MULTIPLE PHOTOSUNE VIE MALGRÉ ÉBOLA
GUINÉE - DANS LA CHALEUR DE LA NUIT À CONAKRY
On ne sent pas une psychose Ébola lorsqu’on débarque à Conakry, capitale de la Guinée. Non pas que les populations ne veulent pas parler de l’épidémie, mais parce que la vie suit son cours normal. Si la campagne menée est bien visible à tout coin de rue, les mesures de salubrité omniprésentes, le gouvernement refuse de verser dans la "paranoïa". Il continue à travailler. Les hôtels sont certes désertés par les touristes que les Ong bien installées dans les "5 Etoiles" semblent remplacer, mais on espère que la mauvaise saison va bientôt passer. Les commandes de véhicules 4x4 censés faciliter les déplacements des personnels d’Ong intervenant dans la lutte contre l’Epidémie explosent ; le "marché" des Thermos flashs intrigue. La Banque mondiale, avec 25 millions de dollars, la Banque africaine de développement (60 millions de dollars), l’Arabie Saoudite (35 millions de dollars), cassent bien la tirelire. Mais il y a une vie à côté d’Ébola qui a déjà fait 1 475 décès en cas confirmés en Guinée. Dans un pays très jeune avec plus de 70% de la population sous la barre des 35 ans, le temps ne peut être à la mélancolie. Bien au contraire, on célèbre Miss Guinée, danse le soir et travaille le jour. Pour les habitants de Conakry, "demain, il fera forcément jour"...
Conakry, il est presque 4 heures du matin. L’ambiance à l’hôtel cinq étoiles du Novotel, situé à quelques centaines de mètres du Palais présidentiel Sékoutoureya, au cœur du quartier le plus huppé de la capitale, est simplement...kafkaïenne. Une foule de cinq cents jeunes des deux sexes, totalement déchaînée, scandent rageusement le nom de Mama Aïssata Diallo qui vient d’être désignée Miss Guinée 2015 par un jury de onze (11 membres).
Des cris stridents, de joie difficile à contenir, fusent de la foule, alors que la nouvelle élue, qui a du mal à contenir ses émotions, est retenue sur le podium par des bras vigoureux. Dans la foule, amis, parents accompagnateurs, visiblement acquis à la cause de la nouvelle ambassadrice de la beauté de Guinée, versent des larmes de bonheur...
Mais il n’y a pas que de la liesse dans la place, d’autres poussent des cris de colère, des injures dans les langues locales. Sous la tente aménagée, sorte d’antichambre qui donne accès à un podium, l’atmosphère est même au deuil. Affalées sur des chaises, le maquillage du visage ravagé par la sueur, des candidates malheureuses à la couronne versent de chaudes larmes... de déception.
La musique qui s’échappe des baffles, pour langoureuse qu’elle soit, n’éteint pas les sanglots des jeunes filles, dans des tenues traditionnelles, inconsolables. Le gazon de l’hôtel, assailli par des produits de maquillages de toutes sortes, soutiens-gorge, peignes etc. est le réceptacle de la détresse des perdantes.
Des jeunes sortent bruyamment de l’hôtel, en jetant leurs banderoles à même les carreaux, pour exprimer leur mécontentement. Joie et colère cohabitent aisément. La cérémonie de désignation de Miss Conakry vient de prendre fin comme elle avait commencé cinq heures plus tôt ; dans la passion. Dans l’émotion !
Le "virus" de l’ambiance et de la joie
Flash back, l’événement qui draine tant de passion a commencé à briller de tous ses feux vers 21 heures. En fait, pour une soirée spéciale, c’en est une. Il s’agit de tenir un concours pour choisir une miss, en pleine campagne contre l’épidémie Ébola. Le dispositif mis en place rappelle que la bataille contre ce virus qui empêche le pays de dormir du sommeil du juste est bien réelle, comme le rappelle le chargé de la sécurité de l’hôtel, Ismaïla Bâ. Ce dernier ne peut pas se tenir sur place.
La raison, il est littéralement assailli par un concert de Klaxons de véhicules haut de gamme qui se bousculent à l’entrée de l’hôtel. Il faut non seulement présenter son carton d’invitation, mais aussi sacrifier aux exigences d’hygiène en passant au rituel... du javel. Des éléments de la Croix rouge sont bien visibles dans leur tenue, en rouge et blanc.
Des ambulances sont parquées dans une surface proche du jardin où est massé le public. "Tout est sécurisé. Le dispositif est bien en place. Et vous voyez vous-même que personne ne peut accéder sans être contrôlé. Si la personne a une fièvre trop élevée, on l’isole et on suit le protocole prévu. Nous sommes assez formés pour cela. Pour le moment, il n’y a aucun problème", explique énergiquement M. Bâ, patron d’Eden Sécurité.
"Ébola n’est pas une fatalité"
Mais au rythme où les populations ont pris d’assaut ces lieux, dès 21 heures, on sent bien que le temps n’est pas à la psychose mais bien à la fête. Joanna Barry, l’organisatrice de la cérémonie, qu’on prendrait bien pour une candidate au trône, tant elle dégage une prestance de miss, a le discours tranchant :
"Ébola n’est pas une fatalité. Vous voyez la joie qui se dégage ici. Nous parlons de beauté, d’art et de vie. Même si la Miss qui sera choisie aura aussi pour mission de délivrer des messages de sensibilisation pour combattre la maladie, nous ne voulons pas que tout soit aspiré par cela".
Chanteuse bien connue et bien adulé en Guinée, Mme Barry trouve "anormal" qu’on marginalise son pays, pour une maladie dont la présence a été exagérée. "Ébola est une maladie. Il est possible de stopper sa progression. Des gens en guérissent. Vous voyez ces jeunes-là (elle pointe le doigt sur une foule déchaînée qui scande le nom de sa préférée, candidate au trône). "C’est cela la Guinée. C’est la jeunesse, c’est l’énergie, c’est tout l’avenir...", indique-t-elle dans une tonalité énergique ; les poings fermés.
C’est vers 23 heures que le spectacle, tout en mouvements et couleurs, démarre réellement. Des centaines de téléphones portables sont braqués sur la scène pour capter, dans un concert de flash, le défilé des candidates-miss. Elles défilent sur le podium par groupes de cinq à six, chaque groupe représentant une partie de la Guinée : Forestière, Haute et Basse-Guinée. Des prestations qui ont eu l’effet immédiat de chauffer une foule dont le cœur suit le même contour que les régions naturelles de la Guinée.
Au moment où la fête prend fin, les rues de Conakry sont remplies de tout ce beau monde aux allures d’un public à la fin d’un match de football. Les véhicules pris dans des bouchons à cause de la foule qui leur dispute la chaussée, se fendent en Klaxons. Impossible de circuler.
Il n’y a pas beaucoup d’hommes de tenue, contrairement à l’ambiance qui prévalait à Conakry, il y a trois ans. Le Président Alpha Condé a dû mettre en œuvre un plan pour dégarnir les casernes et mettre l’ordre dans les troupes. Lesquelles étaient plus présentes dans les rues de la capitale que dans les camps.
Ainsi va Conakry le soir où les restaurants et boîtes de nuit fonctionnent à plein régime. On est bien loin de l’ambiance d’après 2010 où l’on prédisait à longueur de journée la chute imminente du rival de Cellou Dalein Diallo, le nouveau chef de l’opposition.
Le Président guinéen a réussi à s’entourer de fidèles, verrouillé sa sécurité personnelle et engager des réformes profondes. "Il y a des gens qui se promenaient avant avec 50 millions (ndlr, franc guinéen), maintenant ils se retrouvent avec 10 mille francs. Ils ne peuvent pas être contents", analyse un responsable de Société, en discussion avec un promoteur de spectacle dans un restaurant du quartier Kaloum au centre-ville de Conakry.
"L’homme propose, Dieu dispose, les évènements s’interposent. Certains avaient dit que le président français François Hollande ne viendrait jamais en Guinée, il est venu. Cellou est chef de l’opposition. Tout le monde pense que c’est nous qui le manipulons. Mais aujourd’hui, c’est lui qui tient tout le monde. Lui, c’est 45 ans d’opposition. Les gens le sous-estiment, c’est pourquoi il les surprend toujours".
Lui, c’est encore le président Alpha Condé, vu tantôt comme un démocrate, tantôt comme un stratège qui cherche à durer au pouvoir. Presque un bon joueur d’échec qui n’en donne pas l’air. Un autre, transitaire de son état prend la parole. Il estime aujourd’hui que l’argent ne circule pas assez à Conakry, parce qu’un lobby (ndlr, les commerçants) l’a décidé.
"Les hommes sont plus forts que l’Etat ici. Il y a combien d’Al Seyni Barry qui importent du riz et qui sont plus forts que l’Etat...S’ils décident qu’ils ne sortent pas leur argent, il n’y a pas d’argent. C’est tout", assène-t-il, sentencieux.
Tandis qu’un autre trouve bizarre qu’aucune forte personnalité n’ait réussi au sein du parti présidentiel, le RPG. Ce qui, selon lui, est la preuve qu’Alpha Condé est un président qui a un pouvoir "presque totalitaire"... A Conakry, on discute beaucoup, mais difficile de ne pas sentir les cloisons ethniques, même s’ils sont beaucoup moins étanches qu’en 2010.