénégalais se soucie de ne pas créer une situation qui placerait les journalistes au-dessus de la loi si les délits de presse étaient dépénalisés. Cependant, nous ne pensons pas que ce serait le cas parce que tout citoyen lésé par un article de presse ou un programme radio ou TV aurait toujours recours aux juridictions civiles pour faire valoir son droit au respect de sa dignité humaine et sa réputation personnelle.
Le code pénal reste aussi d'application pour les cas d'incitation à la haine ou à la violence. Force est de constater que le code pénal est souvent invoqué pour les délits de presse comme moyen d'intimidation contre les journalistes par ceux qui sont en position de pouvoir et d’influence en vue de décourager les médias à faire des enquêtes sur des affaires d'intérêt public. Il s'agit donc d'une grave restriction à la liberté de la presse. De fait, il existe désormais une jurisprudence en Afrique suite au jugement de la Cour africaine des droits de l'homme qui, en début d'année, a condamné le gouvernement burkinabé pour l'emprisonnement d'un journaliste dans une affaire de diffamation intentée par un procureur de ce pays. Il s'ensuit que les autres pays africains qui s'obstinent à poursuivre les journalistes au pénal pour leur travail tomberont sous le coup de cette décision.
Vous êtes à Dakar dans le cadre de la formation des journalistes pour la couverture des zones humanitaires. En quoi cette formation est nécessaire ?
L’intérêt est très manifeste parce qu’à la fois, cette formation donne aux journalistes des connaissances leur permettant de veiller à leur propre sécurité, en sachant exactement ce qu’il faut faire, mais aussi ce renforcement des capacités leur donne des connaissances en droit applicable aussi bien en temps de guerre qu’en temps de paix. En temps de guerre, évidemment nos collègues ont besoin de savoir, quelles sont les dispositions du droit humanitaire qui s’appliquent, et notamment quelle est la disposition de cette branche du droit international qui protège les journalistes au même titre que les civils. Mais aussi il y a les droits de l’homme qui s’appliquent aussi bien en temps de guerre surtout ce noyau composé par les droits fondamentaux tels que le droit à la vie, l’interdiction de la torture et les garanties judiciaires d’un procès équitable.
Rencontrez-vous des difficultés particulières avec les États ?
C’est sûr, ne serait-ce qu’à regarder le nombre de journalistes tués chaque année ou le nombre d’attaques perpétrées chaque année contre les journalistes. Il y a clairement encore du travail à faire. Et évidemment nous, nous sommes-là pour faire ce travail. Nous n’allons pas nous dérober de notre obligation. Mais je pense aussi que c’est un travail de chaque journaliste. C’est pourquoi j’ai pu parler à des journalistes pour leur demander leur contribution en termes de promotion de tout ce qui nous protège et en termes d’approche vis-à-vis des autorités concernées, là où ils sont dans leurs pays, dans leurs villes, etc.
Étant souvent sur le terrain en zones de conflits quels sont vos rapports avec les différentes parties prenantes ?
Les rapports évidement, en premier lieu, concernent nos membres qui sont justement déployés dans ces zones. Nous tenons à ce qu’ils soient formés en peu en sécurité pour justement, veiller en premier lieu à leur propre sécurité. Mais nous engageons aussi des contacts avec des gouvernements et avec les instances régionales et globales pour faire appliquer, faire respecter les dispositions du Droit international humanitaire (DIH) ainsi que les principes fondamentaux des droits de l’homme. Donc chacun a son rôle à jouer et nous demandons à ce que chacun puisse le faire. Nous en premier lieu d’abord en concertation avec les journalistes d’abord, mais également les décideurs politiques ainsi que les dirigeants des organisations internationales.
Est-il indispensable que le journaliste qui se déplace en zone de conflit vous informe au préalable ?
Nous préférons savoir lorsqu’un journaliste est en déplacement et surtout lorsqu’on pense qu’on peut faire face à des risques qui peuvent mener à des actes contre la sécurité physique de nos confrères. Donc nous sommes là pour savoir, nous préférons savoir justement pour faire le suivi. Et, au cas où il arrive quelque chose, que nous puissions intervenir d’abord par nos propres moyens. Nous avons un fonds d’entraide international qui a été créé par des journalistes, qui est financé par des journalistes pour venir en aide aux journalistes qui en ont besoin. Si nous savons que quelqu’un va entreprendre une mission délicate, périlleuse, et si jamais, il lui arrive quelque chose et que la personne concernée a besoin d’être évacuée ou parce qu’elle a été blessée ou simplement qu’elle est menacée et qu’elle veut se mettre à l’abri, nous pouvons faire intervenir ce fonds d’entraide pour faciliter l’évacuation si le gouvernement en place ou les décideurs en place ne peuvent pas le faire.
Ça, c’est pour les journalistes membres de la FIJ ?
Pas du tout. Cette assistance n’est pas exclusivement destinée aux membres de la FIJ. Etre membre de la Fédération, ce n’est pas une condition sine qua non pour être assistée en cas de besoin. La FIJ est là pour assurer la sécurité de tout journaliste en situation difficile.