XÉNOPHOBE ? JAMAIS !
S'interroger sur "l'Autre", ce n'est pas entrer dans une logique de rejet. C'est s'interroger par rapport à soi-même. Un pays où on joue au foot depuis bientôt 100 ans n'a pas moins de valeur qu'un pays où on vote depuis plus de 100 ans

C'est un "inexpert" dont les avis sont lourds de pertinence. Jean Meïssa Diop sévissait dans les colonnes de Grand Place, dont il était Directeur de publication. Désormais sa chronique hebdomadaire sur les médias- surtout sur les pratiques journalistes- paraît dans L'EnQuête.
Le "cas d'école" posé lundi passé par le Comité pour l'observation des règles d'éthique et de déontologie dans les médias au Sénégal, interpellant la presse sportive sur la couverture de la Can-2015, a attiré sa perspicacité (édition du 8 mai). On a eu plaisir à le lire, on n'a pas été d'accord sur tout ce qu'il a avancé. Notamment sur la préférence affichée par la presse sénégalaise (ici entre autres) pour un sélectionneur national local par rapport à un étranger.
Non, ce n'est pas de la xénophobie, ainsi que le pense l'ami Jean. C'est juste qu'il arrive des moments où des peuples doivent avoir assez grandi pour savoir prendre leur destin en mains, sinon continuer à hypothéquer leur avenir en restant dans une dépendance infantilisante. Un moment où on doit finir par savoir "lier le bois au bois", si on veut signifier par soi-même dans l'histoire.
Que dirait l'ami Jean si le Conseil national de régulation de l'audiovisuel (Cnra), où il siège, avait pour président un "gourou blanc" (ici on dit "sorcier blanc) débarqué de Paris, Londres ou Berlin, à la place de Babacar Touré ? Impensable. Que saurait le bonhomme des valeurs culturelles, sociales, religieuses, etc., dont le Cnra se veut gardien du respect, pour préserver des agressions pouvant être sources de dérives ? Dérives dont on a pu mesurer les effets dramatiques ailleurs, dans des sociétés dont les équilibres peinent à être consolidés…
Ledit "gourou" aurait beau être au fait de tout ce qui est éthique, déontologie et autres repères pour "normer" une information responsable, des fondements lui échapperaient. De la même manière, le football a beau être une science dont l'Europe développe l'expression la plus aboutie, les techniciens sénégalais n'en maitrisent pas moins le Ba-ba, formés qu'ils ont été à la même "école des Blancs" que les Blancs (ou autres races) et participant eux aussi à la réflexion universelle qui se mène autour du ballon.
Ce n'est pas parce que c'est le sport qu'on entre dans un domaine spécial ou l'inacceptable ailleurs, devenu tellement routinier ici, relève en fin de compte d'une banalité. Que n'a-t-on dit quand Me Wade avait bombardé feu Christian Salvy à la tête de la société nationale qu'est Dakar Dem Dik – avec le résultat qu'on connaît ?
Xénophobie, non…
Pape Diouf, président de Marseille était une "anomalie sympathique" ; on pense juste, ici, qu'un entraineur étranger est un anachronisme. Ni racisme ni xénophobie, mais conscience d'une évolution qui doit s'affirmer sans complexe. Il s'agit de favoriser l'expertise locale dans tout, quand ses connaissances et ses capacités sont de nature à relever les défis et à assumer les responsabilités qui interpellent.
Feu Bruno Metsu offre un cas exceptionnel qui semble toujours sonner comme la carillon de midi, avec une finale de Can en 2002. Mais ce n'est point une vérité absolue. La preuve, deux ans après, avec le même groupe, Guy Stephan s'est arrêté en quart de finale de la Can-2004 avant de se faire limoger en 2005 pour avoir raté les qualifications au Mondial-2006. Et cette même année 2006, des sélectionneurs sénégalais sont allés en demi-finale de la Can, avec presque le même groupe. Et on sait que passer de ce stade des demies à une finale tient souvent à peu de choses…
Xénophobie, non…
S'interroger sur "l'Autre", en matière de sélectionneur national, ce n'est pas entrer dans une logique de négation ou de rejet. C'est s'interroger par rapport à soi-même. Un pays où on joue au foot depuis bientôt cent ans n'a pas moins de valeur qu'un pays où vote depuis plus de cent ans. Autant on connaît le chemin des urnes et les privilèges de l'isoloir, autant on maitrise les subtilités de la technique et de la tactique, ainsi que de la préparation psychologique.
Tu sais, Jean, enrôler technicien étranger est souvent une solution de facilité, voire un complexe. Un couvercle qu'on soulève quand la colère populaire bout et qu'on pense que le mystère de la "vérité" venue d'au-delà des Pyrénées va éblouir et divertir, nourrir les rêves qui apaisent.
Dans sa quête de l'absolu (une victoire en Can), le football sénégalais n'a jamais eu raison avec un sélectionneur étranger pas plus qu'avec un sélectionneur local. Mais se tromper de son propre fait vaut mieux que se faire abuser par un autre. Là au moins, on capitalise pour soi et par soi-même. En cela, le nationalisme part d'un élan respectable et responsable.
Tidiane KASSE
Ps : Jean reproche aussi à la presse sportive l'usage de certaines tournures. Il a raison. Les fautes sont souvent énormes, les "mal dits" ahurissants, les contresens monstrueux. Mais qu'il nous laisse au moins "vendanger des occasions". Au deuxième sens du mot, quand on verse dans l'argot sportif, ça se dit bien…
Mais on a vu Jean Meïssa Diop dans un maillot (de Wal fadjri) courir derrière un ballon de foot. Ce n'était vraiment pas le bonhomme qui montait sur les podiums pour prendre les prix littéraires au lycée.