VÉRITÉS D’ÉBOLA
Bien avant Ébola, chacun de nous a attrapé le virus de la peur. Vous et moi avons conforté le poète qui prédisait qu’il n’est aucune litanie de la peur qui puisse l’empêcher d’être cette petite mort qui conduit à l’oblitération totale. Si bien qu’Ébola a surgi quand on l’attendait le plus. Cette peur est hélas restée pour les thuriféraires du pouvoir une nouvelle vitrine dont les vérités justifient quelques fondements des pays en voie de… sous développement.
Nous avons moins succombé à la violence épidémiologique qu’à l’obscurantisme qui possède notre âme. Les mêmes qui plaignaient, hier, l’ignorance des populations de Macenta en Guinée se confondent aujourd’hui en turbulences spirituelles. Il n’y a en effet aucune différence entre ce Guinéen qui casse un véhicule d’humanitaire, l’accusant d’avoir créé une maladie et le Sénégalais qui croit avoir trouvé chez le marabout de fallacieuses prières pour chasser le virus Ébola ou l’envoyer chez le voisin.
Attention, nous n’osons guère remettre en cause la foi qui sauve, mais il reste évident que le marabout lui même n’est pas à l’abri de la fièvre hémorragique, quelle que soit le charme de l’illusion qu’il vend. Arthur Schopenhauer a dit un jour que les religions sont comme ces vers luisants : pour briller, il leur faut de l’obscurité. Sans être un mécréant, on voit bien que ce ne sont pas ces prières anti Ébola sur les réseaux sociaux et dans les lieux de cultes qui nous ont épargnés.
Les rites et les usages qui imposent des poignées de mains partout et des vénérations hypocrites qui font prendre la main d’autrui vers le front en signe d’allégeance spirituelle, cultivent les transmissions. L’expansion épidémiologique est encore plus redoutée devant les scènes de croyants qui se lavent les mains dans la même eau, se désaltèrent dans les mêmes récipients et se regroupent sur des nattes pour dire quelques prières sans éviter de sottes proximités physiques. En réalité, il y en a pour qui la foi a fini par être fatale plutôt que de sauver leur âme ignorante. A ce rythme, le virus Ébola a encore beaucoup à nous apprendre, y compris au guide religieux qui ne s’embarrasse pas de recommander des pratiques d’hygiène.
C’est devenu naturel de vivre les scènes cocasses d’usagers à l’éducation inachevée, qui lancent des crachats partout, par dessus les véhicules de transport en commun, les taxis, la mosquée, etc. Evidemment, la correction ne viendra pas non plus du dirigeant, les pratiques de culte étant sacrées, de quelque insanité dont elles remontent ; en plus du mépris politique. Pourtant, nous avons tous peur du virus. Jean Paul Sartre eut raison d’annoncer qu’il préfère ceux qui ont peur de la mort aux autres, car c’est la preuve qu’ils savent vivre.
En réalité, si nos dirigeants savaient vivre, il n’y aurait jamais eu de cas d’Ébola au Sénégal. La disparition du vecteur avait été signalée en vain. Si on fait abstraction de la mauvaise foi de ce Guinéen qui savait le risque qu’il faisait courir à son entourage, il restera l’incurie caractérisée des frontières. Bien malin qui pourrait évaluer le flux d’interpénétrations des citoyens entre pays limitrophes. Par route, sur mer ou dans les airs, les contrôles médicaux ont montré leurs limites. Cette porosité va passer du simple risque à la vulnérabilité officielle du fait des encouragements de l’OMS à ouvrir les frontières.
La Côte d’ivoire qui a concédé cette semaine des couloirs humanitaires pourrait ne plus avoir à condamner un seul Togolais pour avoir tué un rat aux fins de consommation. Il eût été nécessaire que les autorités s’investissent dans la couverture des structures de santé, jusque là sans grande protection, notamment dans l’arrière-pays.
L’accès aux soins de qualité était déjà objet de dérision avant le retour d’Ébola, non maîtrisé depuis 1976. Ce virus trahit le niveau d’attention réservée à la santé dans les républiques africaines managées par embuscade. La couverture maladie universelle du Sénégal est en l’espèce un paravent mais la santé est loin des attentes.
C’est à ce moment précis que Niamey s’est payé le luxe de s’acheter un avion présidentiel à plus de 20 milliards de FCFA. Dans un contexte où, en marge de la peur d’Ébola, 30 mille personnes sont prises au piège des pluies diluviennes et plus de 70% de la population vit sous le seuil de la pauvreté au Niger. La dernière enquête sur l’indice de développement classe le Niger dernier pays au monde, pas très loin du Mali où le président IBK s’était doté d’un appareil du même coût. Décrire les structures de santé comme des mouroirs dans ces deux pays est un euphémisme. L’Afrique de René Dumont reste donc si mal partie depuis tout ce demi siècle.