EL HADJI OMAR TALL, L'INTELLECTUEL PAR-DELÀ LE SABRE
Le récit de vie de ce saint, au-delà de celui charpenté par une certaine historiographie, donne à admirer une œuvre intellectuelle d’une dimension exceptionnelle que la France garde encore jalousement dans sa bibliothèque nationale depuis 1890
L’image d’El Hadji Oumar Foutiyou Tall renvoie, dans l’imagerie populaire, très souvent, au combattant armé de sa foi et de son courage aiguillé par un sacerdoce : propager l’Islam. Mais, le récit de vie de ce saint, au-delà de celui charpenté par une certaine historiographie, donne à admirer une œuvre intellectuelle d’une dimension exceptionnelle que la France garde encore jalousement dans sa bibliothèque nationale depuis 1890. Au du moins une partie considérable.
Lignes d’éloges
« Il était d’une beauté remarquable. Ses yeux étaient expressifs, sa peau dorée, ses traits réguliers, sa barbe était noire, longue, soyeuse, partagée au menton. Il n’avait ni mouche, ni moustache. Ses mains et ses pieds étaient parfaits. Il ne parut jamais avoir plus de trente ans. Personne ne l’a jamais vu se moucher, cracher, suer, avoir chaud, ni froid. Il pouvait rester indéfiniment sans manger ni boire. Il ne parut jamais fatigué de marcher, d’être monté à cheval ou immobile sur une natte », Paul Soleillet, explorateur français.
L’écrivain français André Malraux disait que « la mort tue l’homme mais l’œuvre triomphe de la mort ». El Hadji Oumar Foutiyou Tall fait partie de ces hommes dont l’œuvre a triomphé de la mort, a défié les âges. Elle ne s’est jamais anéantie dans l’oubli même si son célèbre sabre, ou ce qui est présenté comme tel, a davantage colonisé les consciences. La famille omarienne s’est toujours employée à faire connaître l’immense œuvre littéraire du Cheikh. Sa bibliothèque de Ségou, riche de 517 ouvrages et manuscrits dont certains qu’il a écrits, témoigne de l’homme d’érudition et de culture qu’il a été malgré les récits de guerre qui éclipsent quelquefois l’intellectuel. Son œuvre porte sur divers sujets, notamment la théologie, le droit, la propagande religieuse, le mysticisme, etc.
Dans son « Essai sur la contribution du Sénégal à la littérature d’expression arabe », le Pr Amar Samb rapporte que le Cheikh a écrit cinq chefs-d’œuvre en théologie : « Suyûf es-Sa’id » (Les sabres du bienheureux), « Safina-t-as-Sa’âda » (Le navire du bonheur), « Tadkira-t-al-Mustarsidîn » (Edification des bien guidés), « Urjûza-t-fi-l-‘Aqâ id » (Poème sur le mètre rajaz traitant du credo) et « Aqîda » (Profession de foi). En droit, l’illustre religieux a écrit trois ouvrages à savoir « Ajwiba-l-masâ il » (Réponses à des questions juridiques), « Fatâwa mutawwi’a (décisions sur les problèmes de droit) et Taqayyad fî Hawâs el-hizb es-Sâfi î ». « Hâdiyât al-mudnibîn » (Montures des pécheurs) et « Al Maqâsîd es-sunniyya » (les fins de la loi de Mahomet) portent sur la propagande religieuse. Alors qu’en mysticisme, « Al-Rimah » (Les Lances) en 1845, « Ajwiba fî at-Tarîqa-at-Tijâniyya » (Réponses traitant de la Voie tijâniyya), « Kitâb al-Fatâh al-Mubîn » (Traité de la félicité éclatante) et « Kitâb an-Nush al-Mubîn » (Livre de conseils éclairants) sont parmi ses chefs-d’œuvre.
Tous ces ouvrages sont en prose sauf le « Tadkira-t-el-Mustarsidîn » et celui qui a pour sujet : « La réconciliation entre les musulmans voire entre tous les hommes ». Et le style est de haute facture, une poésie digne des meilleurs éloges. D’autres poèmes où il harangue les populations du Fouta sont rapportés par Cheikh Moussa Kamara. Ses écrits montrent que l’homme était pourvu « d’une grande culture et de vastes connaissances en matière religieuse ». Ses harangues, dont quelques-unes sont rapportées par Cheikh Moussa Kamara, dénotent chez lui la force persuasive. Dans un entretien accordé au journal « Le Soleil », feu le professeur Samba Dieng disait avoir recensé une quarantaine d’ouvrages écrits par El Hadj Oumar Tall.
Homme d’érudition
Thierno Ibrahima Sy, secrétaire particulier de Thierno Madani Tall, serviteur de la communauté omarienne, soutient que Cheikh Oumar Foutiyou a laissé « une œuvre mystique et littéraire colossale » dont la pièce maîtresse reste « Al Rimah » (Les Lances). Selon lui, « Safina Saadati » est un magnifique éloge au Prophète de l’islam, alors que « Tadhkirah al ghâfilîn fi Qoubhi ikhtilâfil mou’minîn » évoque les dangers que représentent les désaccords entre les hommes et les exhorte à la préservation de la paix entre les peuples et les nations. « Cheikh Oumar Foutiyou est très attaché au savoir et à la connaissance. Ainsi, il n’a pas hésité à faire des centaines de kilomètres pour aller consulter, à Séno Palel, l’ouvrage intitulé « Al Fayitou Assouyouti » qu’il recopiera intégralement de sa propre main », témoigne M. Sy qui précise que c’est le seul manuscrit, aujourd’hui connu, écrit de la propre main du grand érudit.
Cheikh Oumar, c’est aussi l’immensité de son savoir, sa grande maîtrise des sciences islamiques. Durant son face-à-face célèbre avec les savants de l’Université Al Azhar du Caire, ses contradicteurs ont épuisé leurs questions portant sur toutes les sciences islamiques sans parvenir à le prendre à défaut. A la suite de cette rencontre, son hôte accède à toutes ses demandes ; ce qui lui a permis de continuer son voyage vers Jérusalem, précise notre interlocuteur.
Pour Thierno Madani Tall, « El Hadji Oumar est un grand érudit d’une dimension exceptionnelle qui allait à la quête du savoir malgré sa vaste science », comme le rappelait souvent feu le professeur Iba Der Thiam. En tant qu’homme de foi et d’érudition, indique-t-il, il a laissé beaucoup de traces, partout où le destin l’a mené. Beaucoup de savants ont porté des témoignages sur son érudition. Pour lui, « Al Rimâh » (Les Lances) et « Safînatou Sa-âda » (Le navire du bonheur) sont ses chefs-d’œuvre. Thierno Madani Tall ajoute que dans sa production intellectuelle écrite soit en prose ou en vers, son principal centre d’intérêt reste le Sceau des Prophètes, sa vie et son œuvre. Son ouvrage « Suyûf as-Sa’îd » (Les Sabres du bienheureux) en est une parfaite illustration. Au-delà de la théologie, du droit [musulman], les doctrines, El Hadji Oumar a écrit sur la médecine, l’environnement, le foncier… « C’est un homme d’une dimension exceptionnelle », confie le serviteur de la communauté omarienne. Un membre du corps diplomatique de la Palestine qui avait duré au Sénégal et tissé des liens forts avec la famille omarienne, de retour d’un voyage dans son pays, a retrouvé un manuscrit de « Al Rimah » de Cheikh Oumar que celui-ci avait réécrit de sa propre main. Il le remet alors au regretté Thierno Mountaga Tall en guise de cadeau. « Le livre est avec nous. Il l’avait écrit à Gaza où il s’était rendu lors de ses longues pérégrinations », confie Thierno Madani Tall.
« Safînatou Sa-âda »
Thierno Ibrahima Sy n’a pas manqué de relever le niveau de maîtrise de la langue arabe du Cheikh qui était si rare. On retrouve, d’après lui, dans l’ouvrage « Safînatou Sa-âda », des mots et expressions si rares et profonds qu’une commission scientifique, comprenant des Oulémas du Sénégal, du Mali, de la Mauritanie et de la Guinée, a été mise sur pied. Travaille-t-elle ainsi à la réédition du livre avec des renvois permettant de comprendre leur sens. Cette commission s’appuie notamment sur les dictionnaires les plus complets et reconnus de la langue arabe. Selon lui, le Cheikh s’est beaucoup documenté. Dans « Al Rimah », il cite quelque 223 ouvrages et auteurs. « On se demande encore, à une époque où les déplacements se faisaient essentiellement à pied ou à dos d’animaux, sans internet, comment Cheikh Oumar Foutiyou a pu amasser un tel trésor littéraire » ? s’interroge le secrétaire particulier de Thierno Madani Tall. A ses yeux, la contribution du Cheikh aux débats de son époque est sans doute une des plus grandes manifestations de sa démarche intellectuelle.
Enregistré sous le numéro 557354 A 61 B, à la Bibliothèque nationale de Paris, son ouvrage intitulé « Epitre sur les devoirs et les dettes envers le Seigneur et les serviteurs » a été réédité par sa famille en 2008. Un autre manuscrit se trouve à l’Université de Ahmed Bello, à Zaria, au Nigéria sous le numéro 83 A. « Tous ces ouvrages et manuscrits montrent la volonté, le combat et les efforts déployés par El Hadji Oumar pour le message divin. Mais la majeure partie de son œuvre reste inconnue du grand public », explique la famille omarienne dans la Préface de l’« Epitre sur les devoirs et les dettes envers le Seigneur et les serviteurs ». Le guide religieux a achevé la rédaction de ce traité pendant le mois de sha’bâan 1246 de l’Hégire. Ce qui correspond approximativement à l’année 1831. A l’époque, il était âgé de 34 ans. « La rédaction du livre a commencé durant la nuit du jeudi 13 sha’bân. Je l’ai terminé le dimanche 16 du même mois 1246 de l’Hégire », a écrit le Cheikh à la fin de l’ouvrage.