SÉBIKOTANE DÉFIGURÉE PAR LA SPÉCULATION FONCIÈRE
TRANSFORMATION D’UNE LOCALITE
Une forte spéculation est exercée sur les terres de Sébikotane, une commune située à 41 kilomètres de Dakar. Ici, le foncier est source de beaucoup de li- tiges entre l’équipe sortante de la mairie et les résidents. En témoignent les réactions de la population sur la question dans cette contrée où les champs dédiés à l’agriculture, à l’élevage et au maraîchage sont menacés par des lotissements souvent clandestins et anarchiques à usage d’habitat. Déboussolée, la population crie au scandale foncier et dénonce l’indisponibilité de la terre.
«Des litiges fonciers à Sébi, il y en a à manger et à boire», ironisent certains observateurs, «il y a tellement de problèmes de terres à Sébi que vous pouvez en parler du matin au soir sans jamais en finir», renseignent d’autres d’un air goguenard. D’ailleurs, affirment d’autres encore, il ne reste plus de terres libres. Et très souvent la mairie se trouve au banc des accusés.
Tout a été vendu hormis les champs appartenant à des familles fondatrices de la commune. Même dans ce lot, celles qui n’ont pas encore procédé à ce rite de distribution de l’héritage foncier, se comptent sur les doigts de la main.
«Les délibérations se font à l’insu de tout le monde. Les gens de la mairie s’enferment et décident de tout. Ils vendent les champs et c’est après que nous autres, sommes informés lorsqu’ils nous donnent des miettes. Bien sûr, nous réprouvons cela mais sommes impuissants devant l’autorité et l’intérêt général», se désole un éleveur qui a requis l’anonymat.
Des étrangers, dont la majorité vient de Dakar, accordent un grand intérêt aux terres de Sébikotane pour diverses raisons. Outre l’existence de l’Autoroute à péage, la proximité avec l’Aéroport international de Diass en construction, l’érection de la commune de Diamniadio en pôle de développement attirent investisseurs et simples individus à la recherche d’un titre foncier.
Une promenade dans les quartiers périphériques de cette localité, permet de faire le constat de la boulimie foncière qui sévit dans cette partie du pays. Le sol couvert d’herbes, d’arbustes et d’arbres qui ont retrouvé leur feuillage au grand bonheur des reptiles, oiseaux et autres animaux rampants, en cette période hivernale, offrent une agréable vue cassée de temps à autre par des fondations, des briques entreposées, des tas de sable marin rouge, ou des pierres, ou encore des bâtiments en
construction, qui prennent le des- sus sur cette savane herbacée. Dans ces périphéries: Sébi Gare, Sébi Tangor, Kip kip, au niveau de la carrière etc., des géomètres, architectes, maçons, passent leurs journées à faire sortir de terre des habitations.
La spéculation foncière est ici, telle que les gens acquièrent des parcelles avec une certaine facilité, pour les concéder quelque temps après, en doublant le prix du mètre carré.
Cette situation agace certaines personnes, qui accusent l’ancien maire et son équipe d’avoir dilapidé leurs terres. «Ils ont tout vendu. Il n’existe presque plus de terres libres à Sébikotane. Même la forêt classée a été touchée, alors qu’elle n’a pas été déclassée», rapporte un agent de cette institution qui n’a accepté de parler que sous la garantie de l’anonymat.
Pire, ajoute cet individu, nombre de ces constructions sont dans l’irrégularité. Le dernier lotissement à Sébi remonte à 2004 dans le quartier Sébi Tengor, le précédent ayant eu lieu en 1996. «Beaucoup de personnes sont dans une situation d’irrégularité car les lotissements ne se sont pas faits dans les règles, il y a beaucoup de magouilles. Aujourd’hui, des gens viennent tous les jours se plaindre. Certains brandissent des quittances comme preuve pour réclamer des parcelles qu’ils ont payé sans jamais les voir ni obtenir un numéro», confie le même agent.
Et il se dit que les problèmes de ce genre ne manquent pas à Sébi. «La mairie peut vendre le même terrain jusqu’à trois personnes», accusent plusieurs personnes. Ces mêmes contentieux s’observent avec certains détenteurs de champs véreux qui avec la complicité des courtiers aussi malhonnêtes, peuvent céder le même lopin de terre à différents individus, à coup de millions de francs Cfa.
LES ACTIVITÉS AGRICOLES ET PASTORALES COMPROMISES PAR LA SPÉCULATION FONCIÈRE
La conséquence la plus visible de cette boulimie foncière est la chute vertigineuse des activités agricoles et pastorales dans cette localité habitée en majorité par des paysans. S’y ajoute la menace qui pèse sur l’héritage foncier des futures générations. Faut-il alors garder des champs pour des raisons agricoles et pastorales au détriment de l’habitation? La question divise les gens et les positions varient selon les situations et les aspirations des intéressés.
Pour Abdou Rahmane Mbaye juriste de formation, le sur- peuplement de Dakar, la démographie et la conjoncture poussent infailliblement les propriétaires à céder leurs terres. «Les champs doivent être aménagés au fond de la savane pour le maraîchage et le pâturage et les espaces proches de la périphérie actuellement dédiés à ces activités doivent servir à la construction d’habitats pour décongestionner Dakar», plaide M. Mbaye.
Cet avis est partagé par Mme Gor, la trentaine. Cette jeune personne issue d’une famille détentrice de champs à Sébikotane estime qu’à l’état actuel des choses, la vente des terres est inévitable et irréversible.
Pour cause, la demande de zones d’habitats est forte alors que ces terres, bien qu’elles appartiennent à leurs grands-parents qui les ont entretenues et mises en valeur, sont du domaine national. Par conséquent, si l’Etat a besoin de ces espaces, il a les prérogatives d’en disposer afin de les céder aux demandeurs.
«Qu’on le veuille ou non, nos enfants à nous ne trouveront pas de terres comme nous, nos pères et grands-pères avons pu avoir la chance d’en trouver. A la limite, les plus chanceux hériteront peut-être des maisons», se désole un jeune père de famille.
«Il n’il y a plus de lopin de terre disponible à Sébi. Plus d’espaces à vendre, la mairie a délibéré sur toutes nos terres sans nous consulter. Aujourd’hui, on n’a même plus d’espaces pour le maraîchage et le pâturage alors que nous sommes des paysans. Du coup, nos activités de survie sont compromises à jamais», se plaint le vieux Serigne Diouf plus connu sous le nom de Diouf.
Craignant le sort des Lébous de Dakar qui dans leur grande majorité, avaient vendu toutes leurs terres et se retrouvent aujourd’hui à rechercher ailleurs alors qu’ils étaient les seuls détenteurs des terres à Dakar, certains pères de familles tirent sur la sonnette d’alarme. Ils estiment que la vente des terres de leurs aïeux est une pure folie.
Et ils estiment que la conjoncture ne saurait expliquer encore moins excuser la cupidité des certains pères de famille qui sacrifient leur progéniture en vendant ce qui leur a été légué par leurs ancêtres et dont ils se devaient d’assurer la conservation et l’héritage en dépit de toutes les difficultés de la vie.
«Les hectares de terres que je cultive appartiennent à tout un clan. Je pourrais vendre mes parts mais je pense aux futures générations. Si je cède ces terres aux étrangers pour des millions, demain je rendrais des comptes au moment du jugement dernier. Je serais le seul responsable des errances des jeunes de demain et de tous les problèmes qui surviendront dans mon clan, ma famille et ceux à qui j’aurais cédé des parcelles», soutient un cultivateur, que la seule idée de vendre ses terres rend nerveux.
Sans crier gare M. Sy, un instituteur à la retraite lance son grain de sel : «Il n’y a pas plus riche que celui qui détient des hectares de terres de nos jours. Ceux qui en ont et qui les cèdent sont des ignorants. Mais ils devaient prendre exemple sur le sort des Lébous de Dakar et en tirer des leçons.L’argent qu’ils ont récolté en vendant leurs terres ne leur a été d’aucune utilité car aujourd’hui, leurs progénitures sont devenus des courtiers à force de courir derrière des terrains».
Cet ancien habitant de Sebikotane, résidant à Pout pour des raisons professionnelles, jure qu’aucun mètre carré de ses terres ne sera cédé de son vivant pour de l’argent à des étrangers.