FEUX DE PAILLE ?
Abou Thiouballo, Lamine Seignane, Boy Marone, Amy Collé Dieng, Thione 2….
On a chanté avec eux et dansé sur leurs rythmes. Pour chacun d'eux, on a pensé qu'il allait révolutionner ou contribuer à parfaire la musique sénégalaise mais, pour aucun d'eux, cela n'a été le cas. Pourtant ces chanteurs avaient ou semblaient avoir du talent. Pourquoi les choses n'ont pas marché pour eux ? se demande-t-on. EnQuête pose le débat avec divers acteurs culturels.
Quel mélomane n'a pas aimé et fredonné des chansons d'El Hadji Faye "Samina", d'Abou Thiouballo, d'Amy Collé Dieng, de Lamine Seignane, d'Assane Gaye (ndlr Thione 2), d'Alassane Fall, de Tanor Tita Mbaye, de Maïga, d'Amy Mbengue, d'Abdou Rass, de Malouida, de Maïga, Boy Marone, etc.
Beaucoup trouvaient que ces jeunes avaient du talent et leurs places dans le show-business. Mais tous ou presque ont fait long feu. On ne comprend pas comment ils ont pu passer d'un apogée à un déclin en un temps record alors qu'ils ont les atouts nécessaires pour rester au sommet. Pour résoudre cette équation, certains n'hésitent pas à évoquer des problèmes mystiques pour expliquer ces succès à la volée.
Mais de l'avis du producteur Bouba Ndour, on a l'habitude de dire au Sénégal que tel artiste est victime de maraboutage ou de pratiques mystiques. "Je ne cautionnerai pas qu'un artiste vienne dire que c'est une cause mystique qui est à la base de sa perte de performance. D'ailleurs une personne qui réfléchit ne doit pas avoir ce comportement. J'exclus le côté mystique dont beaucoup de personne parlent", dit-il.
Un argument que ne partage pas un manager qui a travaillé avec beaucoup d'artistes dont Ousmane Seck, Moustapha Goudiaby. "Pour les chanteurs qui disent être victimes de coups bas, de maraboutage et autres, qu'ils sachent que nous sommes au Sénégal et cela existe dans toutes les professions, que ce soit dans la musique ou dans d'autres domaines. C'est un fait réel qui existe au Sénégal", indique-t-il.
Par ailleurs, loin de ces explications qui peuvent paraître irrationnelles, des causes plus raisonnables sont évoquées ici. Pour Bouba Ndour, le talent dont on parle peut être juste trompeur. "Il y a beaucoup de facteurs qui font que parfois les artistes disparaissent. Des fois, ils n'ont pas assez de talent parce qu'aussi une personne peut faire un tube et ne plus être capable de faire mieux ou à la limite autant. Cela montre juste qu'il n'a pas assez de talent", pense-t-il.
Le journaliste Pa Assane Seck abonde dans le même sens en approfondissant la réflexion. "Certains d'entre eux font des tubes qui bougent et cartonnent parce qu'ils ont compris les réalités psychologiques du moment, mais cela ne veut dire qu'ils font de la bonne musique", déclare-t-il. Pour dire que ces artistes "font des musiques de mode et la mode est éphémère". Ce qui est à l'image de leur carrière. D'autres par contre, ne manquent pas de talent, mais n'ont pas su gérer leur succès. "
Un encadrement non adéquat
Il s'y ajoute qu'il peut arriver, selon Tapha Goudiaby, que l'artiste ne puisse pas gérer son succès, en changeant de comportement, et de mode de vie, alors qu'il n'était pas préparé à tout cela comme le relève Bouba Ndour. "Quand le succès arrive si l'artiste n'est pas réellement mature il peut casser son rythme de travail, ce qui peut entraîner une baisse de performance", explique-t-il.
La mauvaise gestion du triomphe constitue donc un frein pour certains. D'autant plus que grâce ou à cause de cela, leur cercle d'amis grossit et ce ne sont pas tout le temps les bonnes personnes qui viennent s'incruster.
"L'artiste, dès qu'il a du succès, est entouré par des gens attirés par ce succès-là. Alors ce sont ceux-là qui créent certains problèmes et lui mettent dans la tête des choses fausses jusqu'à ce qu'il se sépare de sa maison de production alors que ces derniers ne peuvent rien lui apporter. Ces gens sont généralement des amis, des membres de la famille qui ne maîtrisent pas le domaine. Une carrière doit être gérée par toute une équipe. Si un artiste est mal entouré, forcément il ne peut pas percer. Donc, un problème d'entourage s'impose de plus en plus", analyse Bouba Ndour.
L'animateur de la Rfm Sidate Thioune est aussi du même avis. "Ces chanteurs disparus de la scène musicale actuelle ont certes du talent mais il leur manquait un bon encadrement avec des gens expérimentés pour qu'ils puissent durer dans la sphère musicale. Certes, ils cartonnent quand ils sortent un single ou un album mais c'est la suite qui pose véritablement problème. Donc, pour qu'ils puissent s'en sortir, ils doivent avoir à leurs côtés des gens qui peuvent les guider et leur montrer le bon chemin à suivre", suggère-t-il.
Surtout quand le succès commence à leur monter à la tête. "Quand l'artiste n'arrive pas à gérer son succès, c'est à l'encadrement de le recadrer", renseigne Tafa Goudiaby. Encore qu'il faudrait qu'il ait de la considération pour ces gens-là. Car, les choses peuvent se dessiner de sorte qu'il pense que sans lui rien ne marche ou que sans lui les autres ne sont rien, oubliant que ce sont ces autres qui ont fait de lui le phénomène qu'il est aujourd'hui.
"Il faut oser le dire : tant que les artistes ne respecteront pas les gens qui les encadrent, ils n'iront nulle part", ajoute-t-il. "Des chanteurs ont du succès et pensent automatiquement qu'ils peuvent tout gérer et commencent à prendre de mauvaises décisions", renchérit Bouba Ndour.
La mauvaise gestion du succès
En outre, tous ces écueils trouvent leur cause principale dans la vision que l'artiste a de sa carrière. Et ces artistes-là donnent l'impression de n'avoir pas compris que la musique est un métier comme tous les autres. "Quand on décide de faire une production, il faut y mettre du sérieux. D'ailleurs, il faut du sérieux dans tout ce que l'on entame dans la vie", conseille Michael Soummah animateur à Dakar Fm.
Le journaliste et chargé de communication du chanteur Pape Diouf, Pa Assane Seck lui, pense simplement que "certains artistes ne sont pas rigoureux dans ce qu'ils font, il y a un certain manque de professionnalisme.". Alors que les choses ne semblent pas si simples que le croient certains.
Sortir un album ou une chanson de qualité demande un certain nombre de pré requis. Le talent à lui seul ne suffit pas. "Certains sont toujours pressés de réaliser leur produit. Ils sont nombreux d'ailleurs les musiciens qui réalisent leur produit dans les studios", constate Michael Soumah.
Alors qu"'auparavant, il fallait répéter d'abord, enregistrer la maquette ensuite et présenter cette maquette au studio. Et c'est sur la base de cette maquette que tout le travail était fait. Aujourd'hui, on se rend compte que tout se réalisait directement en studio en peu de temps. L'artiste enregistre en studio, amène ses musiciens et vite, le produit est fini. C'est ce qui fait que ce sont des produits assez éphémères et le succès de l'artiste est alors à l'image du son single ou de son album", dixit l'animateur de Dakar Fm.
Ainsi, le processus normal et respectif de production est violé. On rate dès le début le procédé régulier. Et c'est ce que Pa Assane Seck appelle "défaut dans la création". Ce qui peut s'expliquer par le fait qu'ils ne sont pas "nombreux les artistes qui travaillent sérieusement pour éviter de répéter les mêmes choses et de créer en mettant sur le marché du nouveau", à en croire Bouba Ndour.
Sur un autre registre, le manque de producteurs ainsi que la piraterie sont évoqués pour expliquer la situation. Comme le souligne Sidate Thioune, il n'y a aujourd'hui qu'un seul label de production, qui ne peut pas produire tout le monde malheureusement. Seulement, être dans un bon label n'assure pas toujours un avenir sûr. "Abou Thiouballo a travaillé avec prince Arts et a tout de même eu un succès bref", rappelle Tapha Goudiaby.
Cheikh Lô, artiste-chanteur compositeur
"Ils n'ont pas laissé d'empreintes à travers leur musique"
"On ne peut pas d'un seul coup conquérir le monde. Un musicien doit être patient. Son devoir est de toujours travailler. Il y en a qui cartonnent avec un single au Sénégal mais deux à trois mois au maximum, après, on les oublie. C'est parce qu'ils n'ont pas laissé de solides empreintes pour rester gravés dans l'esprit des Sénégalais. Il y a ce qu'on appelle une musique immortelle, celle qui peut accompagner des générations. Pour cela, il faut un temps pour des recherches, consacrer sa vie à la musique. Aussi, il faut être entouré de bons arrangeurs qui maîtrisent l'orchestration. Une chose qui devient de plus en plus rare. Avant, on commençait par maîtriser l'orchestration, savoir ce que c'est que la mélodie, l'harmonie, savoir sur quelle base on doit faire notre attaque, etc. Tout cela, on le maîtrisait avant de créer quoi que ce soit. On écoutait beaucoup le Super international, Number one entre autres grands groupes de l'époque. Mais aujourd'hui, il suffit de franchir d'autres frontières pour savoir que le Mbalax n'est pas exportable. Il y a aussi des artistes qui sont pressés de sortir un album alors qu'ils devaient encore attendre environ cinq ans pour maîtriser certaines choses. Il faut faire du Mbalax mais tout en se mettant à l'esprit une certaine ouverture pour sillonner le monde. J'insiste pour que les jeunes revoient leur manière de travailler. Malheureusement, d'aucuns pensent qu'il s'agit d'une leçon de morale alors que je ne fais que relater les faits, la réalité. Il faut éviter les singles et prendre les singles pour des maquettes et puis revoir les textes, soigner les mélodies, la régularité, corriger petit à petit avant de sortir un album."