AU BORD DE LA FAILLITE
Le rideau menace de tomber sur l’Ecole des sables de Germaine Acogny, l'école de danse qu'elle a fondé en 1998 à Toubab Dialaw
Après vingt ans d’existence, l’école de danse créée par la chorégraphe franco-sénégalaise risque de fermer à la fin de l’année faute de financements.
Tout de blanc vêtue, pieds nus et crâne rasé, Germaine Acogny danse. Dans un silence juste entrecoupé des sonorités d’une kora, la danseuse et chorégraphe franco-sénégalaise de 74 ans émerveille son public comme au premier jour. Dans le jardin de la résidence de l’ambassadeur des Pays-Bas au Sénégal, elle évolue sur scène, magistrale.
Si l’artiste explique danser par pur plaisir, la nécessité aussi lui a donné rendez-vous en cette toute fin novembre. Ce gala de charité a été monté en soutien à l’Ecole des sables, en difficulté financière. Sans une rentrée substantielle d’argent, le centre de formation et de création en danses traditionnelles et contemporaines d’Afrique devra mettre la clé sous la porte.
Une institution ouverte depuis 1998
La prestigieuse institution de Toubab Dialo, un village situé au sud de Dakar, offre depuis 1998 des formations gratuites aux étudiants du continent, une fois acquittés les 270 000 francs CFA (411 euros) de pension dans l’école où ils séjournent. Au total, « entre 600 et 700 danseurs africains, essentiellement subsahariens, ont été formés chez nous », explique Patrick Acogny, son directeur artistique. A l’Ecole des sables, le programme faisait aussi une place belle aux cultures locales avec des enseignements comme la technique Acogny, technique de danse africaine créée par la chorégraphe, ou encore les cours de danses traditionnelles d’Afrique.
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Sous forme de stages intensifs de trois mois, l’établissement prépare depuis vingt ans ses étudiants avec des professeurs de renom. « L’admission y est difficile et, une fois à l’intérieur, c’est l’armée, confie Jeanne-d’Arc Niando, qui a accompli son rêve en intégrant la première année ce printemps. Je suis devenue quelqu’un d’autre dans ma danse. Et l’école est connue à l’international, un atout dans mon CV. » Il faut dire que l’académie ouvre ses portes aux danseurs du monde entier. Chaque année a même lieu un stage des cinq continents, où étudiants internationaux et africains partagent leurs techniques et mêlent leur expérience.
« Arrêter tout ça ?, ce serait dommage !, regrette Theo Peters, l’ambassadeur néerlandais à l’initiative de la soirée de gala. Germaine et son école sont de grandes qualités pour l’art sénégalais. Ses mouvements de danse se basent sur la créativité africaine même. »
Un budget annuel de 200 000 euros
Créé sous le statut d’association, l’établissement tient depuis vingt ans en grande partie grâce aux subventions étrangères. Or, depuis 2017, la fondation hollandaise Doen, principale partenaire de l’école, ne peut plus suivre. Son retrait a créé un manque à gagner pour les 200 000 euros nécessaires au fonctionnement annuel.
Depuis lors, l’avenir de l’établissement est devenu incertain, même si ses soutiens ne désarment pas. Réunis autour de l’Association des amis de l’Ecole des sables, ils ont pour l’heure trouvé suffisamment de dons pour permettre aux étudiants africains de continuer à danser. Pour boucler l’année, l’institut peut même compter sur la générosité de ses amis, puisque leur participation de 30 euros à la soirée de charité sera reversée à l’institution.
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Ici et là, des marques de générosité individuelles s’additionnent aussi. Claire Lamarque, artiste peintre dont le travail a été inspiré par les pas de Germaine Acogny, a décidé de mettre en vente une partie de ses tableaux au profit de l’académie de danse. Pour elle, comme pour beaucoup d’autres, le mot d’ordre est de garder le lieu ouvert. « Sauver l’école, c’est sauver la jeunesse africaine et leur donner l’espoir de vivre dignement dans leur pays », estime Germaine Acogny.
« Vivre… et faire danser »
Helmut Vogt, le cofondateur, aimerait y croire encore. Mais lui craint tout bonnement de devoir mettre la clé sous la porte à la fin de cette année, si les fonds ne sont pas trouvés avant. Les 10 millions de francs CFA (15 000 euros) récemment offerts par le ministère de la culture du Sénégal n’y suffiront pas. La contribution est trop faible. « C’est dur pour nous d’accepter, mais on peut comprendre ce geste parce que le budget du ministère est faible. En fait, c’est la culture qui n’a pas vraiment de place en Afrique » déplore M. Vogt.
Pour Patrick Acogny, le drame de l’Ecole des sables réside dans un changement de modèle. « Nous sommes à la fin d’une époque où la culture était subventionnée. Le nouveau système, lui, reste encore à créer. Cela ne sera pas à l’avantage des Africains qui ont moins les moyens. Prenez l’exemple de ce qui se passe en France où l’université va augmenter considérablement les frais d’inscription pour les étudiants non européens. Là encore, on sera les premiers à en pâtir », regrette-t-il.
Face à cet avenir en demi-teinte, Germaine Acogny ne désarme pourtant pas. « La retraite, c’est comme une voiture qu’on gare. Elle se rouille. Et je n’ai pas envie de cela. Ce que je veux, c’est vivre… et faire danser », rit-elle aux éclats.
Salma Niasse Ba (Dakar)