SI CHEIKH ANTA DIOP M'ÉTAIT CONTÉ
EXCLUSIF SENPLUS - Son cursus scolaire - Son cursus académique et ses recherches scientifiques - Son militantisme politique en France - Ses idées et ses activités politiques au Sénégal et en Afrique
Cheikh Anta Diop a vu le jour le 29 décembre 1923 à Céytu, village situé aux environs de Bambey, dans la région de Diourbel, à 150 km de Dakar. Aujourd’hui lieu de pèlerinage de ses très nombreux disciples et admirateurs venus de tous les coins du Sénégal, de l’Afrique et du monde entier, ce no man’s land est devenu une localité célèbre au-delà des frontières du pays.
Son cursus scolaire
Envoyé à l’école coranique à Koki, il est par la suite inscrit assez tardivement à l’école française, alors appelée ’Ecole Régionale de Diourbel’. Titulaire du Certificat d’Etudes Primaires, il entre en 1937 au Lycée Van Vollenhoven à Dakar. Il en sortira en 1945, muni de ses baccalauréats en mathématiques et en philosophie, obtenus la même année. Auparavant, il aura produit en classe de 3e ce que l’on pourrait considérer comme sa première œuvre scientifique : un alphabet des langues africaines à partir de caractères originaux, de sa propre invention. Une vocation et une préoccupation très précoces pour la transcription et le développement des langues africaines.
Son cursus académique et ses recherches scientifiques
En 1946 Cheikh Anta Diop embarque pour la France où il va poursuivre ses études supérieures. Inscrit à la Sorbonne, il obtient sa licence de philosophie en 1948, avant de décrocher deux ans plus tard deux certificats : en chimie générale et en chimie appliquée. Il entreprend sur cette lancée une spécialisation en chimie nucléaire et physique nucléaire au Laboratoire Curie dirigé par le célèbre savant Fréderic Joliot-Curie.
Durant ces années 50-60, Cheikh Anta Diop enseigne la chimie et la physique dans deux grands lycées de Paris.
Parallèlement, il poursuit des recherches en linguistique, en histoire, en égyptologie qui seront couronnées, en 1954, par la publication de « Nations nègres et culture – De l’antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique d’aujourd’hui ». Ce premier ouvrage majeur sera édité par Les « Editions Présence Africaine », de même que, pratiquement toute sa production scientifique ultérieure.
« Nations nègres et culture » qui demeure l’œuvre fondamentale de Cheikh Anta Diop, fera l’effet d’une bombe à Paris en cette période coloniale marquée par un racisme outrancier. Aimé Césaire qui cherchera des partisans pour la promotion du livre, verra le vide se créer autour de lui ; il donne néanmoins sa sentence : « (c’est le livre) le plus audacieux qu’un Nègre ait jusqu’ici écrit et qui comptera à n’en pas douter dans le réveil de l’Afrique ».
Cette œuvre capitale qui fonde les humanités africaines sur des bases scientifiques, ouvre les perspectives des grandes thèses que Cheikh Anta Diop ne cessera d’élargir et d’approfondir :
- l’origine africaine de l’humanité,
- la race noire des populations de l’Egypte antique,
- la parenté entre l’Egypte antique et l’Afrique noire moderne,
- les développements importants de l’évolution des sociétés, africaines (genèse, caractéristiques, apogée, déclin…),
- l’apport de l’Afrique à la civilisation universelle,
- le développement économique, technique, industriel, scientifique, institutionnel et culturel de l’Afrique,
- l’édification d’une civilisation planétaire (« pour bâtir la civilisation planétaire au lieu de sombrer dans la barbarie », écrira t-il dans « Civilisation ou barbarie », Présence Africaine, 1981, autre œuvre majeure de l’illustre savant).
Ces grandes idées seront le centre d’intérêt quasi-exclusif de toute l’œuvre scientifique de Cheikh Anta Diop, remarquablement féconde, de « Nations nègres et culture… » à son œuvre posthume, « Nouvelles recherches sur l’Egyptien ancien et les langues négro-africaines modernes » (Présence Africaine).
Entre temps, Cheikh Anta Diop, après s’être marié (en 1953) avec Louise Marie Maes (avec qui il aura trois enfants), une universitaire diplômée d’Etudes supérieures de géographie, militante rencontrée dans les actions de soutien aux Mouvements de Libération en Afrique, rentrera au Sénégal, en 1960, auréolé de son doctorat d’Etat es-Lettres, soutenu à la Sorbonne.
Son militantisme politique en France
En même temps que ses activités académiques et universitaires, Cheikh Anta Diop, en militant anticolonialiste, s’est engagé dans la lutte politique : pour la libération de l’Afrique, pour l’avènement de la Démocratie et l’Unité africaine, et pour la cause du progrès de l’Humanité.
C’est ainsi qu’il se trouva constamment en première ligne sur le front du soutien aux Mouvements de Libération dans le monde (Viêt-Nam, Algérie, Afrique dite ‘francophone’, Afrique dite ‘lusophone’, Afrique dite ‘anglophone’…, luttant notamment contre ‘la sud-américanisation’ (ou la ‘balkanisation’ aggravée par une déstabilisation permanente de coups d’Etat téléguidés de l’Extérieur) de l’Afrique, et pour un Etat fédéral africain.
Cette action politique pour l’unité et le développement de l’Afrique sera théorisée dans son mémorable ouvrage, « Les fondements économiques et culturels d’un Etat fédéral d’Afrique noire » (Présence Africaine, 1960), premier plan de développement économique et social, conçu sur des bases scientifiques, pour tout le sous-continent africain sub-saharien.
En vacances au Sénégal, en juillet-août 1950, préoccupé par les changements climatiques avec la sècheresse qui pointe le bout du nez dans en Afrique de l’Ouest, il mène campagne autour d’un « Projet de reboisement », mettant la pression sur les autorités coloniales de l’époque avec la complicité de notabilités maraboutiques et traditionnelles résidant dans différentes régions du pays et acquises à sa cause (Cheikh Mbacké, El Hadj Ibrahima Niasse, Bouna Ndiaye, Massourang Sourang, El Hadj Ibrahima Diop…).
Un autre combat mené par Cheikh Anta Diop dans cette séquence parisienne fut consacré à la revalorisation et au développement des langues africaines dont il a démontré par ailleurs la parenté interne d’une part, et la parenté avec l’égyptien ancien, d’autre part.
Soutenu par un groupe de partisans résidant à Grenoble et connu historiquement sous l’appellation de Groupe de Grenoble, Cheikh Anta Diop, conçut un alphabet des langues africaines à partir des lettres latines. Diffusé dans un opuscule intitulé « Ijjib wolof », cet alphabet constituera plus tard la matrice de l’alphabet wolof officiellement adopté pour la transcription des langues nationales, en juillet 1968, sous le règne de Senghor. Le Groupe de Grenoble était constitué, entres autres, de personnalités telles que : Saliou Kandji, Assane Sylla, Massamba Sarre, Abdoulaye Wade et Cheik Aliou Ndao, le benjamin du groupe.
Cheikh Anta Diop est allé plus loin dans son engagement politique en Métropole, en s’engageant dans les rangs du grand parti anticolonialiste, le Rassemblement Démocratique Africain (RDA), alors dirigé par Houphouët Boigny, futur premier président de la République de Côte d’Ivoire. Cheikh Anta Diop en dirigera la section des Etudiants, l’Association des Etudiants du RDA (l’AERDA), dont il sera le secrétaire général de 1951 à 1953. Lorsque plus tard, le dirigeant du parti fera volte-face, créant ainsi une crise au sein de la direction du RDA, Cheikh Anta optera pour le camp des « résistants », animé par le militant anti-impérialiste, le camerounais Um-Nyobé qui sera plus tard assassiné pendant la lutte armée dans le maquis contre l’occupation française.
Dans le tumulte de la lutte, Cheikh Anta Diop, en même temps que ses amis et partisans, dut faire face à deux fronts : d’un côté il menait le combat politique soutenu contre les forces impérialistes, une droite colonialiste et raciste ; d’un autre côté, il était contraint de répondre, au plan idéologique, aux attaques, voire aux quolibets de ses compatriotes militants de la Gauche, essentiellement marxistes (alors dirigés par Majmouth Diop) ; aussi extraordinaire que cela pût paraître, ces derniers nourrissaient une certaine condescendance envers cet éminent savant, intellectuel d’une intégrité sans reproche, patriote farouche, militant pour la cause de son peuple.
Par-dessus tout, le combat qui importait le plus aux yeux de Cheikh Anta DIOP était la lutte pour l’indépendance de son pays et des autres pays africains. C’est ainsi que, dès 1952, dans un article intitulé ‘Vers une idéologie politique africaine’ paru dans « La Voix de l’Afrique Noire », mensuel de l’AERDA, il posa pour la première fois en Afrique dite ‘francophone’, les principes de l’indépendance nationale et de la construction d’une fédération des Etats africains. En 1956, comme en 1959, il participera à Paris et à Rome respectivement au Premier et au Deuxième Congrès des Ecrivains et Artistes noirs.
Ses idées et ses activités politiques au Sénégal et en Afrique
Une fois sur le sol africain et singulièrement son pays natal, le Sénégal, Cheikh Anta Diop fidèle à ses idées, ne pouvait manquer de continuer la lutte pour une indépendance véritable qu’il avait débutée en Métropole, même si des indépendances formelles sont octroyées par l’ancienne puissance coloniale un peu partout sur le continent. Et, surtout, il lui fallait conséquemment chercher à mettre en pratique les idées qu’il n’avait eu de cesse de développer sur le devenir de l’Afrique.
De plus, certains facteurs socio-politiques auxquels il était particulièrement sensible allaient renforcer cet engagement pour la libération de son pays et, au-delà, de son continent :
- la situation économique et politique du Sénégal, sous-développé, dépendant de l’Extérieur et assujetti au régime du parti-Etat ;
- la pauvreté des masses paysannes, la sécheresse qui commençait à sévir dans le Sahel ;
- l’ostracisme senghorien envers sa propre personne car Cheikh Anta Diop dérangeait véritablement le président-poète, omnipotent au sommet de l’Etat et très sourcilleux pour tout ce qui pouvait porter ombrage à son image, singulièrement au plan international.
Confiné au plan professionnel dans le cadre de l’IFAN, trop exigu pour lui permettre de déployer tout son immense talent au service de la jeune génération, Cheikh Anta Diop, bénéficiant du simple statut d’Assistant que lui imposait le système académique français, avec la complicité du régime en place, loin de désarmer, entreprit entre 1961 et 1963 la conception et la construction d’un laboratoire de datation au Carbone 14 (ou radiocarbone) ; le second de l’Afrique sub-saharienne, après celui de l’Afrique du Sud. Il dirigera le laboratoire jusqu’à sa disparition, le 7 février 1986.
Cependant, aussi absorbantes que fussent ses activités professionnelles, Cheikh Anta Diop se fit le devoir constant, de son vivant, de faire face à ce qu’il considérait comme ses obligations politiques.
C’est ainsi qu’aussitôt rentré au pays, il initia aussi bien à Dakar qu’à travers les régions de l’intérieur, des séries de conférences aux thèmes divers et variés : la désertification du Sahel, les langues nationales, l’indépendance nationale, l’Unité culturelle de l’Afrique et les Etats-Unis d’Afrique…
En 1961 il crée avec ses partisans son premier parti politique au Sénégal, le Bloc des Masses Sénégalaises (BMS) dont il est le secrétaire général, parti d’opposition face au régime en place dirigé alors par le président Senghor et le premier ministre Mamadou Dia. Parmi ses tous premiers compagnons, hommes et femmes, on peut citer, pêle-mêle, Massamba Bassel, Amadou Ongué Ndiaye, Tamsir Mbengue, Me Abdoulaye Wade, Me Fadilou Diop, Diop Fass, professeur Ely Manel Fall, Cheikh Déthialaw Dieng, Mère Fat Guèye Bafa de la Médina…
La lutte conséquente qu’il mena finit par créer un rapport de forces tel que le président Senghor dut lui proposer de saborder son parti, de le rallier, en contrepartie de postes ministériels, de mandats de députés et autres strapontins dans la haute administration, pour lui et ses amis. Il refusa l’offre pour continuer son combat dont le programme nationaliste et démocratique était aux antipodes de celui du régime en place. En conséquence de quoi, le BMS fut dissout en octobre 1963 par les soins de Senghor qui réussit à appâter certains des compagnons de Cheikh.
Cheikh Anta Diop et ses partisans créèrent aussitôt, sur les mêmes bases idéologiques et programmatiques, le Front National Sénégalais (FNS) qui fera long feu car étant dissout à son tour, l’année suivante, après les mêmes propositions d’un côté, et le même refus de l’autre. Même si, là encore, certains de ses amis se laissèrent ferrer par les offres mirobolantes de la partie adverse.
La constance dans ses positions politiques et son activisme grandissant et contagieux auprès des populations, notamment de l’intérieur, lui valurent à l’occasion d’un incident entre un de ses partisans et un représentant de l’Administration, d’être arrêté et détenu à la prison de Diourbel pendant un mois (juillet-août 1962). Il faillit y laisser la vie à la suite de conditions de détention affreuses, avant sa libération, suite à sa relaxe et un non-lieu prononcé par le Tribunal régional.
Au lendemain de la crise intervenue au sommet de l’Etat, en décembre 1962, ayant abouti à l’arrestation et à l’embastillement de Mamadou Dia, les nombreuses et pressantes sollicitations de Senghor pour rallier Cheikh Anta Diop à son camp se heurtèrent au même refus tranquille. Cheikh décida, du reste, de ne plus participer officiellement au jeu politique, tant que Mamadou Dia et ses partisans resteraient en prison.
Mamadou Dia et ses amis ne seront libérés qu’en 1974, douze longues années après leur arrestation. Pendant ce temps, Cheikh Anta Diop aura tenu parole : délaissant l’action politique, il s’était concentré davantage sur ses activités de recherches scientifiques. Publiant des livres et des articles scientifiques (l’essentiel de ses publications fut édité durant cette période), animant des conférences et des colloques à travers l’Afrique (Alger, Addis-Abeba, Lubumbashi, Le Caire, Cotonou…) et à l’international.
En réalité ces activités scientifiques n’étaient jamais dissociées de ses convictions politiques car celles-ci et celles-là se nourrissaient mutuellement, sans jamais se confondre.
C’est du reste, pendant cette période, en 1974 exactement, qu’il finit par faire accepter de manière décisive à la communauté scientifique internationale la véracité et la justesse de ses thèses scientifiques, au terme de l’historique Colloque du Caire, organisé sur sa demande par l’UNESCO. C’était la condition posée par Cheikh Anta Diop, pour participer à la rédaction de l’Histoire Générale de l’Afrique entreprise par l’organisation mondiale de l’Education, de la Science et de la Culture.
Auparavant, en 1966, Cheikh Anta Diop aura été consacré, lors du Premier Mondial Festival des Arts Nègres, tenu à Dakar, avec William Edward Burghardt Du Bois, comme étant « L’écrivain qui a exercé la plus grande influence sur la pensée nègre du XXe siècle ».
Suite à la libération de leur mentor, les « Amis de Mamadou Dia » se rapprochèrent de Cheikh Anta et de ses partisans. Libéré de son serment, ce dernier, aidé en cela par une fraction dissidente du PAI (dirigé par Maitre Babacar Niang, Dr Moustapha Diallo et autres Tidiane Baïdy Ly et Seyni Niang), décida de rassembler l’Opposition nationale et démocratique dans un vaste cadre pour combattre le régime arrimé aux intérêts français. Ce processus allait aboutir, le 3 février 1976, à la naissance du Rassemblement National Démocratique (RND), doté d’un Manifeste et d’un Programme inédit, mettant le doigt sur la domination économique, politique et culturelle française sur l’ensemble de la société sénégalaise.
Ce rassemblement politique sans précèdent dans l’histoire politique du Sénégal regroupa en son sein l’essentiel des partis et mouvements de l’Opposition, dont une bonne frange des organisations clandestines, essentiellement marxistes-léninistes se réclamant de la Pensée de Mao-Tse Toung (comme par exemple le Mouvement Populaire Marxiste-Léniniste Sénégalais - MPMLS – dont une aile décida l’intégration au terme de près de deux années de discussions et de controverses).
Ces organisations clandestines firent adhérer de nombreux cercles d’études idéologiques et autres clubs culturels à travers le pays, mais surtout des quartiers populaires de Dakar. Une autre caractéristique du RND était de compter en son sein la quasi-totalité des intellectuels et universitaires qui ne se reconnaissaient pas dans la politique du Pouvoir d’alors (on ne peut manquer de citer, entre autres, le professeur de philosophie Abdoulaye Kane, le professeur de droit constitutionnel Kader Boye, le professeur de Lettres Madior Diouf…). Sans compter une masse critique d’étudiants et de jeunes issus de divers horizons (le Mouvement des Jeunes du RND fut dirigé successivement par Dialo Diop, Mahmoud Kane, issus du mouvement maoïste, et Séckou Sambou, un pur produit du parti de Cheikh Anta ; alors que par ailleurs le mouvement des Femmes du RND avait pour leader Madame Aminata Sarr, enseignante à Kaolack).
Tous ces jeunes seront d’ailleurs régulièrement organisés et envoyés, pendant les vacances scolaires et académiques, en campagne pour y séjourner et apprendre à l’école de la vie paysanne. Le RND sera, du reste, le premier parti au Sénégal à inspirer et encadrer la création, en 1978, d’un syndicat paysan, le Syndicat des Cultivateurs, Eleveurs et Maraichers du Sénégal.
Alors qu’à la faveur de « l‘Ouverture Démocratique » de 1974, le régime de création de parti politique était libre, le président Senghor introduisit la loi dite des « Trois courants », promulguée le 19 mars 1976 (devenue par la suite des « Quatre courants ») et appliquée rétroactivement pour barrer mesquinement la route au RND, empêchant ainsi sa reconnaissance officielle. Les dirigeants du nouveau parti refusèrent le diktat, et ce fut le début d’une longue lutte, une lutte épique pour une reconnaissance officielle consacrant l’existence de fait du RND.
Le Journal SIGGI (« Se redresser !»), puis TAXAW (« Debout ! »), joua un rôle notable dans cette lutte pour la Démocratie. Avec des moments inoubliables, comme lorsque Senghor voulut imposer l’orthographe « SIGI » à la place de « SIGGI », méconnaissant la règle de la gémination, contre la position unanime des spécialistes des questions linguistiques. Evitant le double piège culturel (sabordage des langues nationales) et politique (répression de son parti), Cheikh Anta fit adopter la mutation dans la dénomination du journal, alors à l’apogée de sa popularité.
Cette séquence de lutte pour la reconnaissance du parti et pour la Démocratie connaitra son épilogue avec le départ volontaire du pouvoir du président Senghor et l’avènement, en 1981, de Abdou Diouf à la magistrature suprême de l’Etat ; un des tous premiers actes de ce dernier fut en effet « l’ouverture démocratique intégrale », avec la reconnaissance officielle de tout parti qui en ferait la demande.
Le RND fut ainsi officialisé et participa pour la première et unique fois à des élections : les Législatives de 1983. Comme toutes les précédentes joutes électorales, celles-ci furent caractérisées par la fraude et la triche, et le parti de Cheikh Anta Diop se retrouva avec… un siège à l’Assemblée Nationale. Entre temps, la crise qui sévissait dans les rangs du parti prit de l’ampleur et éclata avec la dissidence d’une bonne partie du groupe dirigé par Me Babacar Niang, suivi d’une des franges de l’aile maoïste ; tandis-que l’essentiel des bases du RND restait fidèle à son leader. Cheikh Anta ayant boudé l’unique siège « attribué » au RND, le nouveau parti créé par l’aile dissidente se l’attribua en toute illégalité avec la complaisance du Pouvoir en place.
Un fait notable qui s’est produit durant la campagne électorale de ces Législatives de 1983 ne ne saurait être occulté : un an seulement après le déclenchement de la rébellion casamançaise, Cheikh Anta a été vraisemblablement l’unique leader politique à s’aventurer en zones particulièrement dangereuses pour y tenir meetings et visites de proximité : à Ziguinchor, dans les départements de Bignona et d’Oussouye, dans le Balantacounda, à Goudomp, à Mpac, à Bourofoye Diola et Bourofoye Baïnounk… cette dernière localité, alors autrement périlleuse et qui vient récemment de se distinguer de triste manière, avec la tuerie barbare de la forêt de Boffa Bayotte. De façon tout à fait naturelle, Cheikh Anta Diop a condamné sans ambages, de la façon la plus nette la rébellion armée, rappelant que nos micro-Etats africains étaient déjà bien exigus et limités pour porter adéquatement les desseins de nos peuples. Tout en explicitant à l’occasion tous les bienfaits et avantages qui pouvaient être tirés des différentes essences qui peuplent les forêts du sud du pays.
Un autre fait notable qui mériterait d’être relevé durant cette campagne électorale casamançaise : ses compagnons de route étaient très fortement impressionnés par les récriminations récurrentes et très appuyées de Cheikh Anta chaque fois qu’il constatait les feux de brousse ou les agressions faites aux forêts traversées, ne cessant de se désoler, avec beaucoup de peine, de ce ‘déboisement’ ou de ‘cette déforestation sauvage’ de ce qui était verdure luxuriante dans une époque guère lointaine.
Enfin, une anecdote remarquable : lorsqu’arrivés à Mlomp (village du jeune Séckou Sambou, dans le département d’Oussouye), les membres de la caravane remarquèrent tous avec étonnement des arabesques représentés sur les murs des cases bâties et faisant penser aux hiéroglyphes de l’Egypte ancienne ; l’égyptologue, rattrapant le politique, s’attarda longuement pour s’interroger sur le phénomène, cherchant quelque explication au risque de chambouler le programme préétabli, à la grande désolation des autres membres de la délégation.
Le RND ne se relèvera jamais tout à fait de la crise ci-dessus évoquée jusqu’à la disparition de son fondateur suite à un malaise cardiaque, le troisième de sa vie qui lui fut fatal.
Cependant, Cheikh Anta Diop n’avait jamais délaissé le champ scientifique, continuant de mener ses combats de toujours sur deux fronts. Aussi, on est bien averti de relever quelques autres dates et évènements qui ont compté dans sa marche pour chercher et trouver la vérité historique, fondée sur des bases scientifiques :
- 1980 : l’Université nationale du Zaïre lui décerne la Médaille d’Or de la recherche scientifique africaine ;
- 1981 : il est enfin reconnu, vingt et un ans après son doctorat d’Etat, professeur associé à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines par le régime du président Diouf.
- 1982 : animation mémorable de l’historique Symposium de Dakar sur l’ensemble de son œuvre, organisé par les Editions Sankoré de son ami le sociologue Pathé Diagne ;
- 1983 : conférences publiques à la Guadeloupe ;
- 1984 : animation de la fameuse conférence en wolof sur les langues nationales à Thiès, intitulée : « Làmmiñi réew mi ak gëstu » (Langues nationales et recherches scientifiques) ;
- 1984 : série de conférences à Niamey, sur invitation du gouvernement nigérien ;
- 1985 : série de conférences à Atlanta (aux Etats Unis d’Amérique), sur invitation du maire Andrew Young ; à l’occasion, le 4 avril est proclamé « Cheikh Anta Diop Day » ;
- D’autres conférences suivront à Paris, Yaoundé, etc.
La vie de Cheikh Anta Diop fut, de bout en bout, une vie de réflexion et de luttes, une vie au service de l’Afrique, de la Science et du Progrès de l’Humanité.