DJIBRIL DIOP MAMBÉTY, LE CINÉMA COMME IL L'ENTEND
À plusieurs reprises, par complicité avec son enfance, il affirmera qu’il n’a eu de cesse, toute sa vie et d’un film à l’autre, de vouloir refaire Le Train sifflera trois fois (High Noon, 1952, Fred Zinnemann), qu’il avait vu quand il était jeune
1945. Dakar. Il y a encore, à l’époque, des cinémas dans la capitale sénégalaise. Dans le quartier populaire de Colobane, où grandit Djibril Diop Mambety, il y a le cinéma ABC. On y projette, dans une petite cour intérieure séparée de la rue par des palissades de tôle, des films français, des films du cinéma novo brésilien et surtout des westerns américains. À plusieurs reprises, par complicité avec son enfance sans doute, il affirmera qu’il n’a eu de cesse, toute sa vie et d’un film à l’autre, de vouloir refaire Le Train sifflera trois fois (High Noon, 1952, Fred Zinnemann), qu’il avait vu quand il était jeune.
Après le lycée, Djibril Diop Mambety étudie la comédie et la mise en scène au théâtre Daniel Sorano (inauguré quelques années plus tôt par Léopold Sédar Senghor) dont il est exclu en 1969 pour indiscipline.
Il tourne son premier film, Badou boy – d’abord en noir et blanc, puis en couleur – l’année suivante, puis Contras’ city (1969), Dakar, ville de contrastes, "trébuchant sur elle-même", "ignorant son propre cri", dont il a fait non seulement le décor exclusif mais également un des personnages principaux de ses films.
Quelques années plus tard, en 1973, sort son premier long métrage, Touki bouki (en français, Le voyage de la Hyène) qui deviendra, bien plus tard et surtout après la mort de son auteur, un des objets les plus cités et commentés du cinéma africain et du cinéma indépendant plus généralement. Incantatoire et trivial, Touki Bouki est un film multiple, poétique et cruel, vivant et libre, visuel et sonore, radicalement en rupture avec les formes narratives de son époque. Plus que jamais actuel, il raconte avec insolence le désir d’un jeune couple pour une Europe à la fois réelle et fantasmée dans le contexte d’une société sénégalaise elle-même partagée, les limites de l’indépendance, les inégalités sociales et les ambivalences des traditions et de la modernité.