IL ETAIT UNE FOIS, LE GROUPE TOURE-KUNDA
Ils ont — ou avaient — pour prénoms : Ismaïla, Ousmane, Amadou (décédé) et Sixu Tidiane. Mais surtout, un patronyme en commun : Touré. Ils ont marqué leur époque après avoir conquis l’Afrique et le reste monde dans les années 70 et 80
De la maison de disques à la maison de retraite, Ismaïla, Sixu et Ousmane âgés respectivement de 71 et 70 ans jouent les prolongations musicales à Paris…
Ils ont — ou avaient — pour prénoms : Ismaïla, Ousmane, Amadou (décédé) et Sixu Tidiane. Mais surtout, un patronyme en commun : Touré. Ils ont marqué leur époque après avoir conquis l’Afrique et le reste monde dans les années 70 et 80. Célèbres, ils ont été adulés, admirés parfois même divinisés par des fans souvent en transes lorsqu’ils jouaient. Originaires de la Casamance, les frères Touré-Kunda ont également bercé notre adolescence à travers des méga concerts de Tabaski et de Korité au stade Demba Diop. « Le Témoin » a acheté un ticket de concert pour retourner sur les premiers pas des frères Touré dont les noms restent toujours liés à la révolution et à la modernisation de la musique africaine. Retour anecdotique sur scène : Le camion-podium, Youssou Ndour et le…micro sans fil ! (Enquête exclusive…)
Remontons le temps jusqu’en 1948, en Casamance ! Et plus précisément à « TouréKunda » ou la famille des Touré située dans le populeux quartier de Santhiaba à Ziguinchor. En cette saison des pluies, un vent violent semble arracher les toits de la concession des Touré où vivent coépouses, oncles et tantes en parfaite harmonie. Sous ce toit polyfamilial, et parce temps d’orage, le vent annonce, au-delà de la pluie nourricière, la naissance d’Amadou, le fils ainé de Daby Touré, l’honorable père de famille.
Et deux ans plus tard c’est-à-dire en 1950, Ismaïla et Sixu Tidiane Touré ont vu le jour à trois semaines d’intervalle. Presque des jumeaux ! Puis est venu au monde Ousmane, le cadet. Comme la plupart des enfants de leur âge, Amadou, Ismaïla, Ousmane et Sixu sont instruits et éduqués dans les pures traditions sénégalaises. Soumis à une éducation très rigoureuse, les frères Touré allient école française et daara. Et obéissent par peur ! L’ainé, Amadou, lui, se démarque régulièrement de la fratrie pour s’adonner à une passion encombrante : la chanson et la musique ! Pour tester son talent de jeune chanteur et prouver sa volonté de réussir en dehors de l’école, Amadou Touré sillonne les cérémonies familiales de Ziguinchor (baptêmes, Kassaks, mariages..) qu’il transforme en jurys de circonstance :« Amadou todj na mariage baa !!! Il a cassé la baraque…» s’extasiaient les uns. « Il chante très bien. En tout cas, il a de l’avenir dans la musique ! » juraient les autres. Finalement, l’ainé Amadou en personne entraine dans sa fugue culturelle ses propres frères jusqu’à les dévier du chemin prometteur de l’école. En guise d’appât du gain et de gage de réussite, Amadou crée un groupe musical uniquement composé, à part lui, de ses frères Ismaïla, Sixu et Ousmane. Ainsi, le cours d’initiation (Ci/Ecole) devient l’orchestre d’initiation (Oi/Musique).
Pour diversifier leurs activités et prouver leur transversalité culturelle (Danse et théâtre), il arrivait parfois aux frères Touré de faire des incursions dans d’autres groupes de Ziguinchor comme « La Fraternelle » et « Esperanza ». Profitant une année de la saison des pluies ou hivernage marquant la pause des activités folkloriques, Ismaïla Touré s’est échappé du groupe pour une visite de courtoisie à des parents installés à Nouakchott (Mauritanie). C’est à partir de la capitale mauritanienne qu’il mûrit l’idée de découvrir d’autres horizons. Ainsi, il s’envole pour la France. C’était en 1975.
Ismaïla, le précurseur…
Une fois installé à Paris, Ismaila se convainc rapidement qu’il lui est impossible de développer ses projets en matière de créativité musicale et de prestation artistique sans ses frères Amadou, Sixu et Ousmane restés au pays. Des frères qui, avec lui, se complètent sur scène. Et qui, surtout, excellent dans des œuvres chorégraphiques et jouent bien à la kora et aux sabars. Ils savent également danser et chanter en soninké, mandingue, diola, wolof et français. Pour donner de ses nouvelles et exposer ses projets en France, Ismaïla expédie une cassette audio à l’image d’une « lettre postale » à son père Daby Touré en Casamance (Sénégal).
Cheikh Tidiane alias « Sixu », joint par « Le Témoin » depuis Paris, confie en toute exclusivité le contenu du courrier. « Ce jour-là, était un jour historique pour tous les membres de la famille qui ont eu finalement des nouvelles d’Ismaïla. Mon père avait rassemblé toute la famille autour d’un magnétophone ou radiocassette pour nous faire écouter les messages vocaux de notre frère Ismaïla. De Paris, Ismaïla ne cessait de répéter qu’il souhaitait me voir, moi Sixu Tidiane, venir en France. Dans l’enregistrement, il a beaucoup insisté sur mon voyage alors que je voulais rester auprès de mon père en Casamance ! A l’époque, vous ne savez pas ô combien cette « cassette postale » avait provoqué une immense joie au sein de la famille des Touré ! » se souvient Sixu, ou l’homme aux rastas, 46 ans après.
En 1976, un an après cette fameuse « cassette postale » qui rappelle « Le Mandat » d’Ousmane Sembène, Sixu rejoint son frère Ismaïla à Paris. Ensemble, ils créent le groupe « Touré-Kunda » et forment un duo de choc. Que signifie « Touré-Kunda » ? Sixu s’empresse de répondre : « Vous savez, la Casamance a ses réalités socioculturelles caractérisées par la diversité des usages et appellations. Et le mot « Kunda » indique famille ou maison.
Et partout en Casamance, on entend des Cissé-Kunda, Ndiaye-Kunda, BadjiKunda, Sané-Kunda, Mendy-Kunda et autres Touré-Kunda qui signifie la famille des Touré. Comme à Dakar chez les familles Ndiaye, Diop ou Ndoye que l’on indique souvent par des mots du genre : « Ndiayène », « Ndiobène », « Sallène », « Mbenguène », « Gueyène » etc. » explique Sixu Tidiane Touré, histoire de faire la part des choses entre Touré et Kunda. « Néanmoins, ces deux mots vont de pair avec notre identité culturelle et familiale puisque tous les membres de ma famille s’identifient à «TouréKunda» » magnifie-t-il.
Une soudaine popularité, un succès fulgurant !
Toujours est-il que cette année-là, 1976, le public parisien découvre avec curiosité ces deux jeunes talentueux chanteurs sénégalais. De la place du Trocadéro au pied de la Tour Eiffel en passant par la salle Bercy, l’Hippodrome de Pantin, le théâtre Dunois etc., le groupe Touré-Kunda multiplie les concerts et enchaîne les succès partout en France. Avec une touche traditionnellement africaine qui fait leur singularité, les frères Touré réussissent à s’imposer avec des dialectes et langues (diola, wolof, soninké) dans un pays majoritairement francophone où la culture africaine est peu représentée. Ismaïla et Sixu sortent en 1979 leur premier album intitulé : « Mandinka Dong ». Puis un second, « Emma ». Ces deux albums aux rythmes et sonorités acoustiques, traditionnels, funk, électriques, reggae et mbalax sont vendus à plus de 300.000 exemplaires. Un succès qui leur vaut deux disques d’or ainsi que le Grammy awards récompensant les ventes record et les meilleurs chanteurs. Pour mieux conquérir l’Europe et le reste du monde afin de créer et développer une industrie musicale, Ismaïla et Sixu optent pour l’élargissement du groupe à d’autres membres de la famille vivant au pays. Pourquoi pas faire venir le maestro Amadou ou l’ainé ? Aussitôt dit, aussitôt fait et Amadou arrive sur les rives de la « Scène » à Paris. Ainsi, le royaume des Touré est au complet pour régner sans partage sur le monde du show-business hexagonal. Le trio familial (Ismaïla, Amadou et Sixu) embarque alors dans l’aventure mondiale. Fort d’une popularité soudaine et d’un immense succès, le groupe Touré-Kunda multiplie les méga concerts et signe de gros contrats jusqu’à s’inviter dans l’agenda culturel l’Elysée.
Sommet de Vittel, le déclic mondial !
Un jour, Jack Lang, le ministre de la Culture du président François Mitterrand contacte les frères Touré pour les inviter à la Conférence des chefs d’État de France et d’Afrique de Vittel (Vosges/France) des 3 et 4 octobre 1983. Par ce contrat de prestige, l’Elysée voulait que les frères bercent au rythme des sonorités africaines l’arrivée des nombreux chefs d’Etats africains tels que Siaka Stevens de la Sierra Leone, Gnassingbé Eyadéma du Togo, Sir Daouda Jawara de la Gambie, Félix Houphouët Boigny de la Côte d’Ivoire, Sékou Touré de la Guinée, Mobutu Sese Seko du Zaïre, Omar Bongo du Gabon, Denis Sassou-Nguesso du Congo, Mohamed Khouna Ould Haidalla de la Mauritanie, Abdou Diouf du Sénégal, Moussa Traoré du Mali, Seyni Kountché du Niger, Hissène Habré du Tchad, Thomas Sankara du Burkina Faso, Mathieu Kérékou du Bénin etc. Ces deux jours- là, ces chefs d’Etats africains et les autres participants découvrent avec enthousiasme les Touré-Kunda devenus pour la circonstance de dignes ambassadeurs de la musique africaine au sommet de Vittel. N’estce pas Sixu ? « Ah, oui ! Le somment de Vittel a constitué le déclic de notre succès sur le plan international. Car dès après l’arrivée de tous ces chefs d’Etats africains et diplomates du monde entier, Amadou et moi avons la pris la parole pour souhaiter la bienvenue à nos dirigeants africains. Et, surtout, remercier le président Mitterand de nous avoir invités. Nous avons profité de l’occasion pour lancer un appel à tous ces présidents africains de nous faciliter la tenue d’une tournée que nous comptons faire sur le continent. Aussitôt, le président Abdou Diouf a pris la parole pour répondre et dire que son gouvernement et le peuple sénégalais nous attendaient à Dakar. C’est ainsi que nous avons débarqué au Sénégal pour y débuter une longue tournée africaine » se souvient l’un des frères Touré (voir encadrés).
La disparition d’Amadou Tilo…
Hélas ! Cette année-là, le groupe Touré Kunda subit de plein fouet la disparition du frère ainé, Amadou, foudroyé sur scène par une crise cardiaque lors d’un concert à la Chapelle des Lombards. Ainsi, tout le programme de cette tournée africaine est chamboulé puisqu’il faillait aux frères Touré procéder au rapatriement du corps en Casamance et organiser les funérailles. Un concert d’hommage est organisé par la scène africaine au Casino de Paris suivi de la sortie d’un album intitulé «Amadou Tilo» lui est dédié. Mais le duo vit un moment de flottement avec la disparition brutale d’Amadou « Nous étions tous meurtris et abattus après l’enterrement d’Amadou à Ziguinchor. Mais il fallait se relever vite, mais difficilement, pour porter haut le flambeau culturel allumé par Amadou qui nous a initiés à la musique et à la chanson » confie Sixu. Pour tenter de compléter le vide, les Touré se sont concertés en famille et ont décidé de faire venir à Paris Ousmane, le cadet. « C’est après juste les funérailles d’Amadou qu’Ousmane nous a rejoints en France » précise le musicien aux dreadlocks. Dès son arrivée en France, Ousmane ou l’enfant du milieu intègre vite le groupe et se met au travail. Ensemble c’est-à-dire Ismaïla, Ousmane et Sixu, ils rendent hommage à leur défunt frère à travers un album intitulé « Amadou-Tilo ». Ils choisissent Sorano (Dakar) pour une grande cérémonie d’hommage où les frères Touré-Kunda invitent tous les chanteurs et musiciens du paysage sénégalais de la musique.